Au-delà, la Mort en Images #01 Cimetière de Montreuil
WORK IN PROGRESS
Travail au long cours sur le thème de la mort, je débute par un reportage d'une année au cimetière de Montreuil, ici en janvier, février et mars 2017.
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Janvier 2017
Ce lundi, après deux rendez-vous avec l'élu au cimetière et son adjoint, je démarre concrètement ce projet autour de la mort.
Thierry, mon référent sur place, me présente et me fait un petit état des lieux. Il y a Corine et Audrey qui l'assistent au bureau pour la partie administrative, les prises de rendez-vous, les archives, les inscriptions dans les registres, l'accueil... Du coté des agents techniques je rencontre Richard, Ismaël et Christopher, dernier arrivé dans l'équipe.
Dans le petit van, Richard part faire un état des lieux d'une sépulture dans laquelle va être créé un nouveau caveau par des marbriers de pompes funèbres extérieurs au cimetière. Avec la tablette, Richard remplit ses fiches minutieusement, vérifie également l'état des tombes adjacentes afin de s'assurer si les travaux les abimaient. La tablette est toute neuve, et c'est un petit pas de modernisation qui n'est pas pour lui déplaire : « les feuilles ça s'envolent tout le temps et quand il pleut, c'est la galère ».
Richard part ensuite dans la partie nouvelle du cimetière, de l'autre coté de la route, vérifier avec un autre agent de pompes funèbres, le nombre de personnes dans un caveau d'une association israélites. Une cérémonie va avoir lieu dans une heure, il faut s'assurer qu'il y a de la place et que tout correspond aux fiches du cimetière.
Chaque tombe est répertoriée informatiquement, ou du moins cette mise à jour est en cours depuis plusieurs années. Au fil du temps certains papiers se sont perdus ou ne sont pas lisibles, certains mouvements de tombes n'ont pas été répertoriés, alors à chaque fois qu'une sépulture est ouverte et qu'ils en ont l'occasion, les agents vérifient leurs données et les actualisent.
Richard en profite pour me faire une visite guidée des lieux. Le cimetière de Montreuil est grand, il y a près de 70 000 personnes qui y sont enterrées. Il est multiculturel aussi. Il y a un espace orthodoxe, un autre musulman et un pour les gens du voyage, il y a le carré des enfants, celui des indigents et celui des urnes.
En attendant l'inhumation de 11h je me promène dans les allées, entre les tombes, observe les inscriptions et les attentions des vivants aux morts. Ce jour là, c'est tout à fait l'ambiance qu'on peut se faire d'un cimetière : le ciel gris est chargé, il fait froid et se met à pleuvoir. Il n'y a personne, pas un bruit.
A l'heure prévue je retrouve Ismaël, qui va assister, un peu à l'écart mais très observateur, à l'inhumation israélite, afin de constater le bon déroulement et les éventuels problèmes avec la famille ou les services extérieurs, le respect de certaines règles également. Cette fois-ci il y a peu de monde, quatre ou cinq proches, et l'inhumation n'aura duré qu'une trentaine de minutes. Tout s'est bien passé.
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Une semaine plus tard je retourne sur mon nouveau lieu de travail. Je souhaite couvrir l'activité du cimetière pendant une année, et il me paraît important, surtout au début d'y aller régulièrement pour prendre mes marques, établir une relation avec les agents, m'habituer, au grès des évènements qui rythment la vie ce petit village qu'est un cimetière.
Il est 7h quand on se retrouve à l'ancien cimetière, Thierry, un agent de pompes funèbres, un sous-traitant et une jeune femme qui vient assister à l'exhumation du corps de sa maman, décédée quelques années plus tôt. Il fait nuit et pas bien chaud. Les exhumations ont toujours lieu tôt le matin, avant l'ouverture du cimetière au public, à 8h30. Il y a encore quelques années les exhumations pouvaient se faire en pleine journée, mais il a été finalement décidé qu'elles auraient lieu le matin, à l'abri des regards.
Nous attendons les quatre porteurs qui transporteront le cercueil dans sa nouvelle enveloppe, en zinc et hermétiquement fermée, jusqu'à l'aéroport.
Au moment de la mort de la mère, les services de la ville n'ont pas réussi à contacter les membres de la famille. La femme a donc été enterrée dans le carré des indigents, celui réservés aux personnes n'ayant pas d'entourage connu de la mairie et pour les familles n'ayant que peu de moyens. Officiellement les corps y restent cinq années avant de laisser la place à d'autres morts, mais en moyenne ils y restent plutôt huit ans. Dans cet espace, tout le monde est enterré de la même façon, il n'est pas fait distinction de tradition et de culture.
Deux ans plus tard, la famille de la défunte a réussi à retrouver sa trace. Musulmans, ils souhaitent donc rapatrier le corps au Maroc. La tradition musulmane veut que le corps d'un défunt soit enterré en pleine terre, enveloppé d'un voile blanc. Cette fois-ci, avec la décomposition et par respect pour le corps, c'est le cercueil tout entier qui sera enveloppé de ce voile lors de la cérémonie sur sa terre d'origine, et enterré ainsi.
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Février 2017
Ce jour là, je viens un peu sans but, Thierry ne m'a pas dit qu'une activité particulière avait lieu mais il fait beau, ce qui n'a pas été le cas depuis un moment. Je fais donc une petite balade sous le soleil, l'ambiance est quand même bien plus agréable.
Dans le bureau avec Corine et Audrey, j'écoute des bribes de conversation.
Audrey est au téléphone: "Combien d'enfants avait Guy ? Non mais ça ne me dit pas s'il avait des enfants. Ah un fils, OK. Et donc la mise en bière est à quelle heure ? Départ 9h30. Il y a une église ? A 10h30 je suppose. Tu m'as dit qu'il y avait des soins ?"
C'est toujours un peu irréel, je ne suis pas encore habituée à ce discours, ca me fait sourire de les entendre parler de corps et de morts ainsi. C'est bien normal, mais on n'en a tellement pas l'habitude.
Je me dis qu'il faut que je termine de lire le premier tome de « Mes Sincères Condoléances », un recueil de moments vécus ou entendus, d'un croque-mort, comme on les appelle parfois, breton : Guillaume Bailly. Ce livre est plein d'anecdotes, plus ou moins drôles mais qui témoignent d'une réalité méconnue. Et puis ca fait du bien de rire de la mort !
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C'était un mardi. Ils sont venus en famille, la femme du défunt, ses enfants, son gendre et son petit-fils. Silencieusement ils se recueillent autour de l'urne, et observe les agents faire leur travail : l'employé des pompes funèbres et Richard qui supervise cette cérémonie. Ce dernier fermera hermétiquement le petit emplacement dédié aux cendres. Puis la famille, bouddhiste, brulera de l'encens, en toute intimité.
De leur coté, Ismaël, Christopher, Patrick et Jacques font du décaissement de l'autre coté du cimetière en vue d'herber le chemin, l'entretenir et rendre le cimetière plus accueillant.
Ce sont des taches habituelles pour les agents, tout comme désherber ou nettoyer les murs. L'entretien du cimetière est fondamental pour en faire un lieu agréable malgré tout. Et c'est la politique de la ville et sans doute des villes en général, de ne plus laisser ces lieux à l'abandon, ces lieux de silence où certains viennent parfois simplement pour déjeuner au calme.
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A la fin du mois, Thierry m'avait prévenu, il n'était pas sur que je puisse photographier cette cérémonie, mais nous l'avons tenté. Après avoir demandé à un ami de la famille concernée, Thierry me dit qu'il ne faut plutôt pas que je photographie l'inhumation, ou carrément à l'écart, de loin. On se poste alors tous les deux au loin. Il s'agit d'un rom décédé et dont les très nombreux proches viennent pour un dernier salut. Plusieurs dizaines de voitures s'immiscent dans le cimetière. On distingue les paroles de ce qui ressemble à un sermon. Il pleut, les parapluies sont sortis, les costumes sont noirs, c'est tout à fait l'image qu'on a d'un enterrement.
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Mars 2017
Il est 7h, mais les jours se rallongent et l'exhumation s'annonce plus lumineuse que la première. Cette fois-ci il n'y a pas de famille présente. Deux corps vont être exhumés par Jean-François, pour un regroupement familial. De plus en plus de français déménagent aussi leurs défunts lorsqu'ils vont s'installer ailleurs. Ils emmènent leurs morts pour rester près d'eux : des membres de la famille à part entière.
Jean-François, graveur et marbrier, travaille seul, et sa mère vient parfois lui donner un coup de main. Elle est à la retraite mais a créé cette entreprise familiale avec son mari, aujourd'hui décédé. Thierry supervise les opérations et contrôle le bon déroulement.
La veille Jean-François est venu ouvrir cette tombe en pleine terre, avant de repartir en la couvrant d'une bâche. Aujourd'hui il va donc sortir les corps, séparer les déchets des ossements qu'il placera dans un reliquaire. Il enfile sa combinaison blanche et descend dans le trou. L'opération prend environ une heure.
Il y a une femme, et un homme. Sans doute les grands-parents. Il me fait remarquer que les corps sont assez propres, la décomposition a été bien entamée, il n'y a pas de chaires comme cela peut arriver parfois. Et dans ce cas c'est toujours un peu plus dur à gérer. « Les femmes avec des bas c'est au top » me dit-il, « ça permet de bien tout récupérer ». Avec Thierry ils discutent du métier, et Jean-François n'est pas avare de petites blagues. « On rigole aussi dans le métier, heureusement. Mais jamais du défunt ! »
Une fois terminé, il devra remettre la terre dans le trou et livrer le reliquaire qui aura été préalablement scellé par les services de police.
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Nouvelle exhumation ce jour là. Les deux marbriers sont là, la responsable des PFG et un porteur. Les marbriers ce sont eux qui ouvrent les sépultures, les posent et font les semelles. Ils aident cette fois-ci le porteur a sortir un premier cercueil, qui date de 2016, pour accéder au corps qui doit être exhumé. Il s'agit d'une réduction de corps : il va être placé dans un reliquaire afin de libérer de l'espace dans le caveau, car une inhumation aura lieu dans quelques jours et le nouveau cercueil doit pouvoir rentrer dans ce caveau de quatre places.
La loi stipule qu'on ne réduit pas les corps dans les cinq ans suivants l'inhumation. En pratique l'attente est toujours un peu plus longue et il y a plusieurs critères à prendre en compte qui agiront sur la décomposition du corps : une sépulture en pleine terre ou en caveau, la prise régulière de médicaments, l'âge du défunt...
Au fur et à mesure de l'opération, Thierry se rend compte qu'un corps qui devait être à tel étage n'est en fait pas au bon, ils réorganisent la chose (dont ils donneront les détails à Audrey qui mettra les papiers à jour) et le marbrier descend à chaque fois un peu plus profondément dans le trou, jusqu'à accéder au fond du caveau. Là on s'aperçoit qu'il est remplit d'eau, apparemment le cercueil n'est pas immergé, et cela est assez commun.
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1er novembre 2017, après plusieurs mois je retourne au cimetière. Une partie du carré des soldats morts pour la France a été rénovée, l'herbe a poussé là où les agents faisaient des travaux au début de l'année, les fleurs envahissent les tombes, il fait beau, le lieu est paisible et finalement, plutôt gaie...
Au-delà, la Mort en Images #01 Cimetière de Montreuil
WORK IN PROGRESS
Travail au long cours sur le thème de la mort, je débute par un reportage d'une année au cimetière de Montreuil, ici en janvier, février et mars 2017.
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Janvier 2017
Ce lundi, après deux rendez-vous avec l'élu au cimetière et son adjoint, je démarre concrètement ce projet autour de la mort.
Thierry, mon référent sur place, me présente et me fait un petit état des lieux. Il y a Corine et Audrey qui l'assistent au bureau pour la partie administrative, les prises de rendez-vous, les archives, les inscriptions dans les registres, l'accueil... Du coté des agents techniques je rencontre Richard, Ismaël et Christopher, dernier arrivé dans l'équipe.
Dans le petit van, Richard part faire un état des lieux d'une sépulture dans laquelle va être créé un nouveau caveau par des marbriers de pompes funèbres extérieurs au cimetière. Avec la tablette, Richard remplit ses fiches minutieusement, vérifie également l'état des tombes adjacentes afin de s'assurer si les travaux les abimaient. La tablette est toute neuve, et c'est un petit pas de modernisation qui n'est pas pour lui déplaire : « les feuilles ça s'envolent tout le temps et quand il pleut, c'est la galère ».
Richard part ensuite dans la partie nouvelle du cimetière, de l'autre coté de la route, vérifier avec un autre agent de pompes funèbres, le nombre de personnes dans un caveau d'une association israélites. Une cérémonie va avoir lieu dans une heure, il faut s'assurer qu'il y a de la place et que tout correspond aux fiches du cimetière.
Chaque tombe est répertoriée informatiquement, ou du moins cette mise à jour est en cours depuis plusieurs années. Au fil du temps certains papiers se sont perdus ou ne sont pas lisibles, certains mouvements de tombes n'ont pas été répertoriés, alors à chaque fois qu'une sépulture est ouverte et qu'ils en ont l'occasion, les agents vérifient leurs données et les actualisent.
Richard en profite pour me faire une visite guidée des lieux. Le cimetière de Montreuil est grand, il y a près de 70 000 personnes qui y sont enterrées. Il est multiculturel aussi. Il y a un espace orthodoxe, un autre musulman et un pour les gens du voyage, il y a le carré des enfants, celui des indigents et celui des urnes.
En attendant l'inhumation de 11h je me promène dans les allées, entre les tombes, observe les inscriptions et les attentions des vivants aux morts. Ce jour là, c'est tout à fait l'ambiance qu'on peut se faire d'un cimetière : le ciel gris est chargé, il fait froid et se met à pleuvoir. Il n'y a personne, pas un bruit.
A l'heure prévue je retrouve Ismaël, qui va assister, un peu à l'écart mais très observateur, à l'inhumation israélite, afin de constater le bon déroulement et les éventuels problèmes avec la famille ou les services extérieurs, le respect de certaines règles également. Cette fois-ci il y a peu de monde, quatre ou cinq proches, et l'inhumation n'aura duré qu'une trentaine de minutes. Tout s'est bien passé.
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Une semaine plus tard je retourne sur mon nouveau lieu de travail. Je souhaite couvrir l'activité du cimetière pendant une année, et il me paraît important, surtout au début d'y aller régulièrement pour prendre mes marques, établir une relation avec les agents, m'habituer, au grès des évènements qui rythment la vie ce petit village qu'est un cimetière.
Il est 7h quand on se retrouve à l'ancien cimetière, Thierry, un agent de pompes funèbres, un sous-traitant et une jeune femme qui vient assister à l'exhumation du corps de sa maman, décédée quelques années plus tôt. Il fait nuit et pas bien chaud. Les exhumations ont toujours lieu tôt le matin, avant l'ouverture du cimetière au public, à 8h30. Il y a encore quelques années les exhumations pouvaient se faire en pleine journée, mais il a été finalement décidé qu'elles auraient lieu le matin, à l'abri des regards.
Nous attendons les quatre porteurs qui transporteront le cercueil dans sa nouvelle enveloppe, en zinc et hermétiquement fermée, jusqu'à l'aéroport.
Au moment de la mort de la mère, les services de la ville n'ont pas réussi à contacter les membres de la famille. La femme a donc été enterrée dans le carré des indigents, celui réservés aux personnes n'ayant pas d'entourage connu de la mairie et pour les familles n'ayant que peu de moyens. Officiellement les corps y restent cinq années avant de laisser la place à d'autres morts, mais en moyenne ils y restent plutôt huit ans. Dans cet espace, tout le monde est enterré de la même façon, il n'est pas fait distinction de tradition et de culture.
Deux ans plus tard, la famille de la défunte a réussi à retrouver sa trace. Musulmans, ils souhaitent donc rapatrier le corps au Maroc. La tradition musulmane veut que le corps d'un défunt soit enterré en pleine terre, enveloppé d'un voile blanc. Cette fois-ci, avec la décomposition et par respect pour le corps, c'est le cercueil tout entier qui sera enveloppé de ce voile lors de la cérémonie sur sa terre d'origine, et enterré ainsi.
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Février 2017
Ce jour là, je viens un peu sans but, Thierry ne m'a pas dit qu'une activité particulière avait lieu mais il fait beau, ce qui n'a pas été le cas depuis un moment. Je fais donc une petite balade sous le soleil, l'ambiance est quand même bien plus agréable.
Dans le bureau avec Corine et Audrey, j'écoute des bribes de conversation.
Audrey est au téléphone: "Combien d'enfants avait Guy ? Non mais ça ne me dit pas s'il avait des enfants. Ah un fils, OK. Et donc la mise en bière est à quelle heure ? Départ 9h30. Il y a une église ? A 10h30 je suppose. Tu m'as dit qu'il y avait des soins ?"
C'est toujours un peu irréel, je ne suis pas encore habituée à ce discours, ca me fait sourire de les entendre parler de corps et de morts ainsi. C'est bien normal, mais on n'en a tellement pas l'habitude.
Je me dis qu'il faut que je termine de lire le premier tome de « Mes Sincères Condoléances », un recueil de moments vécus ou entendus, d'un croque-mort, comme on les appelle parfois, breton : Guillaume Bailly. Ce livre est plein d'anecdotes, plus ou moins drôles mais qui témoignent d'une réalité méconnue. Et puis ca fait du bien de rire de la mort !
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C'était un mardi. Ils sont venus en famille, la femme du défunt, ses enfants, son gendre et son petit-fils. Silencieusement ils se recueillent autour de l'urne, et observe les agents faire leur travail : l'employé des pompes funèbres et Richard qui supervise cette cérémonie. Ce dernier fermera hermétiquement le petit emplacement dédié aux cendres. Puis la famille, bouddhiste, brulera de l'encens, en toute intimité.
De leur coté, Ismaël, Christopher, Patrick et Jacques font du décaissement de l'autre coté du cimetière en vue d'herber le chemin, l'entretenir et rendre le cimetière plus accueillant.
Ce sont des taches habituelles pour les agents, tout comme désherber ou nettoyer les murs. L'entretien du cimetière est fondamental pour en faire un lieu agréable malgré tout. Et c'est la politique de la ville et sans doute des villes en général, de ne plus laisser ces lieux à l'abandon, ces lieux de silence où certains viennent parfois simplement pour déjeuner au calme.
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A la fin du mois, Thierry m'avait prévenu, il n'était pas sur que je puisse photographier cette cérémonie, mais nous l'avons tenté. Après avoir demandé à un ami de la famille concernée, Thierry me dit qu'il ne faut plutôt pas que je photographie l'inhumation, ou carrément à l'écart, de loin. On se poste alors tous les deux au loin. Il s'agit d'un rom décédé et dont les très nombreux proches viennent pour un dernier salut. Plusieurs dizaines de voitures s'immiscent dans le cimetière. On distingue les paroles de ce qui ressemble à un sermon. Il pleut, les parapluies sont sortis, les costumes sont noirs, c'est tout à fait l'image qu'on a d'un enterrement.
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Mars 2017
Il est 7h, mais les jours se rallongent et l'exhumation s'annonce plus lumineuse que la première. Cette fois-ci il n'y a pas de famille présente. Deux corps vont être exhumés par Jean-François, pour un regroupement familial. De plus en plus de français déménagent aussi leurs défunts lorsqu'ils vont s'installer ailleurs. Ils emmènent leurs morts pour rester près d'eux : des membres de la famille à part entière.
Jean-François, graveur et marbrier, travaille seul, et sa mère vient parfois lui donner un coup de main. Elle est à la retraite mais a créé cette entreprise familiale avec son mari, aujourd'hui décédé. Thierry supervise les opérations et contrôle le bon déroulement.
La veille Jean-François est venu ouvrir cette tombe en pleine terre, avant de repartir en la couvrant d'une bâche. Aujourd'hui il va donc sortir les corps, séparer les déchets des ossements qu'il placera dans un reliquaire. Il enfile sa combinaison blanche et descend dans le trou. L'opération prend environ une heure.
Il y a une femme, et un homme. Sans doute les grands-parents. Il me fait remarquer que les corps sont assez propres, la décomposition a été bien entamée, il n'y a pas de chaires comme cela peut arriver parfois. Et dans ce cas c'est toujours un peu plus dur à gérer. « Les femmes avec des bas c'est au top » me dit-il, « ça permet de bien tout récupérer ». Avec Thierry ils discutent du métier, et Jean-François n'est pas avare de petites blagues. « On rigole aussi dans le métier, heureusement. Mais jamais du défunt ! »
Une fois terminé, il devra remettre la terre dans le trou et livrer le reliquaire qui aura été préalablement scellé par les services de police.
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Nouvelle exhumation ce jour là. Les deux marbriers sont là, la responsable des PFG et un porteur. Les marbriers ce sont eux qui ouvrent les sépultures, les posent et font les semelles. Ils aident cette fois-ci le porteur a sortir un premier cercueil, qui date de 2016, pour accéder au corps qui doit être exhumé. Il s'agit d'une réduction de corps : il va être placé dans un reliquaire afin de libérer de l'espace dans le caveau, car une inhumation aura lieu dans quelques jours et le nouveau cercueil doit pouvoir rentrer dans ce caveau de quatre places.
La loi stipule qu'on ne réduit pas les corps dans les cinq ans suivants l'inhumation. En pratique l'attente est toujours un peu plus longue et il y a plusieurs critères à prendre en compte qui agiront sur la décomposition du corps : une sépulture en pleine terre ou en caveau, la prise régulière de médicaments, l'âge du défunt...
Au fur et à mesure de l'opération, Thierry se rend compte qu'un corps qui devait être à tel étage n'est en fait pas au bon, ils réorganisent la chose (dont ils donneront les détails à Audrey qui mettra les papiers à jour) et le marbrier descend à chaque fois un peu plus profondément dans le trou, jusqu'à accéder au fond du caveau. Là on s'aperçoit qu'il est remplit d'eau, apparemment le cercueil n'est pas immergé, et cela est assez commun.
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1er novembre 2017, après plusieurs mois je retourne au cimetière. Une partie du carré des soldats morts pour la France a été rénovée, l'herbe a poussé là où les agents faisaient des travaux au début de l'année, les fleurs envahissent les tombes, il fait beau, le lieu est paisible et finalement, plutôt gaie...