LAULUPIDU - LE PEUPLE CHANTANT
Pour qui ne connaît pas l'histoire estonienne, la monumentale fête du chant qui a lieu tous les cinq ans à Tallinn, la capitale, et qui fut sacrée ''chef d'oeuvre du patrimoine oral et immatériel de l'humanité'' par l'Unesco, pourrait faire figure de rassemblement national caractéristique autour du drapeau. Mais on apprend bientôt que la fête de l'indépendance a lieu plus tôt dans l'année, et qu'elle fédère bien moins d'estoniens que cette immense célébration qui rassemble près du quart de la population du pays.
Il faut savoir que l'Estonie indépendante, outre quelques années au début du Xxème siècle, n'existe en tant que telle que depuis 1992, et que ce qui, selon nos manuels, fait le ciment d'une nation, a tôt fait d'être relativisé au regard de l'émotion qui unit, en ce mois de juillet 2014, les 200 000 habitants de ce pays balte, frontalier de la Russie, autour d'une scène à ciel ouvert sur laquelle se produisent pendant trois jours plus de 30 000 choristes venus des quatre coins du pays. C'est principalement la langue estonienne qui fonde l'identité nationale, et, depuis les villages sous la coupe des barons allemands à la Renaissance, aux forêts où prit pied la résistance aux invasions soviétiques, elle fut partout chantée. L'histoire nous apprend bien souvent que ses ressorts sont bien plus complexes qu'on voudrait le croire : la tradition du chant choral est d'importation allemande, comme le fut la volonté tardive de préserver la langue estonienne et ses dialectes...
Mais en ce jour chaud de juillet, l'heure est au recueillement joyeux et au défilé de costumes typiques des régions. Une impressionnante foule bigarrée et disciplinée se meut sagement et presque silencieusement sous le soleil vers le parterre qui fait face à la scène gigantesque. Nulle beuverie, aucun coups bas ne viendront entacher ce moment collectif qu'on aurait tôt fait ici de qualifier d'événement à hauts risques de débordement.
Aux abords de la scène, on respire, on se change, on discute par petits groupes, et on se fait photographier... Sabrina Mariez a préféré, aux panoramiques désincarnés d'une foule massive, les clichés de ceux qui composent la diversité estonienne, depuis les aïeuls du pays Seto, au sud du pays ayant connu les envahisseurs allemands et russes, à la jeunesse, celle-là même que l'exil attire dramatiquement, réduisant à peau de chagrin les locuteurs de l'estonien et fragilisant ainsi l'existence même du pays. Les rêves de la jeunesse estonienne sont les mêmes que ceux de la nôtre, c'est le prix à payer qui diffère, alors que la moitié de Tallinn est d'ores et déjà russophone...
LAULUPIDU - THE SINGING PEOPLE
The monumental singing festival celebrated as an « oral and immaterial world patrimony masterpiece » by the Unesco and which takes place every five years in Tallin, the country capital city. For those who don't know about Estonian history, this event might just look as another patriotic gathering around the national flag. Yet, the independence celebration day actually takes place earlier in the year. It also gathers much less people than this huge celebration in which almost one quarter of the country population takes part.
Except for a few years at the beginning of the 20th century, Estonia has only been independent since 1992. The emotion that unites the 200 000 inhabitants of this baltic country on the Russian border gathered around an open-air stage where 30 000 chorus singers came from all over the country prevails on what our history books could describe as the « basis of a nation ». The Estonian language is the main foundation of the national identity. It has been the singing language since the renaissance, when german barons ruled villages and resistance to Russian invasions came from the forests. History often teaches us that it is more complex that it seems : the oral singing tradition comes from Germany, just as the late wish to preserve the Estonian language and dialects does.
On this hot July day, it is time for happy meditation and national dresses parades. An impressive multicolored and disciplined crowd quietly processes under the sun towards the stalls fronting the huge stage. No drunkenness signs nor act of violence will marr a collective event which could be perceived as a potentially high-risk event around here.
Around the stage, people are resting, changing clothes, talk in small groups et have their pictures taken. Instead of shooting the massive crowd, Sabrina Mariez preferred to take snaps of the Estonian diversity, from the Seto elders who lived under the German and Russian invaders to the young people wishing to leave the country and threatening the very existence of their country by doing so. The dreams of the Estonian youth are the same as ours, but the price to pay is not the same when half of the Tallinn population currently speaks Russian.