Au-delà, la Mort en Images #04 Le Deuil d'une famille
Gaspard était un petit garçon atteint de la maladie neurodégénérative de Sandhoff, maladie lysosomale incurable. Il est mort le 1er février 2017 à 3 ans et demi. Sa maman raconte son histoire et les étapes du deuil. Mars, juin et novembre 2017 à Rueil Malmaison.
Fin mars, alors que cela faisait à peine 2 mois que Gaspard avait quitté la Terre, Marie-Axelle, sa maman, a accepté de me parler de la perte de son 4e enfant. Elle raconte le chemin parcouru avec lui et les étapes du deuil qu'ils ont vécu (ci-dessous). En juin je suis retournée la voir à Rueil Malmaison pour photographier la gravure du texte sur la tombe blanche qu'ils avaient choisie. Puis le 1er novembre j'ai pu photogaphier toute la famille réunie au cimetière. Ce jour-là il fait beau. Après avoir réarrangé les fleurs, enlevé les feuilles mortes, joué un peu autour de la tombe, l'agitation diminue et ils se recueillent pour une prière pour Gaspard, pour eux, pour la vie. Si la perte d'un être cher est douloureuse, elle fait grandir chacun et peut souder encore plus une famille.
Entretien avec Marie-Axelle Clermont, 29 mars 2017
LA VIE DE GASPARD
Quand Gaspard est né, on a eu 6 mois où tout n'allait pas trop mal. Je sentais qu'il allait mourir, vraiment, je le sentais à fond. Du coup on s'interrogeait beaucoup, les médecins ne me croyaient pas. A l'été 2014 à Rennes, on a rencontré une pédiatre qui nous a dit qu'on avait raison de nous inquiéter, qu'il fallait continuer à nous inquiéter. On avait rendez-vous fin août, au 1 an de Gaspard, à l'hôpital de Garches. La neuropédiatre nous a tout de suite dit "ok on lance les tests, génétiques et sanguins, pour voir ce qu'il se passe, car il y a un truc qui ne va pas" : il ne se tenait pas la tête, dès que tu le prenais dans tes bras sa tête plongeait, donc il y avait effectivement un problème. Les réactions, les interactions c'était nickel, il gazouillait, papotait, rigolait souvent, mais en motricité il y avait un truc qui n'allait pas.
On a eu les résultats aux 13 mois de Gaspard, le 29 septembre 2014. On apprend donc que Gaspard est atteint d'une maladie neurodégénérative. On était à l'hôpital avec Benoit, les 3 médecins face à nous qui nous ont expliqués la maladie : le système nerveux central est atteint et dégénère car dans le système nerveux central on a tous des petites cellules, à l'intérieur desquelles il y a une enzyme qui s'appelle le lilosome, et qui normalement trie ta cellule pour qu'elle soit toujours efficace. Sauf que là l'enzyme ne fonctionne pas bien donc la cellule ne se trie pas et s'encrasse. Donc tous les déchets organiques s'accumulent, et c'est pour ça que ca s'appelle une maladie de surcharge, qui fait mal fonctionner les cellules, jusqu'à ce qu'elles s'éteignent. Ca détériore alors ton système nerveux, qui commande tout ton corps, tout dégénère et fonctionne mal : les fonctions motrices mais aussi tous les sens, la vue, l'odorat, l'ouïe, etc et toutes les fonctions vitales, la déglutition, la respiration... Donc on apprend ça.
Et puis vient la question : est-ce que Gaspard va mourir ? Ils te regardent dans les yeux et ils te disent "ben oui..." Donc ce jour là, Benoit était très très très triste, très en colère, parce que pendant un an il ne m'avait pas vraiment cru. Il pensait que ça irait mieux, que ce petit garçon allait s'assoir et marcher, et moi pour le coup j'ai été soulagée, enfin des médecins me croyaient, je n'étais pas folle, et on m'a dit "on va vous aider". On a eu deux manières très différentes de le vivre.
Dès l'automne 2014 on a mis en place de la kiné, à l'hôpital de jour à Garches, après le soin à domicile venait lui faire de la kiné à la maison, au départ 2/3 fois par semaine puis après tous les jours. Parce qu'il a perdu la vue à Noël 2015, mais ça ne se voyait pas parce qu'il avait des grands yeux bleus canons, ouverts, et un regard très expressif (il n'avait pas le regard flous ou grisé), il te sondait alors qu'il ne voyait plus, c'était impressionnant. Il entendait très bien encore, car l'ouïe est un des derniers sens qu'on perd quand on meurt, c'est le sens qu'on a vraiment jusqu'à la fin de sa vie, il entendait très bien les personnes parler, arriver vers lui, il tournait ses yeux vers la personne, du coup c'était interpellant.
On avait des séances de psychomotricité, une éducatrice spécialisée aussi et la kiné. Parce qu'à force de ne pas t'asseoir, de ne pas marcher, de ne pas te tenir droit, tes poumons ne fonctionnent pas bien. Tout ce qui normalement s'évacue en déglutissant, en toussant, là ça ne pouvait pas, on l'entendait beaucoup respirer, déglutir fort.
Après, à partir du 1er août 2016, il est resté allongé. Il a vécu les 6 derniers mois de sa vie allongé à la maison, et il ne sortait plus. Il était nourri par sonde gastrique, par tubulures, branché en continue, un tout petit débit qui ne lui faisait pas mal pour digérer. Il avait besoin d'oxygène aussi par le nez. Il y avait plein de machines, c'était impressionnant. Il ne pouvait pas attraper froid non plus car le moindre rhume...
Ca c'était la vie de Gaspard. On a essayé de garder toujours une interaction, on a souvent favorisé l'ouïe, en chantant, en racontant des histoires, par CD, par musiques, on dansait, on le mettait dans nos bras et on le faisait tourner, qu'il entende de la vie ! Au départ on l'avait mis à l'étage et puis finalement on a choisi que toute la vie soit autour de lui, donc on la mis dans la chambre à coté de la cuisine, au rez-de-chaussée, tout le monde vivait autour de lui, c'était plus pratique pour les soignants aussi.
On a eu un peu de mal à avoir l'hospitalisation à domicile. On était en mai 2016, Gaspard était allé à Lourdes avec nous tout début mai 2016. Il est rentré assez affaibli. Il a passé une semaine à l'hôpital et on a voulu le prendre, mais le chef de la pédiatrie n'était pas aussi confiant, je pense qu'il ne voulait pas nous laisser la responsabilité de garder notre enfant à la maison et peut-être aussi à juste titre, il avait moins confiance en tant que parents et soignants et non médecins, il pensait que ça irait plus vite etc. Donc on a fait venir une association parisienne qui s'appelle Paliped (palliatif et pédiatrie), un pédiatre est intervenu, et en accord avec nous, grâce à eux, on a réussi à le sortir de l'hôpital. C'était vraiment notre choix qu'il soit au coeur du foyer, de toute la famille. Aussi car on était capable de porter Gaspard, on parle français (on a rencontré beaucoup d'étrangers à l'hôpital, et c'est compliqué pour eux, la langue est une barrière dans le monde du soin, ils ne comprennent rien, c'est quand même plus simple pour eux d'être sur place et puis certains sont venus pour le soin français, la qualité, certaines opérations qu'en France etc), on a eu de la chance socialement aussi car à ce moment là mon CDD s'est arrêté et je pouvais rester à domicile car Benoit travaille. Donc je passais mes journées pour lui.
ACCEPTER LA MORT
Tout ce chemin là c'est deux ans et demi de vie où tu vois quelqu'un dégénérer tous les jours un petit peu plus et donc tu apprivoise la mort en fait, le décès. On te l'a dit. Ce qui est un peu étrange c'est que paradoxalement on pourrait le dire de chacun, mais comme il y a un protocole de soins, c'est visuel, donc tu apprivoises un peu. Ca n'enlève rien au fait qu'il soit mort maintenant, mais pendant deux ans et demi, tous les jours un petit peu on a quitté quelque chose : on a fait le deuil du rire, des gazouillis, et puis du canapé par exemple car pendant un an il y était semi-assis, et puis les six derniers mois c'était tellement difficile pour lui, ça lui faisait mal aux reins et au coccyx. On a donc passé ensuite beaucoup de temps dans sa chambre, à lui masser les pieds, à faire sentir des odeurs, des huiles essentielles, à lui faire toucher ses peluches... Toutes ces petites étapes là te font avancer vers la mort.
Le fait de ne pas le mettre loin de nous aussi, de pouvoir passer du temps auprès de lui, le mettre à la maison, pour pouvoir plus facilement nous occuper de nos autres enfants aussi. Donc on a rapidement rayé l'hôpital pour lui ajouter de la vie à ses jours qui étaient comptés et le mettre au coeur de notre foyer plutôt que de l'excentrer physiquement.
PARLER DE LA MORT AUX ENFANTS
Pour les enfants en fait c'est simple, c'est hyper dur pour nous adultes et pour eux beaucoup plus simple.
En fait on est parti du jour du diagnostique, en septembre 2014. Ce jour là Benoit est reparti bosser, et je suis allée chercher les enfants à l'école pour le déjeuner. Ils m'ont tout de suite demandé ce que les médecins avaient dit le matin. Je leur ais dit qu'on avait vu trois médecins qui ont dit que Gaspard avait une maladie rare, grave et qu'ils ne pouvaient pas soigner car il n'y avait pas de médicaments pour cela. On a tout de suite différencié en disant que ce n'était pas comme eux quand ils ont un rhume, une angine ou autre qu'on peut soigner. Là c'est impossible. Ils nous ont posé beaucoup de questions très pratiques : est-ce que Gaspard va tenir sa cuillère ? Non il ne pourra pas. Est-ce qu'il va aller à l'école ? Non parce qu'il ne pourra pas marcher, ses jambes ne sont pas assez solides. Etc. Et puis est-ce que Gaspard il va mourir ? Ben oui Gaspard il va mourir. La seule façon d'accepter la mort c'est d'être vrai et leur annoncer la vérité. Je voulais pas dire « un jour Gaspard il va jouer au pays des nuages, prendre le toboggan de l'arc-en-ciel ». C'est pas possible ! Surtout que ça allait se passer sous leurs yeux. Je leur ais répondu en vérité et en limites, ce dont ils avaient besoin aussi. Et puis des petites questions venaient de temps en temps « et maman qu'est-ce que ça va faire quand Gaspard il va mourir ? » : son coeur va s'arrêter, ses poumons ne fonctionneront plus. Et après ? Son âme, l'intérieur de lui-même va monter au ciel, mais c'est invisible. Mais qu'est-ce qu'on fait du corps alors ? Et bien quand on est français catholique, on prend soin du corps et on choisit de l'enterrer au cimetière, dans la terre, après avoir mis le corps dans un cercueil. Alors ils conceptualisaient parce que c'était vrai, c'était ce qui allait se passer. L'âme allait partir, on prendrait soin du corps et un jour toutes nos âmes se retrouveront au paradis. Parce que notre fonction de croyants nous y fait croire. Et c'est ce qui nous porte, de savoir que toutes nos âmes se retrouveront au ciel quand nos corps seront tous morts, ça nous rend confiants et emplis d'espérance car on sait qu'on va se retrouver, c'est une belle perspective. L'espérance du ciel nous console, là maintenant, et nous fait espérer au ciel. Et puis on nous a promis le paradis pour les âmes qui seraient justes, pas celles qui seraient méchantes et iraient en enfer. Donc on doit faire pas mal d'efforts car on a envie de retrouver l'âme de Gaspard au ciel.
QUAND VIENT LA MORT
Donc on a choisi de tout faire à la maison. On n'était pas très surs au départ. On a gardé la possibilité de le ramener à l'hôpital au funérarium si on n'était pas capable de le faire à la maison. Et puis quand le jour du décès est arrivé, mercredi 1er février 2017, il était 18h, j'étais au chevet de Gaspard, les grands étaient à la médiathèque avec ma belle-mère, Louise était dans son bain, Benoit au travail. J'ai senti qu'il allait mourir, je sais pas pourquoi, dans mon coeur de maman j'ai senti. J'ai appelé Benoit, je lui ais dit voilà, je pense qu'il faut que tu rentre parce que je crois que Gaspard va mourir. Et puis 5 minutes après je l'ai rappelé pour lui dire qu'il n'aurait pas le temps de rentrer, qu'il allait mourir là maintenant. J'ai mis le haut parleur pour qu'il lui dise à l'oreille tout ce qu'il voulait. Dans le taxi Benoit lui a parlé. Puis j'ai appelé mes parents pour leur dire la même chose. Puis mon-beau-père, et ma belle-mère qui était partie chercher les enfants à l'école. J'ai raccroché, j'ai mis ma main sous la tête de Gaspard, j'ai pris ses mains et il a rendu son dernier souffle. On l'a vraiment accompagné jusqu'à la fin.
C'était génial parce qu'on a toujours demandé à ce que Gaspard ne souffre pas, qu'on n'en souffre pas trop, qu'on soit pas trop choqués de sa mort, qu'il ne s'étouffe pas, qu'il n'ait pas de mouvements incontrôlables après le décès. Et puis ça a été une respiration. J'ai posé Gaspard, je suis allée chercher Louise et lui ait dit que Gaspard était décédé, son âme est partie au ciel et il nous reste son corps. A ce moment là les autres sont tous rentrés. On était tous autour de lui, tout de suite. Et on s'est dit qu'on était capable de le garder à la maison. On a passé des coups de fil avec l'hôpital etc, la pédiatre pour qu'elle vienne constater la mort de Gaspard, vers 22h. Le lendemain on a appelé les pompes funèbres, après avoir passé la nuit à côté du corps de Gaspard (pas les enfants), on a un peu veillé, appelé nos frères et soeurs, parents, certains sont venus. Les pompes funèbres ont envoyé un thanatopracteur. On avait ouvert le dossier depuis un an au service catholique des funérailles de Versailles. Le thanatopracteur est arrivé. Et là on s'est demandé comment ca allait se passer. Première fois qu'on vivait ça car avant c'était nos parents qui géraient pour les grands parents etc. On lui a demandé ce qu'il allait faire sur le corps de Gaspard. Il a dit que ça dépendait du moment où on voulait faire les funérailles, il pouvait changer les fluides, mettre des produits etc si on voulait plus de temps pour l'organisation. Et puis on s'est dit "ça va, il a été déjà hyper médicamenté, eu plein de produits donc non". En plus le corps d'un tout petit se détériore plus vite donc il a fallu être rapide. Et là c'est la seule étape où on n'a pas été là, on ne voulait pas voir ça. L'infirmière qui était devenue une proche a accepté de l'habiller. On les a laissé tous les deux. On avait choisi la tenue avec les enfants. Trente minutes après c'était fait. Elle nous a dit qu'on avait eu raison de ne pas y assister.
Et puis là un mec génial arrive, un grand afro, avec des dreads jusque là, on ouvre, il avait le cercueil enroulé de cellophane et il a dit « J'pose ça où ? » (rires).
On a eu des visites toute l'après-midi, amis, familles, des prêtres, il y a eu des prières, des chants. Tout était doux, c'était beau.
Là on arrive au jeudi soir. Benoit a dormi avec le corps de Gaspard, on avait installé un matelas la dernière année car il y avait des réveils nocturnes, il vomissait beaucoup les 6 derniers mois, fallait le veiller tout le temps. Et moi j'ai dormi là-haut, chacun a fait ce qu'il voulait. Les enfants ont continué à le caresser, à lui mettre un CD de comptines. C'était très beau.
Le vendredi les pompes funèbres arrivent, c'est la mise en bière. On a déballé le cercueil qu'on a installé sur des tabourets dans sa chambre. On avait éteint le chauffage pour que la conservation du corps se passe bien, tout ça. Et la nana nous demande de sortir au moment de l'installer dans le cercueil mais on voulait rester. Benoit a voulu l'installer lui-même, et du coup les enfants aussi voulaient rester aussi. Et donc on a vécu ça en famille, notre noyau familial, avec la dame, les autres étaient dans le salon. Ensuite on a fait revenir notre famille pour qu'ils le voient dans le cercueil. Effectivement il y a eu la fermeture du cercueil le vendredi soir ou le samedi matin, le 3 février. Et les enfants ont voulu visser. On avait choisi un cercueil en chêne massif, on ne voulait pas un cercueil blanc. Pour nous c'était un petit chevalier, il a vécu bien plus que nous en trois ans et demi de souffrance, de coeur à coeur avec tous les gens qui venaient le visiter tous les jours, on voulait un cercueil « d'homme ». Les enfants ont mis les vis. C'est posé la question du cache vis, le détail insignifiant, les enfants argumentaient, tel ou tel. Mais c'était tout naturel, on discutait : que veux-tu faire, pas faire, à quoi veux-tu assister, pas assister etc.
On avait mis chacun un objet dans le cercueil : son petit coussin sous sa tête, son doudou, sa croix de l'ordre de malte, une barrette de médailles que plein de gens lui avaient offertes, un petit noeud en liberty avec une image de la sainte Vierge, plein de souvenirs qui lui correspondaient.
LA CEREMONIE RELIGIEUSE
Nos soeurs et belles-soeurs nous ont beaucoup aidés, elles ont fait tout le livret des funérailles, un ami nous a offert l'impression des 2000 exemplaires. On savait qu'il y aurait beaucoup beaucoup de monde et on devait être un bon millier (NB : un blog avait été créé, Marie-Axelle et Benoit publiaient régulièrement des nouvelles de Gaspard, s'investissant dans des associations etc)
La voiture est venue le samedi 4 février. Les pompes funèbres ont descendu le cercueil pour le mettre dans la voiture. A ce moment là j'avais demandé à ce qu'il n'y ait pas de fleurs, simple, « chevalier » quoi. On s'est retrouvé à la cathédrale Saint Louis de Versailles à 10h pour la messe des funérailles. C'était une très belle messe, célébrée par huit prêtres qui ont marqué la vie de Gaspard, et une trentaine de nos amis de Versailles, Chaville, Paris nous ont fait la surprise de faire une chorale. J'avais mis des grandes gerbes de lys blancs autour du cercueil. On s'est appuyé sur les chants de l'Emmanuel, portés sur l'amour de Dieu. Et on a réuni tous nos proches dans une salle prêtée par un curé.
L'INHUMATION
Gaspard, le corps de Gaspard, est parti au funérarium de Rueil Malmaison, au cimetière ancien, on n'a pas pu l'enterrer le samedi, parce qu'on a du acheter un caveau dans le cimetière et c'était pas possible de construire un caveau bétonné en 48h donc pendant deux jours, jusqu'au lundi, il est resté au furnérarium. On a pris un caveau 1 place pour 15 ans car on s'est dit que potentiellement quand on déménagerait de Rueil, on l'emmènerait, on le déplacerait. Peut-être qu'on aura une maison secondaire dans cinq ans, on ne sait pas, peut-être dans nos caveaux familiaux respectifs, on va sans doute déménager, avec la carrière militaire de Benoit, c'est sur.
C'était le lundi après-midi. Là il y avait très peu de monde, frères et soeurs, parents, témoins de mariage, amis très proches.
ET TOI, COMMENT TU L'AS VECU ?
En fait on est très porté à ce moment là. Parce que il y a toute notre famille et nos amis qui viennent nous témoigner leur amitié et leur amour. Enfin Gaspard ne souffre plus, de fait, enfin il n'est plus malade, car on sait que le corps est malade mais son âme n'est pas malade, donc enfin il est libéré de ce corps trop malade. Et le fait qu'il soit encore sous nos yeux visibles c'est une belle étape pour arriver à la messe. C'était tout un chemin où il n'est plus vivant, c'est comme si on apprivoisait encore un peu plus qu'on ne l'aurait plus sous nos yeux. C'était très doux, de procéder par étapes comme ça. Ca m'a bien plu. Ca nous a bien plu en fait, là je fais un peu le porte-parole de tout le monde. Car les enfants ont toujours voulu participer à chaque étape. Sauf l'habillage.
Quand Gaspard est décédé le mercredi à 18h et que j'avais mes enfants dans les bras parce qu'ils venaient de rencontrer le corps de leur frère décédé, là j'ai pleuré avec eux. Parce que j'ai appris pendant ces deux ans et demi que les enfants, nos enfants, avaient besoin de voir les larmes de leurs parents, pour être capables eux aussi d'exprimer leurs émotions. Mais ça je l'ai appris. Au départ j'étais hyper forte, je ne pleurais pas devant eux, je ne voulais pas craquer. Il a fallu travailler ça. C'est en allant chez le psychologue avec mon fils (les enfants sont suivis depuis deux ans et demi), Arthur a dit à la psychologue, il voulait que je sois là à cette séance, qu'il ne pouvait pas être triste à la maison. A partir de là je me suis dit qu'il ne se le permettait pas car il ne me voyait pas triste, et qu'il fallait que ca change.
Donc j'ai pleuré le soir du décès de Gaspard avec eux. Et puis aussi le lundi avant l'enterrement, en fait j'ai surtout eu très peur ce jour là : ce dernier moment où tu le vois. Il m'a fallu une heure avant l'enterrement, j'ai même refusé de voir des amis à ce moment là, première fois que je n'ouvrais pas la porte de chez moi, je n'étais pas capable. J'étais avec les trois enfants. Gros coup d'angoisse. Je n'ai pas pleuré, plutôt vécu l'angoisse, car j'avais peur du moment.
Au moment où je suis sortie de chez moi, le prêtre qui nous a marié m'a donné son bras pour aller au cimetière, j'avais les 41 roses blanches pour symboliser les 41 mois de Gaspard dans l'autre main, et il m'a amené à Benoit, c'était vraiment très beau.
A partir de ce moment là j'étais confiante, je savais que ça allait bien se passer, que j'allais être portée par Gaspard.
ET DEPUIS ?
C'est marrant parce que depuis 2 mois je me sens portée par Gaspard, on est empli d'une force qu'on n'estimait pas, c'est canon de se sentir porté par lui.
Il était au prés de nous mais il ne pouvait pas nous montrer son amour, nous caresser la main, nous faire des bisous, parler, il nous aimait de tout son coeur mais il y avait une barrière physique, et là on expérimente le fait qu'on peut entretenir un lien, une communication avec son âme, c'est très nouveau, et c'est très fort et très puissant car c'est comme si lui, du haut du ciel, nous envoyait tout l'amour qu'il aurait voulu nous envoyer sur la terre, on se sent portés par son amour, c'est un truc de maboule.
Page Facebook de Gaspard, entre Ciel et Terre :
https://www.facebook.com/GaspardentreTerreetCiel/
Au-delà, la Mort en Images #04 Le Deuil d'une famille
Gaspard était un petit garçon atteint de la maladie neurodégénérative de Sandhoff, maladie lysosomale incurable. Il est mort le 1er février 2017 à 3 ans et demi. Sa maman raconte son histoire et les étapes du deuil. Mars, juin et novembre 2017 à Rueil Malmaison.
Fin mars, alors que cela faisait à peine 2 mois que Gaspard avait quitté la Terre, Marie-Axelle, sa maman, a accepté de me parler de la perte de son 4e enfant. Elle raconte le chemin parcouru avec lui et les étapes du deuil qu'ils ont vécu (ci-dessous). En juin je suis retournée la voir à Rueil Malmaison pour photographier la gravure du texte sur la tombe blanche qu'ils avaient choisie. Puis le 1er novembre j'ai pu photogaphier toute la famille réunie au cimetière. Ce jour-là il fait beau. Après avoir réarrangé les fleurs, enlevé les feuilles mortes, joué un peu autour de la tombe, l'agitation diminue et ils se recueillent pour une prière pour Gaspard, pour eux, pour la vie. Si la perte d'un être cher est douloureuse, elle fait grandir chacun et peut souder encore plus une famille.
Entretien avec Marie-Axelle Clermont, 29 mars 2017
LA VIE DE GASPARD
Quand Gaspard est né, on a eu 6 mois où tout n'allait pas trop mal. Je sentais qu'il allait mourir, vraiment, je le sentais à fond. Du coup on s'interrogeait beaucoup, les médecins ne me croyaient pas. A l'été 2014 à Rennes, on a rencontré une pédiatre qui nous a dit qu'on avait raison de nous inquiéter, qu'il fallait continuer à nous inquiéter. On avait rendez-vous fin août, au 1 an de Gaspard, à l'hôpital de Garches. La neuropédiatre nous a tout de suite dit "ok on lance les tests, génétiques et sanguins, pour voir ce qu'il se passe, car il y a un truc qui ne va pas" : il ne se tenait pas la tête, dès que tu le prenais dans tes bras sa tête plongeait, donc il y avait effectivement un problème. Les réactions, les interactions c'était nickel, il gazouillait, papotait, rigolait souvent, mais en motricité il y avait un truc qui n'allait pas.
On a eu les résultats aux 13 mois de Gaspard, le 29 septembre 2014. On apprend donc que Gaspard est atteint d'une maladie neurodégénérative. On était à l'hôpital avec Benoit, les 3 médecins face à nous qui nous ont expliqués la maladie : le système nerveux central est atteint et dégénère car dans le système nerveux central on a tous des petites cellules, à l'intérieur desquelles il y a une enzyme qui s'appelle le lilosome, et qui normalement trie ta cellule pour qu'elle soit toujours efficace. Sauf que là l'enzyme ne fonctionne pas bien donc la cellule ne se trie pas et s'encrasse. Donc tous les déchets organiques s'accumulent, et c'est pour ça que ca s'appelle une maladie de surcharge, qui fait mal fonctionner les cellules, jusqu'à ce qu'elles s'éteignent. Ca détériore alors ton système nerveux, qui commande tout ton corps, tout dégénère et fonctionne mal : les fonctions motrices mais aussi tous les sens, la vue, l'odorat, l'ouïe, etc et toutes les fonctions vitales, la déglutition, la respiration... Donc on apprend ça.
Et puis vient la question : est-ce que Gaspard va mourir ? Ils te regardent dans les yeux et ils te disent "ben oui..." Donc ce jour là, Benoit était très très très triste, très en colère, parce que pendant un an il ne m'avait pas vraiment cru. Il pensait que ça irait mieux, que ce petit garçon allait s'assoir et marcher, et moi pour le coup j'ai été soulagée, enfin des médecins me croyaient, je n'étais pas folle, et on m'a dit "on va vous aider". On a eu deux manières très différentes de le vivre.
Dès l'automne 2014 on a mis en place de la kiné, à l'hôpital de jour à Garches, après le soin à domicile venait lui faire de la kiné à la maison, au départ 2/3 fois par semaine puis après tous les jours. Parce qu'il a perdu la vue à Noël 2015, mais ça ne se voyait pas parce qu'il avait des grands yeux bleus canons, ouverts, et un regard très expressif (il n'avait pas le regard flous ou grisé), il te sondait alors qu'il ne voyait plus, c'était impressionnant. Il entendait très bien encore, car l'ouïe est un des derniers sens qu'on perd quand on meurt, c'est le sens qu'on a vraiment jusqu'à la fin de sa vie, il entendait très bien les personnes parler, arriver vers lui, il tournait ses yeux vers la personne, du coup c'était interpellant.
On avait des séances de psychomotricité, une éducatrice spécialisée aussi et la kiné. Parce qu'à force de ne pas t'asseoir, de ne pas marcher, de ne pas te tenir droit, tes poumons ne fonctionnent pas bien. Tout ce qui normalement s'évacue en déglutissant, en toussant, là ça ne pouvait pas, on l'entendait beaucoup respirer, déglutir fort.
Après, à partir du 1er août 2016, il est resté allongé. Il a vécu les 6 derniers mois de sa vie allongé à la maison, et il ne sortait plus. Il était nourri par sonde gastrique, par tubulures, branché en continue, un tout petit débit qui ne lui faisait pas mal pour digérer. Il avait besoin d'oxygène aussi par le nez. Il y avait plein de machines, c'était impressionnant. Il ne pouvait pas attraper froid non plus car le moindre rhume...
Ca c'était la vie de Gaspard. On a essayé de garder toujours une interaction, on a souvent favorisé l'ouïe, en chantant, en racontant des histoires, par CD, par musiques, on dansait, on le mettait dans nos bras et on le faisait tourner, qu'il entende de la vie ! Au départ on l'avait mis à l'étage et puis finalement on a choisi que toute la vie soit autour de lui, donc on la mis dans la chambre à coté de la cuisine, au rez-de-chaussée, tout le monde vivait autour de lui, c'était plus pratique pour les soignants aussi.
On a eu un peu de mal à avoir l'hospitalisation à domicile. On était en mai 2016, Gaspard était allé à Lourdes avec nous tout début mai 2016. Il est rentré assez affaibli. Il a passé une semaine à l'hôpital et on a voulu le prendre, mais le chef de la pédiatrie n'était pas aussi confiant, je pense qu'il ne voulait pas nous laisser la responsabilité de garder notre enfant à la maison et peut-être aussi à juste titre, il avait moins confiance en tant que parents et soignants et non médecins, il pensait que ça irait plus vite etc. Donc on a fait venir une association parisienne qui s'appelle Paliped (palliatif et pédiatrie), un pédiatre est intervenu, et en accord avec nous, grâce à eux, on a réussi à le sortir de l'hôpital. C'était vraiment notre choix qu'il soit au coeur du foyer, de toute la famille. Aussi car on était capable de porter Gaspard, on parle français (on a rencontré beaucoup d'étrangers à l'hôpital, et c'est compliqué pour eux, la langue est une barrière dans le monde du soin, ils ne comprennent rien, c'est quand même plus simple pour eux d'être sur place et puis certains sont venus pour le soin français, la qualité, certaines opérations qu'en France etc), on a eu de la chance socialement aussi car à ce moment là mon CDD s'est arrêté et je pouvais rester à domicile car Benoit travaille. Donc je passais mes journées pour lui.
ACCEPTER LA MORT
Tout ce chemin là c'est deux ans et demi de vie où tu vois quelqu'un dégénérer tous les jours un petit peu plus et donc tu apprivoise la mort en fait, le décès. On te l'a dit. Ce qui est un peu étrange c'est que paradoxalement on pourrait le dire de chacun, mais comme il y a un protocole de soins, c'est visuel, donc tu apprivoises un peu. Ca n'enlève rien au fait qu'il soit mort maintenant, mais pendant deux ans et demi, tous les jours un petit peu on a quitté quelque chose : on a fait le deuil du rire, des gazouillis, et puis du canapé par exemple car pendant un an il y était semi-assis, et puis les six derniers mois c'était tellement difficile pour lui, ça lui faisait mal aux reins et au coccyx. On a donc passé ensuite beaucoup de temps dans sa chambre, à lui masser les pieds, à faire sentir des odeurs, des huiles essentielles, à lui faire toucher ses peluches... Toutes ces petites étapes là te font avancer vers la mort.
Le fait de ne pas le mettre loin de nous aussi, de pouvoir passer du temps auprès de lui, le mettre à la maison, pour pouvoir plus facilement nous occuper de nos autres enfants aussi. Donc on a rapidement rayé l'hôpital pour lui ajouter de la vie à ses jours qui étaient comptés et le mettre au coeur de notre foyer plutôt que de l'excentrer physiquement.
PARLER DE LA MORT AUX ENFANTS
Pour les enfants en fait c'est simple, c'est hyper dur pour nous adultes et pour eux beaucoup plus simple.
En fait on est parti du jour du diagnostique, en septembre 2014. Ce jour là Benoit est reparti bosser, et je suis allée chercher les enfants à l'école pour le déjeuner. Ils m'ont tout de suite demandé ce que les médecins avaient dit le matin. Je leur ais dit qu'on avait vu trois médecins qui ont dit que Gaspard avait une maladie rare, grave et qu'ils ne pouvaient pas soigner car il n'y avait pas de médicaments pour cela. On a tout de suite différencié en disant que ce n'était pas comme eux quand ils ont un rhume, une angine ou autre qu'on peut soigner. Là c'est impossible. Ils nous ont posé beaucoup de questions très pratiques : est-ce que Gaspard va tenir sa cuillère ? Non il ne pourra pas. Est-ce qu'il va aller à l'école ? Non parce qu'il ne pourra pas marcher, ses jambes ne sont pas assez solides. Etc. Et puis est-ce que Gaspard il va mourir ? Ben oui Gaspard il va mourir. La seule façon d'accepter la mort c'est d'être vrai et leur annoncer la vérité. Je voulais pas dire « un jour Gaspard il va jouer au pays des nuages, prendre le toboggan de l'arc-en-ciel ». C'est pas possible ! Surtout que ça allait se passer sous leurs yeux. Je leur ais répondu en vérité et en limites, ce dont ils avaient besoin aussi. Et puis des petites questions venaient de temps en temps « et maman qu'est-ce que ça va faire quand Gaspard il va mourir ? » : son coeur va s'arrêter, ses poumons ne fonctionneront plus. Et après ? Son âme, l'intérieur de lui-même va monter au ciel, mais c'est invisible. Mais qu'est-ce qu'on fait du corps alors ? Et bien quand on est français catholique, on prend soin du corps et on choisit de l'enterrer au cimetière, dans la terre, après avoir mis le corps dans un cercueil. Alors ils conceptualisaient parce que c'était vrai, c'était ce qui allait se passer. L'âme allait partir, on prendrait soin du corps et un jour toutes nos âmes se retrouveront au paradis. Parce que notre fonction de croyants nous y fait croire. Et c'est ce qui nous porte, de savoir que toutes nos âmes se retrouveront au ciel quand nos corps seront tous morts, ça nous rend confiants et emplis d'espérance car on sait qu'on va se retrouver, c'est une belle perspective. L'espérance du ciel nous console, là maintenant, et nous fait espérer au ciel. Et puis on nous a promis le paradis pour les âmes qui seraient justes, pas celles qui seraient méchantes et iraient en enfer. Donc on doit faire pas mal d'efforts car on a envie de retrouver l'âme de Gaspard au ciel.
QUAND VIENT LA MORT
Donc on a choisi de tout faire à la maison. On n'était pas très surs au départ. On a gardé la possibilité de le ramener à l'hôpital au funérarium si on n'était pas capable de le faire à la maison. Et puis quand le jour du décès est arrivé, mercredi 1er février 2017, il était 18h, j'étais au chevet de Gaspard, les grands étaient à la médiathèque avec ma belle-mère, Louise était dans son bain, Benoit au travail. J'ai senti qu'il allait mourir, je sais pas pourquoi, dans mon coeur de maman j'ai senti. J'ai appelé Benoit, je lui ais dit voilà, je pense qu'il faut que tu rentre parce que je crois que Gaspard va mourir. Et puis 5 minutes après je l'ai rappelé pour lui dire qu'il n'aurait pas le temps de rentrer, qu'il allait mourir là maintenant. J'ai mis le haut parleur pour qu'il lui dise à l'oreille tout ce qu'il voulait. Dans le taxi Benoit lui a parlé. Puis j'ai appelé mes parents pour leur dire la même chose. Puis mon-beau-père, et ma belle-mère qui était partie chercher les enfants à l'école. J'ai raccroché, j'ai mis ma main sous la tête de Gaspard, j'ai pris ses mains et il a rendu son dernier souffle. On l'a vraiment accompagné jusqu'à la fin.
C'était génial parce qu'on a toujours demandé à ce que Gaspard ne souffre pas, qu'on n'en souffre pas trop, qu'on soit pas trop choqués de sa mort, qu'il ne s'étouffe pas, qu'il n'ait pas de mouvements incontrôlables après le décès. Et puis ça a été une respiration. J'ai posé Gaspard, je suis allée chercher Louise et lui ait dit que Gaspard était décédé, son âme est partie au ciel et il nous reste son corps. A ce moment là les autres sont tous rentrés. On était tous autour de lui, tout de suite. Et on s'est dit qu'on était capable de le garder à la maison. On a passé des coups de fil avec l'hôpital etc, la pédiatre pour qu'elle vienne constater la mort de Gaspard, vers 22h. Le lendemain on a appelé les pompes funèbres, après avoir passé la nuit à côté du corps de Gaspard (pas les enfants), on a un peu veillé, appelé nos frères et soeurs, parents, certains sont venus. Les pompes funèbres ont envoyé un thanatopracteur. On avait ouvert le dossier depuis un an au service catholique des funérailles de Versailles. Le thanatopracteur est arrivé. Et là on s'est demandé comment ca allait se passer. Première fois qu'on vivait ça car avant c'était nos parents qui géraient pour les grands parents etc. On lui a demandé ce qu'il allait faire sur le corps de Gaspard. Il a dit que ça dépendait du moment où on voulait faire les funérailles, il pouvait changer les fluides, mettre des produits etc si on voulait plus de temps pour l'organisation. Et puis on s'est dit "ça va, il a été déjà hyper médicamenté, eu plein de produits donc non". En plus le corps d'un tout petit se détériore plus vite donc il a fallu être rapide. Et là c'est la seule étape où on n'a pas été là, on ne voulait pas voir ça. L'infirmière qui était devenue une proche a accepté de l'habiller. On les a laissé tous les deux. On avait choisi la tenue avec les enfants. Trente minutes après c'était fait. Elle nous a dit qu'on avait eu raison de ne pas y assister.
Et puis là un mec génial arrive, un grand afro, avec des dreads jusque là, on ouvre, il avait le cercueil enroulé de cellophane et il a dit « J'pose ça où ? » (rires).
On a eu des visites toute l'après-midi, amis, familles, des prêtres, il y a eu des prières, des chants. Tout était doux, c'était beau.
Là on arrive au jeudi soir. Benoit a dormi avec le corps de Gaspard, on avait installé un matelas la dernière année car il y avait des réveils nocturnes, il vomissait beaucoup les 6 derniers mois, fallait le veiller tout le temps. Et moi j'ai dormi là-haut, chacun a fait ce qu'il voulait. Les enfants ont continué à le caresser, à lui mettre un CD de comptines. C'était très beau.
Le vendredi les pompes funèbres arrivent, c'est la mise en bière. On a déballé le cercueil qu'on a installé sur des tabourets dans sa chambre. On avait éteint le chauffage pour que la conservation du corps se passe bien, tout ça. Et la nana nous demande de sortir au moment de l'installer dans le cercueil mais on voulait rester. Benoit a voulu l'installer lui-même, et du coup les enfants aussi voulaient rester aussi. Et donc on a vécu ça en famille, notre noyau familial, avec la dame, les autres étaient dans le salon. Ensuite on a fait revenir notre famille pour qu'ils le voient dans le cercueil. Effectivement il y a eu la fermeture du cercueil le vendredi soir ou le samedi matin, le 3 février. Et les enfants ont voulu visser. On avait choisi un cercueil en chêne massif, on ne voulait pas un cercueil blanc. Pour nous c'était un petit chevalier, il a vécu bien plus que nous en trois ans et demi de souffrance, de coeur à coeur avec tous les gens qui venaient le visiter tous les jours, on voulait un cercueil « d'homme ». Les enfants ont mis les vis. C'est posé la question du cache vis, le détail insignifiant, les enfants argumentaient, tel ou tel. Mais c'était tout naturel, on discutait : que veux-tu faire, pas faire, à quoi veux-tu assister, pas assister etc.
On avait mis chacun un objet dans le cercueil : son petit coussin sous sa tête, son doudou, sa croix de l'ordre de malte, une barrette de médailles que plein de gens lui avaient offertes, un petit noeud en liberty avec une image de la sainte Vierge, plein de souvenirs qui lui correspondaient.
LA CEREMONIE RELIGIEUSE
Nos soeurs et belles-soeurs nous ont beaucoup aidés, elles ont fait tout le livret des funérailles, un ami nous a offert l'impression des 2000 exemplaires. On savait qu'il y aurait beaucoup beaucoup de monde et on devait être un bon millier (NB : un blog avait été créé, Marie-Axelle et Benoit publiaient régulièrement des nouvelles de Gaspard, s'investissant dans des associations etc)
La voiture est venue le samedi 4 février. Les pompes funèbres ont descendu le cercueil pour le mettre dans la voiture. A ce moment là j'avais demandé à ce qu'il n'y ait pas de fleurs, simple, « chevalier » quoi. On s'est retrouvé à la cathédrale Saint Louis de Versailles à 10h pour la messe des funérailles. C'était une très belle messe, célébrée par huit prêtres qui ont marqué la vie de Gaspard, et une trentaine de nos amis de Versailles, Chaville, Paris nous ont fait la surprise de faire une chorale. J'avais mis des grandes gerbes de lys blancs autour du cercueil. On s'est appuyé sur les chants de l'Emmanuel, portés sur l'amour de Dieu. Et on a réuni tous nos proches dans une salle prêtée par un curé.
L'INHUMATION
Gaspard, le corps de Gaspard, est parti au funérarium de Rueil Malmaison, au cimetière ancien, on n'a pas pu l'enterrer le samedi, parce qu'on a du acheter un caveau dans le cimetière et c'était pas possible de construire un caveau bétonné en 48h donc pendant deux jours, jusqu'au lundi, il est resté au furnérarium. On a pris un caveau 1 place pour 15 ans car on s'est dit que potentiellement quand on déménagerait de Rueil, on l'emmènerait, on le déplacerait. Peut-être qu'on aura une maison secondaire dans cinq ans, on ne sait pas, peut-être dans nos caveaux familiaux respectifs, on va sans doute déménager, avec la carrière militaire de Benoit, c'est sur.
C'était le lundi après-midi. Là il y avait très peu de monde, frères et soeurs, parents, témoins de mariage, amis très proches.
ET TOI, COMMENT TU L'AS VECU ?
En fait on est très porté à ce moment là. Parce que il y a toute notre famille et nos amis qui viennent nous témoigner leur amitié et leur amour. Enfin Gaspard ne souffre plus, de fait, enfin il n'est plus malade, car on sait que le corps est malade mais son âme n'est pas malade, donc enfin il est libéré de ce corps trop malade. Et le fait qu'il soit encore sous nos yeux visibles c'est une belle étape pour arriver à la messe. C'était tout un chemin où il n'est plus vivant, c'est comme si on apprivoisait encore un peu plus qu'on ne l'aurait plus sous nos yeux. C'était très doux, de procéder par étapes comme ça. Ca m'a bien plu. Ca nous a bien plu en fait, là je fais un peu le porte-parole de tout le monde. Car les enfants ont toujours voulu participer à chaque étape. Sauf l'habillage.
Quand Gaspard est décédé le mercredi à 18h et que j'avais mes enfants dans les bras parce qu'ils venaient de rencontrer le corps de leur frère décédé, là j'ai pleuré avec eux. Parce que j'ai appris pendant ces deux ans et demi que les enfants, nos enfants, avaient besoin de voir les larmes de leurs parents, pour être capables eux aussi d'exprimer leurs émotions. Mais ça je l'ai appris. Au départ j'étais hyper forte, je ne pleurais pas devant eux, je ne voulais pas craquer. Il a fallu travailler ça. C'est en allant chez le psychologue avec mon fils (les enfants sont suivis depuis deux ans et demi), Arthur a dit à la psychologue, il voulait que je sois là à cette séance, qu'il ne pouvait pas être triste à la maison. A partir de là je me suis dit qu'il ne se le permettait pas car il ne me voyait pas triste, et qu'il fallait que ca change.
Donc j'ai pleuré le soir du décès de Gaspard avec eux. Et puis aussi le lundi avant l'enterrement, en fait j'ai surtout eu très peur ce jour là : ce dernier moment où tu le vois. Il m'a fallu une heure avant l'enterrement, j'ai même refusé de voir des amis à ce moment là, première fois que je n'ouvrais pas la porte de chez moi, je n'étais pas capable. J'étais avec les trois enfants. Gros coup d'angoisse. Je n'ai pas pleuré, plutôt vécu l'angoisse, car j'avais peur du moment.
Au moment où je suis sortie de chez moi, le prêtre qui nous a marié m'a donné son bras pour aller au cimetière, j'avais les 41 roses blanches pour symboliser les 41 mois de Gaspard dans l'autre main, et il m'a amené à Benoit, c'était vraiment très beau.
A partir de ce moment là j'étais confiante, je savais que ça allait bien se passer, que j'allais être portée par Gaspard.
ET DEPUIS ?
C'est marrant parce que depuis 2 mois je me sens portée par Gaspard, on est empli d'une force qu'on n'estimait pas, c'est canon de se sentir porté par lui.
Il était au prés de nous mais il ne pouvait pas nous montrer son amour, nous caresser la main, nous faire des bisous, parler, il nous aimait de tout son coeur mais il y avait une barrière physique, et là on expérimente le fait qu'on peut entretenir un lien, une communication avec son âme, c'est très nouveau, et c'est très fort et très puissant car c'est comme si lui, du haut du ciel, nous envoyait tout l'amour qu'il aurait voulu nous envoyer sur la terre, on se sent portés par son amour, c'est un truc de maboule.
Page Facebook de Gaspard, entre Ciel et Terre :
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