Ferveurs noires en banlieue parisienne
Une centaine d'Eglises «parallèles» africaines sont implantées en France. Un air de rumba s'échappe d'un entrepôt délabré dans le quartier populaire de La Plaine-Saint-Denis, au nord de Paris. Des familles d'Africains endimanchés descendent des voitures garées sur le trottoir.
On se croirait à l'entrée d'un dancing de banlieue. Mais la musique s'élève ici comme une prière. Chaque dimanche, les fidèles de l'Eglise de Jésus-Christ de l'Esprit de vérité se rassemblent dans ce hangar éclairé au néon où des rangées de chaises en plastique sont disposées devant un autel flanqué d'un orchestre à la mode zaïroise, avec guitare électrique, batterie et choeur de jeunes filles qui swinguent derrière leurs micros.
Les hommes sont parqués d'un côté, les femmes de l'autre, et les enfants ont bien du mal à tenir en place entre les deux. On s'interpelle, on se congratule, chacun tenant dans la main un petit verre dans lequel sera versé le vin de la communion. Puis les musiciens entament un gospel repris à tue-tête par une centaine de voix enthousiastes. Les yeux levés au ciel, le prêtre, en costume-cravate, bat la mesure à grands gestes pendant qu'une femme en boubou, subitement prise de tremblements, tombe en transe au milieu de l'assistance impassible. Elle reprend ses esprits quelques minutes plus tard et se rassoit comme si de rien n'était.
Ponctuée par les chants, les sermons et les incantations, la messe dure près de cinq heures, au bout desquelles les fidèles discutent encore par petits groupes, comme s'ils ne pouvaient se résoudre à redescendre sur terre. Chrétiens célestes, kimbanguistes, chérubins, rosicruciens..., on compte aujourd'hui plus de 500 Eglises "parallèles" sur le continent africain, dont une bonne centaine se sont implantées en France, généralement dans les quartiers de banlieue à forte densité d'immigrés.
Elles sont apparues au début du siècle, quand les indigènes, lassés de voir les missionnaires brûler leurs fétiches et jeter l'anathème sur leurs pratiques traditionnelles, ont commencé à fonder des mouvements religieux indépendants pour s'affranchir de la domination blanche. Prônant avant tout la tolérance et le pluralisme, elles ont inventé des liturgies plus adaptées à la culture africaine, mélangeant allègrement les croyances orthodoxes et les cultes animistes, le vaudou, le messianisme et les superstitions.
Envoyé de Dieu Certaines se réclament de Zion, en référence à Jérusalem et à un courant fondé par un pasteur noir aux Etats-Unis; d'autres ne jurent que par l'Ethiopie, décrite dans la Bible comme la Terre promise africaine. La plus célèbre, l'Eglise kimbanguiste, a été fondée en 1921 par un fils de paysan zaïrois, Simon Kimbangu, qui, après avoir été instruit dans une mission anglicane, s'est proclamé envoyé de Dieu, chargé de délivrer les Noirs de l'esclavage, et a fini ses jours en prison.
Après avoir été longtemps méprisés par les autorités religieuses traditionnelles, ces cultes parallèles ont fini par être reconnus, sinon tolérés: le kimbanguisme, qui compte aujourd'hui plus de 7 millions de fidèles au Zaïre, au Congo et en Angola, fait désormais partie du Conseil oecuménique des Eglises, à Genève, et de la Conférence des Eglises d'Afrique. "Ces religions ont des connotations nationales et ethniques, explique Jean-Claude Barbier, chercheur à l'Institut de recherche scientifique pour le développement et la coopération.
Elles regroupent des fidèles de même origine et de même culture." Ce qui explique qu'elles jouent un rôle important de lieu de rencontre et d'échange dans la communauté immigrée. "Je ne suis pas vraiment croyant, explique un jeune Zaïrois à la sortie de l'entrepôt de La Plaine-Saint-Denis, mais je viens ici tous les dimanches, moins pour prier que pour me replonger dans mes racines et rencontrer des compatriotes."
Charles Gilbert L'Express, le 02/01/1997 En savoir plus : http://www.lexpress.fr/informations/ferveurs-noires-en-banlieue-parisienne_620113.html
Black fervour in the Paris suburbs
Around a hundred African ‘parallel’ churches have been established in France. The sound of rumba music drifts out of a dilapidated warehouse in the working-class neighbourhood of La Plaine-Saint-Denis, north of Paris. African families dressed in their Sunday best get out of cars parked on the pavement.
It feels like the entrance to a suburban dance hall. But here, the music rises like a prayer. Every Sunday, the faithful of the Church of Jesus Christ of the Spirit of Truth gather in this neon-lit hangar where rows of plastic chairs are arranged in front of an altar flanked by a Zairean-style orchestra, with electric guitars, drums and a choir of young girls swinging behind their microphones.
The men are parked on one side, the women on the other, and the children have a hard time staying put between the two. People call out to each other, congratulate each other, each holding a small glass in which the communion wine will be poured. Then the musicians strike up a gospel song, taken up at the top of their voices by a hundred enthusiastic voices. With his eyes raised to the sky, the priest, dressed in a suit and tie, beats time with grand gestures while a woman in a boubou, suddenly overcome with tremors, falls into a trance in the middle of the impassive congregation.
She regains her senses a few minutes later and sits back down as if nothing had happened.
Punctuated by songs, sermons and incantations, the mass lasts nearly five hours, after which the faithful continue to chat in small groups, as if they cannot bring themselves to come back down to earth. Celestial Christians, Kimbanguists, Cherubim, Rosicrucians... today there are more than 500 ‘parallel’ churches on the African continent, of which a good hundred have established themselves in France, generally in suburban neighbourhoods with a high density of immigrants.
They appeared at the beginning of the century, when the natives, tired of seeing missionaries burn their fetishes and condemn their traditional practices, began to found independent religious movements to free themselves from white domination. Advocating above all tolerance and pluralism, they invented liturgies more suited to African culture, cheerfully mixing orthodox beliefs and animist cults, voodoo, messianism and superstitions.
Sent by God Some claim to be from Zion, referring to Jerusalem and a movement founded by a black pastor in the United States; others swear by Ethiopia, described in the Bible as the African Promised Land. The most famous, the Kimbanguist Church, was founded in 1921 by a Zairean farmer's son, Simon Kimbangu, who, after being educated at an Anglican mission, proclaimed himself a messenger of God, charged with delivering Black people from slavery, and ended his days in prison.
After being long despised by the traditional religious authorities, these parallel cults have finally been recognised, if not tolerated: Kimbanguism, which today has more than 7 million followers in Zaire, Congo and Angola, is now part of the World Council of Churches in Geneva and the Conference of African Churches. ‘These religions have national and ethnic connotations,’ explains Jean-Claude Barbier, a researcher at the Scientific Research Institute for Development and Cooperation.
They bring together worshippers of the same origin and culture." This explains why they play an important role as a place for the immigrant community to meet and interact. ‘I'm not really religious,’ explains a young man from Zaire as he leaves the warehouse in La Plaine-Saint-Denis, ‘but I come here every Sunday, less to pray than to reconnect with my roots and meet fellow countrymen.’
Charles Gilbert L'Express, 02/01/1997 Find out more: http://www.lexpress.fr/informations/ferveurs-noires-en-banlieue-parisienne_620113.html