Le Glacier Blanc
Le massif des Écrins est particulièrement vulnérable au dérèglement climatique, la moitié des glaciers a déjà disparu. Le Glacier Blanc a reculé d'un kilomètre depuis trente-cinq ans, et son front remonte désormais de 60 mètres par an en moyenne. Je souhaite voir de mes propres yeux ce déclin, dans le but de documenter la problématique du dérèglement climatique, plus précisément celle de l'eau potable, en remontant à la source. Ce phénomène, si visible, est le témoignage sans concession d'une accélération de son déclin. J'ai été accompagné dans mon périple par mon père, guide de Haute-Montagne, qui m'a donné des repères concrets sur l'état du glacier au tout début de sa carrière. D'autres personnes rencontrées ce jour ont corroboré ses dires.
Cette journée a commencé à 8 heures du matin, heure à laquelle nous avons entamé notre marche. La première chose qui m'a frappé, c'est la végétation abondante. Mon père m'a expliqué qu'auparavant, rien ne poussait ici, mais que tout a changé pour les raisons que nous connaissons. J'ai d'abord croisé Fabien Dupuis, ouvrier du parc des Écrins, qui sécurisait le sentier menant au glacier. Il m'a expliqué que l'érosion du glacier apporte de nouvelles pierres sur le chemin et que l'affluence touristique, qui ne cesse d'augmenter, affecte également le terrain. Quelques minutes plus tard (scènes 2 et 3), j'ai rencontré une femme, Chloé, qui descendait avec une planche de snowboard à la main. Je l'ai interpellée pour savoir d'où elle venait. Elle venait de gravir le Dôme des Écrins. Elle m'a raconté que même si elle n'avait pas pu atteindre exactement le sommet qu'elle visait, elle était consciente de la chance qu'elle avait d'être là, sachant que d'autres personnes étaient coincées dans les transports en commun à la même heure. Elle a quitté les stations de ski car elle souhaitait changer son approche et profiter d'une nature qui malheureusement disparaît de plus en plus. Je lui ai demandé ce qu'elle ressentait face au recul du glacier, elle m'a répondu qu'elle le voit reculer de plus en plus chaque année, que cela a été très anxiogène pour elle, et elle m'a parlé d'éco-anxiété. Pour sauver le glacier, nous devons changer nos habitudes, m'a-t-elle dit avec beaucoup d'émotion. (Chloé était un homme avant de choisir le genre "elle", d'où sa voix).
Ensuite, j'ai rencontré Christian Baïsse, un ancien garde du parc qui a connu la création de celui-ci. Il m'a dit que le paysage n'a plus rien à voir. Il m'a montré des repères et m'a expliqué que la glace est maintenant presque à deux kilomètres plus loin. Il espère que cela va cesser de reculer, il est inquiet. Ensuite, il m'a parlé de la faune et de son évolution.
Je viens d'arriver au refuge, un peu essoufflé malgré une préparation digne des plus grands alpinistes. Je vois arriver un groupe de très jeunes alpinistes. J'interpelle une jeune fille, Lucie, qui va m'expliquer qu'elle est en section montagne au lycée de Moutier et qu'ils sont ici pour faire de l'alpinisme. Ils ont atteint le sommet du Glacier Blanc. Je lui demande si la pratique de l'alpinisme a changé en raison du dérèglement climatique. Elle me répond oui, les glaciers fondent, ce qui rend les parties accessibles plus dangereuses en raison de chutes de séracs et de pierres plus fréquentes. Je lui demande alors son âge, elle a 15 ans. Est-elle optimiste ? Elle ne me répond "pas trop".
Ensuite, je passe en une minute du groupe de jeunes à Claude Albrand, le doyen des guides en activité des Hautes-Alpes. Je suis assis sur la terrasse du refuge du Glacier Blanc. Il revient d'une course avec des clients. Je lui demande s'il a remarqué un changement dans la pratique de la montagne. Il me dit que oui, bien sûr, le front des glaciers remonte, ils sont moins volumineux. Cette année est bonne, mais il n'oublie pas que l'année 2022 a été très difficile pour la pratique de la montagne en raison de la sécheresse. Je demande à sa cliente, Axelle, ses impressions dans la foulée. Elle est venue avec son conjoint et ils ont découvert un environnement qui les a beaucoup impressionnés. Grâce aux explications de leur guide, elle a pu prendre conscience de l'impact du réchauffement climatique sur ces lieux.
Ensuite, je vais discuter avec Sébastien Scandre, professeur à l'ENSA à Chamonix, section alpinisme, l'école qui forme les guides de Haute-Montagne. Il est là pour encadrer le groupe de Lucie. Il m'explique qu'il insiste davantage auprès de son jeune public sur les évolutions du glacier et les sensibilise à ces problématiques. Les Écrins seront là pour un moment, la pratique de l'alpinisme continuera pour les nouvelles générations, il faudra simplement l'adapter aux conditions changeantes.
Je me dirige vers la cuisine du refuge et je rencontre Nicolas Chaud, qui va me raconter sa journée typique en tant que gardien de refuge et me parler de l'impact de la fonte des neiges sur son activité, qu'il juge relativement mineur. Ensuite, je vais dans la salle à manger et je tombe sur Nicolas Raynaud, le président de la FFCAM (Fédération française des Clubs Alpins et de montagne). Je lui demande ce qu'il pense de l'évolution de la pratique de la montagne par rapport aux conséquences du dérèglement climatique. Il me dit qu'il y a des évolutions. Les pratiques de montagne se développent car les gens ont besoin de faire des efforts physiques qui ont du sens et de renouer avec la nature. On revient aux spécificités du lieu, et il me dit que la pratique est différente. Certains aspects sont plus compliqués en raison du dérèglement climatique, comme l'accès aux glaciers, mais il ne voit pas de corrélation entre les risques de chute de séracs et d'avalanches et le dérèglement climatique. Il termine sur une note d'optimisme : "L'alpinisme n'est pas mort, il faut faire les choses avec bon sens et adapter sa pratique aux changements du terrain."
Enfin, je me dirige vers le bord du glacier après une heure de marche supplémentaire, où je rencontre un père et son fils qui ont fait l'ascension du Dôme des Écrins. Le père me dit qu'il est heureux de l'avoir fait avant de ne plus pouvoir le faire, à cause de son âge et du dérèglement climatique. Il me confie que ce phénomène l'attriste. Pour son fils, il est triste de voir le glacier reculer, mais il garde en mémoire la beauté du sommet. Son père veut lutter pour préserver cet environnement pour ses enfants.
Ensuite, je reste assis avec mon père devant ce géant de glace. Lui, il sait, il est monté sur chaque sommet. Il aime plus que tout au monde la montagne, mais comme à son habitude, il n'en dira pas plus. J'ai partagé un moment incroyable avec toutes ces personnes qui partagent le désir de préserver la pratique de la montagne.
The Glacier Blanc
The Écrins massif is particularly vulnerable to climate change, with half of its glaciers already disappeared. The Glacier Blanc has retreated one kilometer in the past thirty-five years, and its front is now moving back an average of 60 meters per year. I wish to witness this decline with my own eyes in order to document the issue of climate change, specifically regarding drinking water, by going back to the source. This visibly evident phenomenon is a stark testimony to the acceleration of its decline. I was accompanied on this journey by my father, a High-Mountain guide, who provided me with concrete references regarding the state of the glacier at the beginning of his career. Other people I met that day confirmed his observations.
The day began at 8 am when we started our hike. The first thing that struck me was the abundant vegetation. My father explained that nothing used to grow here, but everything has changed for the reasons we know. I first encountered Fabien Dupuis, a worker from the Écrins National Park, who was securing the trail leading to the glacier. He explained to me that the glacier's erosion brings new rocks onto the path and that the increasing tourist influx also affects the terrain. A few minutes later (scenes 2 and 3), I met a woman named Chloé, who was coming down with a snowboard in hand. I approached her to ask where she came from. She had just climbed the Dôme des Écrins. She told me that even though she couldn't reach her intended summit exactly, she was aware of how lucky she was to be there, knowing that other people were stuck in public transportation at the same hour. She left the ski resorts because she wanted to change her approach and enjoy a nature that, unfortunately, is disappearing more and more. I asked her how she felt about the glacier's retreat, and she replied that she sees it receding more and more each year, which has been very anxiety-inducing for her, and she talked about eco-anxiety. "To save the glacier, we must change our habits," she told me with a lot of emotion. (Chloé used to identify as male before choosing the gender "she," hence her voice.)
Next, I met Christian Baïsse, a former park ranger who witnessed the park's establishment. He told me that the landscape is completely different now. He showed me landmarks and explained that the ice is now nearly two kilometers further away. He hopes that the retreat will stop, as he is concerned. Then, he talked to me about the fauna and its evolution.
I've just arrived at the refuge, a bit out of breath despite a preparation worthy of the greatest mountaineers. I see a group of very young climbers approaching. I call out to a young girl, Lucie, who will explain to me that she is part of the mountaineering section at Moutier High School, and they are here for mountaineering. They reached the summit of Glacier Blanc. I ask her if mountaineering has changed due to climate change. She replies, "Yes, the glaciers are melting, which makes the accessible parts more dangerous due to more frequent serac falls and rockslides." I then ask her age, and she's 15 years old. Is she optimistic? She replies, "Not really."
Then, in the span of a minute, I move from the group of young climbers to Claude Albrand, the oldest active mountain guide in the Hautes-Alpes. I am sitting on the terrace of the Glacier Blanc refuge. He returns from a climb with clients. I ask him if he has noticed any changes in mountaineering. He tells me that, of course, the glacier fronts are moving back, and they are less voluminous. This year is good, but he doesn't forget that 2022 was very challenging for mountaineering due to drought. I ask his client, Axelle, for her impressions. She came with her partner and they discovered an environment that impressed them greatly. Thanks to their guide's explanations, she became aware of the impact of climate change on these places.
Next, I talk to Sébastien Scandre, a professor at the National School of Skiing and Mountaineering in Chamonix. He is here to supervise Lucie's group. He explains to me that he emphasizes the glacier's changes more with his young audience and raises awareness about these issues. The Écrins will be around for a while, and mountaineering will continue for future generations; it will just need to be adapted to changing conditions.
I head towards the refuge's kitchen and meet Nicolas Chaud, who will tell me about his typical day as a refuge keeper and talk about the impact of melting snow on his activity, which he considers relatively minor. Then, in the dining room, I come across Nicolas Raynaud, the president of the FFCAM (French Federation of Alpine Clubs and Mountaineering). I ask him what he thinks about the evolution of mountaineering in relation to the consequences of climate change. He tells me that there are changes. Mountain practices are developing because people need to make meaningful physical efforts and reconnect with nature. They are returning to the specific characteristics of the area, and he says that the practice is different. Some aspects are more challenging due to climate change, such as access to glaciers, but he doesn't see a correlation between the risks of serac falls and avalanches and climate change. He ends on an optimistic note: "Mountaineering is not dead; we just need to approach things sensibly and adapt our practices to the changing terrain."
Finally, I head towards the edge of the glacier after an additional hour of walking, where I meet a father and his son who have ascended the Dôme des Écrins. The father tells me he's glad they did it before they can no longer do it due to his age and climate change. He confides that this phenomenon saddens him. As for his son, he is saddened by the glacier's retreat, but he keeps the beauty of the summit in his memory. His father wants to fight to preserve this environment for his children.
Then, I sit with my father in front of this giant of ice. He knows, having climbed every peak. He loves the mountains more than anything in the world, but as usual, he won't say more. I shared an incredible moment with all these people who share the desire to preserve mountaineering.