Une vie sur la route
Il est 4h30, la nuit est encore profonde en ce mois d'octobre. Dans le silence de son hangar, Christian Pierre se prépare à prendre la route. Son camion, un DAF de 500 chevaux ronronne doucement, prêt à tirer ses 30 tonnes de bois jusqu'au sommet du col de Larche culminant à près de 2000 mètres d'altitude, frontière la plus proche avec l'Italie, avant de redescendre à travers le Piémont Italien et le pays du Mont Viso. Dans la lumière des phares, quelques cerfs apparaissent sur bord de la route, les renards se cachent et la radio grésille. "La solitude nous offre aussi une plus grande capacité à nous émerveiller de nos voyages murmure-t-il derrière son volant." Parfois ce sont des hommes en vélo qui frôlent les poids-lourd dans la nuit. "Eux, ce sont de vrais esclaves raconte le chauffeur. Payés comme des rats, à chaque camion qui les croisent, ils risquent leur peaux."
Christian est indépendant, il travaille seul et livre principalement des matériaux de construction dans la région, bois, carrelage, pierre ou bardage. "Il y a de nombreux échanges régionaux, entre le Sud-Est de la France, le Nord de l'Italie et la Savoie, explique le chauffeur. C'est une filière dynamique."
Lorsque la lumière du soleil traverse enfin les nuages, le camion avance tranquillement sur les routes étroites de la vallée de Coni, en remontant vers le Nord. Après une rapide pause café, le camion s'engage chez son premier client. Il est 8 heures 10 et un concurrent est déjà sur place. Il faudra attendre qu'il ait pesé et déchargé son fret avant de pouvoir faire de même près d'une heure plus tard. "Chaque chauffeur est responsable de son chargement. On doit donc surveiller le chargement et le déchargement. Parfois on décide de mettre une bâche pour le protéger ou le cacher un peu. C'est un peu stressant."
Ce temps qui s'envole c'est une commande qui s'éloigne et un stress supplémentaire. Les chauffeurs doivent respecter des horaires extrêmement strictes dans l'organisation de leur temps et chaque minute qui file peut bouleverser leur emploi du temps, modifier leurs obligations de pauses légales et rendre impossible certains voyages. "Il faut beaucoup de calme et de sang-froid pour conduire un poids-lourd. À cause de l'inertie et du poids on est obligé d'anticiper beaucoup et de ne pas paniquer. Il faut savoir gérer son stress, celui des clients aussi et s'adapter en permanence. Les autres camions, les voitures, les animaux ou les manoeuvres compliquées, tout ça nous oblige à pas mal de patience."
Après la pesée de la marchandise et un coup de balai sur la remorque, le camion repart pour quelques kilomètres. À travers le pare-brise, les villages défilent avec leurs églises et leurs rue étroites. Le Piémont n'est pas toujours un pays pour le poids-lourd. C'est un détour de plusieurs dizaines de kilomètres qu'il doit faire pour récupérer un petite palette, commande urgente d'un client fidèle. "En tant qu'indépendant, on doit tout faire : la conduite bien sûr, et tout ce qui s'y rapporte, de l'entretien du camion à la mécanique. Mais aussi la relation avec les clients qui est primordiale, la gestion des différentes commandes et du planning, des horaires et toute la partie administrative. Chaque fois que je livre un client, j'essaie de programmer un nouveau voyage."
Stefano et Massimo, eux sont salariés. Pas besoin d'acheter un camion, de démarcher des clients ou de faire de la paperasse. Mais aussi moins de liberté sur leurs horaires. Alors que Christian rentre chez lui presque tous les soirs, ils font des voyages plus longs et sont plus souvent loin de leur maison.
Les heures défilent, il est plus de onze heures et le retard accumulé oblige le conducteur à modifier son programme, direction le garage. En début d'après-midi, arrêt légal et petit creux oblige, le camion s'arrête devant une station-service. On se croirait au bistrot du village, quatre ou cinq bonhommes sont accoudées au comptoir, un verre à la main. Derrière, une serveuse s'active, apéritifs des clients, pompe à essence et plats du jour ; les journées sont longues et actives. Ici, on peut manger des orecchiettes et des escalopes milanaises maison dans une station-service, à des prix défiant toutes concurrence, ce qui ravi notre conducteur français. Après plusieurs négociations téléphoniques, et en italien, il faut reprendre la route, récupérer encore du fret et rentrer en France. Sur la route, la CB grésille. Les chauffeurs italiens communiquent entre eux : dans les routes étroites des cols alpins, la prudence est nécessaire car dans de nombreux villages, les camions ne peuvent pas se croiser, alors on s'avertit par radio, en italien toujours. Puis la tension monte, le conducteur français monte le son pour mieux comprendre. "Au sommet du col, il y a la douane. Ils contrôlent les camions. À une époque, il y avait la frontière ici. Je me souviens on se retrouvait tous le matin, pour passer. Un de mes premiers grands voyages, c'était en Pologne. L'Allemagne était encore coupée en deux. On venait chercher les premiers canons à neige d'une station de ski. Arrivés en Pologne, on nous a mit dans une chambre d'hôtel, on a pas eu le droit de sortir pendant plusieurs jours. On ne mangeait pas avec les ouvriers du chantier mais à part, comme des Princes. On avait un peu honte."
La réglementation sociale européenne impose et harmonise les aspects des temps de conduite et de repos des conducteurs, et tout ça est enregistré grâce à une carte à puce et au chronotachygraphe une sorte de boite noire du camion. Interdiction de frauder donc, ou de conduire trop longtemps. "C'est pour ça qu'il y a parfois des camions arrêtés sur le bord de la route explique notre chauffeur. Ils n'ont pas eu le temps de rejoindre leur but, et ont dû s'arrêter faire une pause. La règlementation est très stricte, pas question de déborder. Parfois ça nous empêche de rentrer chez nous alors que nous ne sommes plus qu'à quelques kilomètres, mais c'est une véritable protection aussi et ça nous oblige à nous fixer des limites. Dans les années 1990, on était moins contrôlés, moins protégés aussi. L'Europe a changé notre métier, en bien, en mal, cela dépend. On souffre de la concurrence des chauffeurs de l'Est qui sont à deux par camion et se relaient pour moins cher que nous."
Alors que le soleil baisse petit à petit dans le ciel, les couleurs se font plus douces et les paysages somptueux trouvent toute leur dimension. "On a de la chance quand même, de traverser des paysages comme ça. C'est réconfortant et vraiment plaisant. C'est le beau côté du métier, rouler, traverser, découvrir. Moi j'aime vraiment ça !" Encore un client à livrer, et quelques kilomètres. Il faut charger le bois qui doit partir demain.
Il est 19h15, le soleil se couche et le camion retrouve son hangar. Après quelques dernières vérifications, et un peu de rangement Christian rentre chez lui, retrouver sa famille. Demain, dès 4h30 il reprendra la route.
Une vie sur la route
Il est 4h30, la nuit est encore profonde en ce mois d'octobre. Dans le silence de son hangar, Christian Pierre se prépare à prendre la route. Son camion, un DAF de 500 chevaux ronronne doucement, prêt à tirer ses 30 tonnes de bois jusqu'au sommet du col de Larche culminant à près de 2000 mètres d'altitude, frontière la plus proche avec l'Italie, avant de redescendre à travers le Piémont Italien et le pays du Mont Viso. Dans la lumière des phares, quelques cerfs apparaissent sur bord de la route, les renards se cachent et la radio grésille. "La solitude nous offre aussi une plus grande capacité à nous émerveiller de nos voyages murmure-t-il derrière son volant." Parfois ce sont des hommes en vélo qui frôlent les poids-lourd dans la nuit. "Eux, ce sont de vrais esclaves raconte le chauffeur. Payés comme des rats, à chaque camion qui les croisent, ils risquent leur peaux."
Christian est indépendant, il travaille seul et livre principalement des matériaux de construction dans la région, bois, carrelage, pierre ou bardage. "Il y a de nombreux échanges régionaux, entre le Sud-Est de la France, le Nord de l'Italie et la Savoie, explique le chauffeur. C'est une filière dynamique."
Lorsque la lumière du soleil traverse enfin les nuages, le camion avance tranquillement sur les routes étroites de la vallée de Coni, en remontant vers le Nord. Après une rapide pause café, le camion s'engage chez son premier client. Il est 8 heures 10 et un concurrent est déjà sur place. Il faudra attendre qu'il ait pesé et déchargé son fret avant de pouvoir faire de même près d'une heure plus tard. "Chaque chauffeur est responsable de son chargement. On doit donc surveiller le chargement et le déchargement. Parfois on décide de mettre une bâche pour le protéger ou le cacher un peu. C'est un peu stressant."
Ce temps qui s'envole c'est une commande qui s'éloigne et un stress supplémentaire. Les chauffeurs doivent respecter des horaires extrêmement strictes dans l'organisation de leur temps et chaque minute qui file peut bouleverser leur emploi du temps, modifier leurs obligations de pauses légales et rendre impossible certains voyages. "Il faut beaucoup de calme et de sang-froid pour conduire un poids-lourd. À cause de l'inertie et du poids on est obligé d'anticiper beaucoup et de ne pas paniquer. Il faut savoir gérer son stress, celui des clients aussi et s'adapter en permanence. Les autres camions, les voitures, les animaux ou les manoeuvres compliquées, tout ça nous oblige à pas mal de patience."
Après la pesée de la marchandise et un coup de balai sur la remorque, le camion repart pour quelques kilomètres. À travers le pare-brise, les villages défilent avec leurs églises et leurs rue étroites. Le Piémont n'est pas toujours un pays pour le poids-lourd. C'est un détour de plusieurs dizaines de kilomètres qu'il doit faire pour récupérer un petite palette, commande urgente d'un client fidèle. "En tant qu'indépendant, on doit tout faire : la conduite bien sûr, et tout ce qui s'y rapporte, de l'entretien du camion à la mécanique. Mais aussi la relation avec les clients qui est primordiale, la gestion des différentes commandes et du planning, des horaires et toute la partie administrative. Chaque fois que je livre un client, j'essaie de programmer un nouveau voyage."
Stefano et Massimo, eux sont salariés. Pas besoin d'acheter un camion, de démarcher des clients ou de faire de la paperasse. Mais aussi moins de liberté sur leurs horaires. Alors que Christian rentre chez lui presque tous les soirs, ils font des voyages plus longs et sont plus souvent loin de leur maison.
Les heures défilent, il est plus de onze heures et le retard accumulé oblige le conducteur à modifier son programme, direction le garage. En début d'après-midi, arrêt légal et petit creux oblige, le camion s'arrête devant une station-service. On se croirait au bistrot du village, quatre ou cinq bonhommes sont accoudées au comptoir, un verre à la main. Derrière, une serveuse s'active, apéritifs des clients, pompe à essence et plats du jour ; les journées sont longues et actives. Ici, on peut manger des orecchiettes et des escalopes milanaises maison dans une station-service, à des prix défiant toutes concurrence, ce qui ravi notre conducteur français. Après plusieurs négociations téléphoniques, et en italien, il faut reprendre la route, récupérer encore du fret et rentrer en France. Sur la route, la CB grésille. Les chauffeurs italiens communiquent entre eux : dans les routes étroites des cols alpins, la prudence est nécessaire car dans de nombreux villages, les camions ne peuvent pas se croiser, alors on s'avertit par radio, en italien toujours. Puis la tension monte, le conducteur français monte le son pour mieux comprendre. "Au sommet du col, il y a la douane. Ils contrôlent les camions. À une époque, il y avait la frontière ici. Je me souviens on se retrouvait tous le matin, pour passer. Un de mes premiers grands voyages, c'était en Pologne. L'Allemagne était encore coupée en deux. On venait chercher les premiers canons à neige d'une station de ski. Arrivés en Pologne, on nous a mit dans une chambre d'hôtel, on a pas eu le droit de sortir pendant plusieurs jours. On ne mangeait pas avec les ouvriers du chantier mais à part, comme des Princes. On avait un peu honte."
La réglementation sociale européenne impose et harmonise les aspects des temps de conduite et de repos des conducteurs, et tout ça est enregistré grâce à une carte à puce et au chronotachygraphe une sorte de boite noire du camion. Interdiction de frauder donc, ou de conduire trop longtemps. "C'est pour ça qu'il y a parfois des camions arrêtés sur le bord de la route explique notre chauffeur. Ils n'ont pas eu le temps de rejoindre leur but, et ont dû s'arrêter faire une pause. La règlementation est très stricte, pas question de déborder. Parfois ça nous empêche de rentrer chez nous alors que nous ne sommes plus qu'à quelques kilomètres, mais c'est une véritable protection aussi et ça nous oblige à nous fixer des limites. Dans les années 1990, on était moins contrôlés, moins protégés aussi. L'Europe a changé notre métier, en bien, en mal, cela dépend. On souffre de la concurrence des chauffeurs de l'Est qui sont à deux par camion et se relaient pour moins cher que nous."
Alors que le soleil baisse petit à petit dans le ciel, les couleurs se font plus douces et les paysages somptueux trouvent toute leur dimension. "On a de la chance quand même, de traverser des paysages comme ça. C'est réconfortant et vraiment plaisant. C'est le beau côté du métier, rouler, traverser, découvrir. Moi j'aime vraiment ça !" Encore un client à livrer, et quelques kilomètres. Il faut charger le bois qui doit partir demain.
Il est 19h15, le soleil se couche et le camion retrouve son hangar. Après quelques dernières vérifications, et un peu de rangement Christian rentre chez lui, retrouver sa famille. Demain, dès 4h30 il reprendra la route.