Le cuir et la baston
Bardés de cuir et d'agressivité, ils font peur aux braves gens. Leur mal de vivre est une misère qui se voulant fureur leur invente un univers, s'accroche à un désordre de mythes, le rock-and-roll, les Hell's Angels, le nazisme.
Cette détresse hurle pour être reconnue. Maurice Lemoine et Yan Morvan racontent en témoin dans le livre "Le cuir et la baston".
Ni juges, ni complices. Il y a derrière l'exotisme de cette délinquance, les contradictions d'une société qui perpétue la violence qu'elle dénonce.
Yan Morvan, un témoin privilégié de la société.
Depuis quarante ans bientôt, Yan Morvan, en véritable chroniqueur au long cours s'est attaché à dessiner l'histoire et le portrait de ceux qui, de rébellions en révoltes assumées se sont affirmés comme les pourfendeurs d'une société qu'ils méprisent, qu'ils agressent, et ce, d'autant plus qu'ils ont le sentiment d'en être exclus. Dans un premier temps, sa méthode de travail nourrie d'intuitions, d'observations et parfois d'affinités avec le mode de vie de ses modèles a permis à Yan de côtoyer patiemment, voire d'infiltrer les réseaux de ces gangs, puisqu'il faut bien les appeler ainsi, jusqu'à démontrer comment ces derniers ont peu à peu élaboré, sans que la société n'y prenne garde, une contre-culture qui conduit à la violence.
Puis, selon une approche toute personnelle qui allie la recherche préalable d'informations historiques et sociales à l'observation des lieux, à celle des sujets et des comportements, enfin à l'analyse du contexte environnemental, il expose devant nos yeux incrédules la fracture sociale qui conduit à la décadence.
Dès 1975, alors qu'il vient de fêter ses vingt ans, le jeune homme rêve d'Amérique, de grands espaces, de modernité, de vitesse, et caresse l'idée de mener une vie d'aventures, de celles qu'ont vécues ses modèles, les grands reporters de Life ou de Paris Match. Toutefois la désillusion est palpable lorsqu'il se retrouve seul avec son Leica, sans mentor, sans agence, sans commande et impécunieux au point d'être contraint d'acheter son film au mètre.
Son aventure à lui, il s'empresse alors de la construire autour de ces groupes de jeunes gens encore accessibles qu'il craint autant qu'il les admire et qui le prennent volontiers à califourchon sur leurs motos pour effectuer des courses sauvages, en plein Paris ou en banlieue. Il apprécie leur audace, leur musique, leur goût pour la vitesse et le danger, et même leurs excès. Lui, le solitaire, trouve avec eux un terrain d'exploration visuelle, un « sujet » et, très vite, il va documenter leur mode de vie, leurs codes vestimentaires, leurs signes de puissance que sont notamment leurs automobiles et leurs motos qui semblent ne jamais les quitter.
De manière un peu traditionnelle, Yan compose en introduction des portraits de groupe posés, de face et en plan large, à la facture classique où les jeunes, le regard le plus souvent centré sur eux-mêmes, occupent l'espace entier de l'image puis, pour ne rien perdre de l'exaltation qu'il ressent dans ce rêve d'Amérique partagé, il cadre de façon plus serrée et plus appuyée les signes de reconnaissance des Teddys, cheveux gominés et bananes élaborées sur le crâne, pattes d'oie qui découpent le visage, chemises au col entrouvert ou retenu par un noeud papillon, jeans serrés et boots luisantes... Comme autant de James Dean ressuscités. Si le système narratif apparait encore un peu balbutiant, l'empathie à l'encontre de ses modèles est réelle et induit un sentiment de nostalgie d'où sourd une émotion retenue.
Bientôt l'écriture se fait plus audacieuse et lorsque Yan débute l'analyse d'une autre jeunesse, celle du « cuir et du baston », celle des Hell's Angels qui puise sa raison d'être dans les excès de l'Amérique, à savoir la violence, le sexe et la drogue, il sait parfaitement composer à la fois son sujet et ses images. Il prend des risques, décrit par exemple ses modèles de dos, de trois quarts face puis trois quarts dos et crée une dynamique visuelle que l'on retrouve par ailleurs dans une image comme celle du pique- nique où il multiplie les plans qui s'entrecroisent.
Ses images fourmillent d'informations sur ses héros dont la tenue vestimentaire, parfaitement décrite, du blouson de cuir constellé de clous aux boots et à la casquette d'officier nazi, des bracelets de cuir aux tatouages élaborés, de la croix du Christ à la croix gammée... En fait des modèles pour une histoire décalée de la mode. La narration se veut précise et subtile pour décrire les êtres et la place qu'occupe chacun d'entre eux dans cette micro société ; les héros sont représentés en majesté, les femmes, quasi absentes, apparaissent le plus souvent comme des objets du désir puis, étrangement, les enfants agissent... Comme des enfants.
L'objectif se déplace de l'extérieur vers l'intérieur, d'une présence ostentatoire à un mode de vie plus intime et sulfureux. Les routes poussiéreuses qui accueillent les exploits mécaniques, les tours désespérantes de banlieue et les parcs assez désolés font bientôt place aux cafés où l'on s'enivre et aux chambres quelque peu délabrées où le sexe est roi.
Le mode narratif marque une progression dans le temps du récit dès que se développent la description des saluts nazis, des bagarres nocturnes entre la noirceur de la nuit et l'éclair du flash, puis celle des beuveries d'alcool qui conduisent le regard dans le vague, ou les approches sexuelles subies ou consenties. Assez curieusement, au milieu de toute cette activité, Yan n'omet pas de travailler, en noir et blanc ou en couleurs, sur les objets et met en exergue, pour mieux signifier leur importance, les insignes nazis, croix gammées notamment, affiches d'Hitler ou têtes de mort- ou les symboles et signes d'appartenance des Hell's Angels que sont leurs tenues vestimentaires ou leurs bolides.
Agnès de Gouvion Saint-Cyr
Extrait d'un texte d'Agnès de Gouvion Saint Cyr concernant son travail sur les Gangs.
The leather and the fight
Armed with leather and aggression, they scare the good people. Their mal de vivre is a misery that wants to be furious and invents a universe for them, clinging to a mess of myths, rock-and-roll, Hell's Angels, Nazism.
This distress cries out to be recognised. Maurice Lemoine and Yan Morvan tell the story as witnesses in the book "Le cuir et la baston".
Neither judges nor accomplices. Behind the exoticism of this delinquency, there are the contradictions of a society that perpetuates the violence it denounces.
Yan Morvan, a privileged witness of society.
For almost forty years, Yan Morvan, as a true chronicler, has been drawing the history and the portrait of those who, from rebellions to assumed revolts, have asserted themselves as the defenders of a society that they despise, that they attack, and this, all the more so as they have the feeling of being excluded. Initially, his working method, nourished by intuition, observation and sometimes affinity with the lifestyle of his models, enabled Yan to patiently rub shoulders with, and even infiltrate, the networks of these gangs, as they must be called, until he demonstrated how they have gradually developed, without society taking notice, a counter-culture that leads to violence.
Then, following a very personal approach which combines the preliminary research of historical and social information with the observation of places, subjects and behaviours, and finally with the analysis of the environmental context, he exposes before our incredulous eyes the social fracture which leads to decadence.
As early as 1975, when he had just turned twenty, the young man dreamed of America, of wide open spaces, of modernity, of speed, and cherished the idea of leading a life of adventure, of the kind lived by his models, the great reporters of Life or Paris Match. However, the disillusionment is palpable when he finds himself alone with his Leica, without a mentor, without an agency, without a commission and so penniless that he is forced to buy his film by the meter.
His own adventure was built around groups of young people who were still accessible, whom he feared as much as he admired, and who willingly took him astride their motorbikes for wild rides in the middle of Paris or the suburbs. He appreciates their audacity, their music, their taste for speed and danger, and even their excesses. He, the loner, finds with them a field of visual exploration, a "subject" and, very quickly, he will document their way of life, their dress codes, their signs of power such as their cars and their motorbikes which seem to never leave them.
In a somewhat traditional way, Yan begins by composing group portraits, front-on and in wide shots, with a classic style in which the young people, most often looking at themselves, occupy the entire space of the image, he frames the signs of recognition of the Teddys more tightly and with more emphasis, gelled hair and elaborate bananas on the skull, crow's feet cutting into the face, shirts with half-open collars or held up by a bow tie, tight jeans and shiny boots. .. Like so many resurrected James Deans. If the narrative system still seems a bit stammering, the empathy towards its models is real and induces a feeling of nostalgia from which a restrained emotion emerges.
Soon the writing becomes more daring and when Yan begins the analysis of another youth, that of "leather and fight", that of the Hell's Angels, which draws its raison d'être from the excesses of America, namely violence, sex and drugs, he knows how to perfectly compose both his subject and his images. He takes risks, describing his models from the back, from three quarters facing and then from three quarters back, creating a visual dynamic that can be seen in an image such as the one of the picnic where he multiplies the shots that intersect.
His images are full of information about his heroes, whose clothing, perfectly described, from the leather jacket studded with nails to the boots and the Nazi officer's cap, from the leather bracelets to the elaborate tattoos, from the cross of Christ to the swastika... In fact, models for an offbeat history of fashion. The narration is precise and subtle to describe the beings and the place each of them occupies in this micro society; the heroes are represented in majesty, the women, almost absent, appear most often as objects of desire and then, strangely, the children act... Like children.
The focus shifts from the outside to the inside, from an ostentatious presence to a more intimate and sulphurous lifestyle. The dusty roads that host mechanical exploits, the despairing suburban towers and the parks that are just a few kilometres from the city.