TAIPEI - SUSPENDED SILENCES
Dans l’épaisseur verte de la jungle taïwanaise, la route Yangguang se perd et m’entraîne dans une série d’images gravées comme des cicatrices oubliées. La statue d’Avalokitesvara, aux mille bras et mille yeux, veille dans un temple figé dans le béton, une silhouette de foi suspendue, solitaire. Un peu plus loin, le Temple du Vrai Dragon se dresse comme une sentinelle de la mort, une promesse de silence et d’abandon. Dans une maison en ruine sur la route de Danjing, les murs lézardés semblent garder les derniers souffles des vivants. Les fenêtres crevées laissent entrer le vent, et la poussière du temps envahit l’espace. La jungle, elle, conserve ses secrets. Des filets sous les arbres, tendus sans raison apparente, dressent un mystère que même la nature semble dissimuler. Sont-ils un piège ou une protection ?
Le Sentier du Cap Linshan m’offre un autre visage de cette île. Un mur de galets, pyramidale, se dresse comme une ancienne cicatrice oubliée par les hommes, figée dans la brise des vagues qui l’effleurent. À quelques pas, un rocher solitaire défie la mer, défiant les vagues qui viennent fracasser ses flancs. La route se prolonge, mais les traces de l’homme se mêlent à celles du déclin : une épave de moto Sanyang abandonnée, brisée et indifférente, parle d’une époque révolue. Et sous l’humidité persistante de Taïwan, même ma pellicule Ilford 120 HP5 400 n’échappe pas à l’étreinte de l’eau. Elle souffre, elle aussi, des taches et des marbrures, comme si la lumière elle-même se délitait, capturant dans ses empreintes la fragilité du monde.
TAIPEI - SUSPENDED SILENCES
In the thick green of the Taiwanese jungle, Yangguang Road winds and leads me through a series of images etched like forgotten scars. The statue of Avalokitesvara, with a thousand arms and a thousand eyes, watches over a temple frozen in concrete, a silhouette of faith suspended, solitary. Not far away, the Temple of the True Dragon stands as a sentinel of death, a promise of silence and abandonment. In a crumbling house on the road to Danjing, the cracked walls seem to hold the last breaths of the living. The shattered windows let the wind in, and the dust of time fills the space. The jungle, too, keeps its secrets. Nets are stretched beneath the trees, without apparent reason, creating a mystery that even nature seems to hide. Are they a trap or protection?
The Linshan Cape Trail offers me another face of this island. A pyramid-shaped stone wall stands like an ancient scar forgotten by humans, frozen in the breeze of waves brushing against it. A little further, a solitary rock defies the sea, challenging the waves that crash against its sides. The road continues, but traces of man blend with those of decay: a wrecked Sanyang motorcycle, abandoned, broken, and indifferent, speaks of a bygone era. And beneath the ever-present humidity of Taiwan, even my Ilford 120 HP5 400 film is not spared from the water’s grip. It suffers, too, from stains and marbling, as if the light itself were crumbling, capturing the fragility of the world in its prints.