Portraits d'Amérique noire - un été à Harlem
J'étais à New York cet été-là. Avec ma petite caméra et mon sac à dos, je traînais mes converses sur les trottoirs
d'Harlem, j'observais la vie du quartier, tentais des approches auprès du barbier, des joueurs de carte, du vendeur de DVD, des théatreux, des cinéphiles mais rien...
j'étais, malgré ma passion pour l'histoire noire américaine, pour la littérature de James Baldwin, pour les musiques de Gil Scott Heron, des Sly and the Family Stone et de Marvin Gaye,
ici, présente à toutes les soirées cinéma, basket et musicales qu'offrent Harlem et le tout Bronx pendant l'été, mais aussi malgré mon bonnet afro en plein cagnard et mes boucles d'oreilles en bois, je demeurais malgré tout étrangère au quartier.
Je photographie un escalier, on me demande mon accréditation de journaliste.
Je rentre dans un restaurant africain, tous rient de mon accent à la commande de mon repas.
Je passe la porte d'une église pour la repasser dans l'autre sens la minute qui suit, parceque ici, on en a marre des touristes...
Bref, j'en arrive à ne plus oser sortir la caméra ni presque à regarder qui que ce soit.
Jusqu'à un après-midi très chaud.
Où je sors du métro, en nage, pour attérir sur le Boulevard Malcolm X. Cette fois, je ne me suis pas trompée de sortie. Je longe le boulevard en direction du centre Schomburg qui se trouve à quelques blocs de là . Je projette d' y faire des recherches et de rencontrer, qui sait, quelqu'un qui pourrait me donner des contacts de personnes à interviewer.
Au coin de la rue suivante j'aperçois un groupe de jeunes qui joue bruyamment à se jeter de l'eau. Je fais vite un récapitulatif dans ma tête: j'ai dans mon sac ma caméra vidéo, un cahier de notes, mon passeport... Marcher d'un pas assuré, garder son calme, ne pas laisser passer l'anxiété sur son visage.
Le rythme des voitures se fait de plus en plus lent, les gazs des pots d'échappement paraissent stagner à la surface- figée sur place, je suis trempée, de la tête aux pieds. Ne m'ont-ils versé qu'un seul seau d'eau sur la tête ou bien...? Ils courent et rient derrière moi- je sens mon coeur tapper très fort, je pense à ma caméra, à mon bloc-notes, à mes papiers. La honte me prend. Je ne bouge pas. Pendant combien de temps? 15 secondes? Une minute? J'ai les larmes qui montent tout en sentant les regards rivés sur moi. Me retourner et aller leur dire quelque chose? Leur courir après? J'en suis incapable.
Finalement je reprends ma route, la tête baissée, les épaules dégonflées. Lorsqu' une femme sort soudainement de sa voiture en criant "Non mais vous avez vu ça? Pourquoi ils l'ont arrosée? Non mais c'est quoi, ça? Ils sont où ces ...?". "Venez avec moi"- elle me tire par l'épaule jusqu'au vendeur de limonade avec son caddie -un vieux monsieur, de beaux yeux plein d'amour- et lui dit: "Offre-lui une limonade" et "qu'on les ammène ici!" lance-t-elle au groupe des habitués d'à côté qui jouent aux échecs. Je reçois un bon litre de limonade au citron avec une montagne de glaçons dans un gobelet géant, ça fait du bien. J'entame la discussion avec le vieux monsieur qui me fait des blagues. Les habitués se joignent à nous "Ils ne le pensaient pas en mal mademoiselle, ils voulaient attirer votre attention, c'est tout". Une minute plus tard, la femme outrée revient vers nous en tirant derrière elle l'un des coupables. "Sorry" me dit-il et il file à toute vitesse rejoindre ses camarades. Je bois ma limonade et commence déjà à sécher. Après des journées à essayer de leur parler, enfin, c'est arrivé! Quelques minutes plus tard tout le monde repart de son côté, l'incident est clos. Je reste à discuter avec le vendeur de limonade qui me donne des tuyaux et des conseils pour mon film. On discute d'Harlem, de la vie du quartier, de sa vie à lui. Je suis aux anges.
Je reste encore un peu, pour apprendre qu'une manifestation contre l'intervention américaine en Libye aura lieue à Harlem ce dimanche. Je pourrai filmer et photographier, perdue dans la foule, quasi anonyme, ces merveilleux visages de l'Amérique noire, si fière, si rebelle et si unique.
Portraits of Black America - Summer in Harlem
J'étais à New York cet été-là. Avec ma petite caméra et mon sac à dos, je traînais mes converses sur les trottoirs
d'Harlem, j'observais la vie du quartier, tentais des approches auprès du barbier, des joueurs de carte, du vendeur de DVD, des théatreux, des cinéphiles mais rien...
j'étais, malgré ma passion pour l'histoire noire américaine, pour la littérature de James Baldwin, pour les musiques de Gil Scott Heron, des Sly and the Family Stone et de Marvin Gaye,
ici, présente à toutes les soirées cinéma, basket et musicales qu'offrent Harlem et le tout Bronx pendant l'été, mais aussi malgré mon bonnet afro en plein cagnard et mes boucles d'oreilles en bois, je demeurais malgré tout étrangère au quartier.
Je photographie un escalier, on me demande mon accréditation de journaliste.
Je rentre dans un restaurant africain, tous rient de mon accent à la commande de mon repas.
Je passe la porte d'une église pour la repasser dans l'autre sens la minute qui suit, parceque ici, on en a marre des touristes...
Bref, j'en arrive à ne plus oser sortir la caméra ni presque à regarder qui que ce soit.
Jusqu'à un après-midi très chaud.
Où je sors du métro, en nage, pour attérir sur le Boulevard Malcolm X. Cette fois, je ne me suis pas trompée de sortie. Je longe le boulevard en direction du centre Schomburg qui se trouve à quelques blocs de là . Je projette d' y faire des recherches et de rencontrer, qui sait, quelqu'un qui pourrait me donner des contacts de personnes à interviewer.
Au coin de la rue suivante j'aperçois un groupe de jeunes qui joue bruyamment à se jeter de l'eau. Je fais vite un récapitulatif dans ma tête: j'ai dans mon sac ma caméra vidéo, un cahier de notes, mon passeport... Marcher d'un pas assuré, garder son calme, ne pas laisser passer l'anxiété sur son visage.
Le rythme des voitures se fait de plus en plus lent, les gazs des pots d'échappement paraissent stagner à la surface- figée sur place, je suis trempée, de la tête aux pieds. Ne m'ont-ils versé qu'un seul seau d'eau sur la tête ou bien...? Ils courent et rient derrière moi- je sens mon coeur tapper très fort, je pense à ma caméra, à mon bloc-notes, à mes papiers. La honte me prend. Je ne bouge pas. Pendant combien de temps? 15 secondes? Une minute? J'ai les larmes qui montent tout en sentant les regards rivés sur moi. Me retourner et aller leur dire quelque chose? Leur courir après? J'en suis incapable.
Finalement je reprends ma route, la tête baissée, les épaules dégonflées. Lorsqu' une femme sort soudainement de sa voiture en criant "Non mais vous avez vu ça? Pourquoi ils l'ont arrosée? Non mais c'est quoi, ça? Ils sont où ces ...?". "Venez avec moi"- elle me tire par l'épaule jusqu'au vendeur de limonade avec son caddie -un vieux monsieur, de beaux yeux plein d'amour- et lui dit: "Offre-lui une limonade" et "qu'on les ammène ici!" lance-t-elle au groupe des habitués d'à côté qui jouent aux échecs. Je reçois un bon litre de limonade au citron avec une montagne de glaçons dans un gobelet géant, ça fait du bien. J'entame la discussion avec le vieux monsieur qui me fait des blagues. Les habitués se joignent à nous "Ils ne le pensaient pas en mal mademoiselle, ils voulaient attirer votre attention, c'est tout". Une minute plus tard, la femme outrée revient vers nous en tirant derrière elle l'un des coupables. "Sorry" me dit-il et il file à toute vitesse rejoindre ses camarades. Je bois ma limonade et commence déjà à sécher. Après des journées à essayer de leur parler, enfin, c'est arrivé! Quelques minutes plus tard tout le monde repart de son côté, l'incident est clos. Je reste à discuter avec le vendeur de limonade qui me donne des tuyaux et des conseils pour mon film. On discute d'Harlem, de la vie du quartier, de sa vie à lui. Je suis aux anges.
Je reste encore un peu, pour apprendre qu'une manifestation contre l'intervention américaine en Libye aura lieue à Harlem ce dimanche. Je pourrai filmer et photographier, perdue dans la foule, quasi anonyme, ces merveilleux visages de l'Amérique noire, si fière, si rebelle et si unique.