Que Jah me pardonne
Loin de Kingston, de la Jamaïque et des Amériques, c'est à Shashamané, une ville au coeur de l'Ethiopie, la terre des hommes au visage brûlé, comme l'appelaient les premiers géographes, que résonnent les chants Rastas. Des chants qui parlent de Dieu, de l'empereur, de liberté retrouvée et de la Terre promise. Ils sont près de 300 Rastas à avoir fait le voyage du retour. Ils sont les invités de l'empereur Haïlé Sélassié qui leur a offert Zion, leur maison, le paradis retrouvé.
Tout commence en 1920, lorsque Marcus Garvey, avocat jamaïcain, crée une compagnie maritime, la Black Star Line. Son rêve, le rapatriement de tous les fils d'esclaves vers l'Afrique (après la découverte des Caraïbes et de l'Amérique par Christophe Colomb, 15 millions d'hommes et de femmes sont arrachés au continent africain). Faillite de la Black Star Line, le rêve s'écroule et Garvey le Moïse noir est jeté en prison. Mais sa prophétie est entendue par les Afro-américains : "Regardez vers l'Afrique, quand un roi noir y sera couronné, alors le jour de la délivrance sera proche." A Addis-Abeba, en 1930, Ras Tafari Makonnen, 225ème descendant du roi Salomon et de la reine de Saba, est couronné Empereur d'Ethiopie, sous le nom d'Haïlé Sélassié, Roi des rois. Pour les Rastas, le message est clair, la prophétie de Marcus Garvey s'est réalisée. Haïlé Sélassié est le fils de Dieu, le dernier Négus, le Messie noir rédempteur tant attendu. L'heure de la délivrance est venue. Mais en 1935, les troupes italiennes de Mussolini qui rêvent de conquête et d'empire colonial envahissent l'Ethiopie. La guerre est totale et le combat inégal : un Goliath fasciste contre un David noir. Les troupes italiennes, mieux équipées, entraînées et commandées, gagnent les premières batailles. Alors, Rastas, Jamaïcains et Afro-américains s'organisent pour soutenir l'effort de guerre et envoyer de l'argent à l'Empereur, leur nouveau Messie. Soutenu par les forces anglaises, l'Empereur retrouve Addis-Abeba sa capitale et son trône en mai 1941. De retour, l'Empereur n'oublie pas l'aide de ces drôles de Rastas, dont il ne soupçonnait auparavant même pas l'existence. Magnanime, il leur offre 500 hectares de ses terres aux portes de la ville de Shashamané, au sud de l'Empire. Les Rastas ont enfin trouvé leur Terre promise.
Mais dans les années 70, alors que l'Empire vit ses derniers fastes, une terrible famine frappe le pays. La révolte gronde et l'armée prend le pouvoir. Un pouvoir socialiste émerge et Haïlé Sélassié, le vieil Empereur déchu, est arrêté. Le Roi des rois meurt en 1974 dans sa prison, malade ou assassiné. Pour les Rastas, les temps sont sinistres. Ils sont perdus sans l'Empereur et le nouveau pouvoir socialiste confisque la moitié de leur terres pour les redistribuer aux paysans éthiopiens.
Aujourd'hui, le flambeau a du mal à se transmettre, la population des Rastas de Shashamané se maintient péniblement. Une "Rapatriation", un retour somme toute limité. Les Rastas et l'Ethiopie, cela ressemble, peut-être, à un rendez-vous manqué.
Ils s'appelent Fajajah, Ras Hailu Tefari, Desmond Martin, Fixy, Ras Kaminda, Brother Hasha Kraya, Klint, Jah Up on, Namumba, Sandrine et Alex, ils viennent de Jamaïque, du Royaume-Uni, de Guadeloupe, du Japon, de La Réunion, de France, de Saint-Vincent. Ils ont brisé leurs chaînes et marché toute une vie pour retrouver Zion, la Terre promise.
Le Rastafarisme, c'est une idée politique, un refus du système et de Babylone, la cité du pouvoir, de l'oppression et du péché. A l'abri des murs colorés de leur temple, les Rastas de Shashamané vivent leur folle utopie, loin de Babylone et de notre monde. Ils étaient les invités de l'Empereur et disent être là pour toujours.
May Jah forgive me
Far from Kingston, Jamaica and the Americas, it is in Shashamané, a city in the heart of Ethiopia, the land of men with burnt faces, as the first geographers called it, that Rastas songs resound. Songs that speak of God, of the emperor, of found freedom and of the Promised Land. Nearly 300 Rastas made the return trip. They are the guests of Emperor Haile Selassie who gave them Zion, their home, their paradise back.
It all began in 1920, when Marcus Garvey, a Jamaican lawyer, created a shipping company, the Black Star Line. His dream, the repatriation of all the sons of slaves to Africa (after Christopher Columbus discovered the Caribbean and America, 15 million men and women were torn from the African continent). Bankruptcy of the Black Star Line, the dream collapsed and Garvey the Black Moses was thrown in jail. But his prophecy is heard by African Americans: "Look to Africa, when a black king is crowned there, then the day of deliverance will be near." In Addis Ababa, in 1930, Ras Tafari Makonnen, 225th descendant of King Solomon and Queen of Sheba, was crowned Emperor of Ethiopia, under the name of Haile Selassie, King of Kings. For the Rastas, the message is clear, Marcus Garvey's prophecy has been fulfilled. Haile Selassie is the son of God, the last Negus, the long-awaited redemptive black Messiah. The hour of deliverance has come. But in 1935, Mussolini's Italian troops, who dreamed of conquest and colonial rule, invaded Ethiopia. The war is total and the struggle unequal: a fascist Goliath against a black David. The Italian troops, better equipped, trained and commanded, won the first battles. So, Rastas, Jamaicans and African-Americans organized themselves to support the war effort and send money to the Emperor, their new Messiah. Supported by British forces, the Emperor returned to Addis Ababa as his capital and throne in May 1941. Back home, the Emperor does not forget the help of these funny Rastas, whose existence he did not even suspect before. Magnanimous, he offered them 500 hectares of his land at the gates of the city of Shashamané, in the south of the Empire. The Rastas have finally found their Promised Land.
But in the 1970s, when the Empire was enjoying its last splendour, a terrible famine struck the country. The revolt rumbles and the army takes power. A socialist power emerges et Haile Selassie, the fallen old Emperor, is arrested. The King of Kings died in 1974 in his prison, ill or murdered. For the Rastas, times are bleak. They are lost without the Emperor and the new socialist power confiscates half of their land and redistributes it to Ethiopian peasants.
Today, the torch has difficulty being passed on, the population of the Shashamané Rastas is barely maintaining itself. A "Repatriation", a limited return. The Rastas and Ethiopia, it may seem like a missed appointment.
They are called Fajajah, Ras Hailu Tefari, Desmond Martin, Fixy, Ras Kaminda, Brother Hasha Kraya, Klint, Jah Up on, Namumba, Sandrine and Alex, they come from Jamaica, the United Kingdom, Guadeloupe, Japan, Reunion Island, France, Saint-Vincent. They have broken their chains and walked a lifetime to find Zion, the Promised Land.
Rastafarianism is a political idea, a rejection of the system and Babylon, the city of power, oppression and sin. Sheltered from the colourful walls of their temple, the Rastas of Shashamané live their mad utopia, far from Babylon and our world. They were the Emperor's guests and say they are here forever.