SOYOUZ EN GUYANE : "UNE BASE RUSSE DANS UNE BASE DE L'OTAN"
Kourou, Centre Spatial Guyanais, Ensemble de Lancement Soyouz (ELS). 120 hectares de barbelés « russes » plantés dans les 70.000 ha de barbelés européens. Le 29 avril 2011, sous le soleil bagnard de la Guyane, débutait la semaine de test décisive d'une Soyouz nouvelle version, en Europe sud-américaine qui a elle seule explique la fin d'Ariane IV, la précipitation du développement d'Ariane V, et l'abandon sur l'autel de la realpolitik d'une certaine ambition spatiale européenne. En novembre 2022, l'ESA annonce la formation d'une nouvelle classe d'astronautes, Ariane VI est promise pour bientôt, mais l'Europe n'a toujours aucun moyen d'envoyer l'homme directement dans l'espace. Une question d'indépendance stratégique. Retour sur une victoire diplomatique et industrielle historique de la Russie.
2011 : Les portes du MIK (Bâtiment d'assemblage de Soyouz) s'ouvrent béantes sur le lanceur de légende. L'héritier des V2, du lanceur de Spoutnik, Leïka et Gagarine, Soyouz, la fierté de la guerre froide défile à nouveau à la Une de l'Histoire, sur 650 mètres de rail, vers son nouveau pas de tir. Autour, les équipes de casques rouges des ingénieurs en chefs de Roscomos s?affairent avec autorité. Tandis que les drapeaux russes s'affichent à tous les bras de chemises, ceux des partenaires européens flottent vaguement au loin. En lignes serrées, les techniciens saluent silencieusement le passage de Zemiorka, leur petite septième, comme si l'ancien hymne rouge résonnait encore.
Même le caméraman détaché par le Ministère de la Défense russe arbore un tee-shirt « Back to URSS » en un clin d'oeil narquois fait à l'histoire autant qu'à l'assistance. Igor Barmin, le responsable de la construction du pas de tir, fils de l'illustre Vladimir Pavlovich Barmin, constructeur général de tous les pas de tir Soyouz, un héros de l'Union Soviétique, félicite d'une poigne de fer Dimitri Baranov, le chef des opérations de lancement russe.
Ces hommes sont indiscutablement aux commandes. Les personnels d'Arianespace, le client et cheval de Troie de cette collaboration aux implications stratégiques, assistent aux manoeuvres en quasi spectateurs. Hormis l'immense portique de protection du lanceur, seule véritable concession russe de ce chantier pharaonique, les opérations se déroulent à l'identique d'un Baïkonour brutalement cloné en France tropicale.
" UNE AFFAIRE TRÈS PROFITABLE "
Il aura pourtant fallu 10 ans d'âpres négociations pour en arriver à ce trouble résultat. La grande histoire fait remonter à De Gaulle, en 1966, la paternité morale de cette collaboration pionnière. En pratique, elle se situe plutôt sous l'ère Chirac, au surlendemain de la chute de l'URSS, en 1996, où le Président fît une visite en Russie qui rapporta quelques 600 millions d'Euros à Airbus. Et accoucha la même année de la création de l'Agence Franco-Russe visant a commercialiser Soyouz : Starsem. François Fillon, alors Ministre chargé de l'Espace accompagna Jean-Yves Le Gall, futur PDG d'Arianespace et de Starsem à Moscou. Les coûts élevés de location de Baïkonour au Kazakhstan faisaient déjà lorgner Roscomos sur le pas de tir équatorial français qui lui permettrait d'augmenter sa capacité d'emport en passant de 2 tonnes à 3 tonnes. L'aéronautique Européenne, cherchant un allié contre le concurrent Boeing, trouva à Moscou une oreille attentive, des terrains d'échanges, autant qu'une méthode de négociation éprouvée. Resterait à convaincre l'Agence Spatiale Européenne et le Centre National d'Etude Spatiale (le fabricant d'Ariane alors qu'Arianespace n'a été créée à l'origine que pour commercialiser Ariane). Les deux agences ne voyaient pas clairement l'intérêt d'installer sur leur sol un concurrent direct et technologiquement archaïque à leur lanceur Ariane IV et sur les plates bandes d'une future Ariane V.
Débute alors une phase de négociations tendues menées par Arianespace. En 2001, Jacques Chirac promet aux Russes la construction du pas de tir même si les agences européennes font trainer jusqu'en 2002 en refusant catégoriquement de prendre en charge ce financement. L'ancien président du CNES, Gérard Brachet finit par déclarer « qu'en dessous de 2 lancement Soyouz par an, le marché d'Ariane 5 ne serait pas cannibalisé et que les retombées seraient positives pour Arianespace, et justifierait amplement cet investissement de 100 millions de dollars pour le pas de tir. ». Pourtant, aujourd'hui, c'est la constellation de satellites Galiléo (le GPS européen au financement européen pléthorique), premier d'une série de 4 à être tiré cette année par Soyouz qui s'avance sur le pas de tir.
De quoi faire pleuvoir les commentaires ironiques des opérateurs de la salle de contrôle Jupiter, reconvertie en poste de douane pour limiter les éventuels débordements russes, et en salle de spectacle pour VIP. Non seulement l'Europe ne rentabilise ses investissements en priorité, mais Soyouz annoncée à l'origine autour de 20 millions d'euros pièce est aujourd'hui plus proche des 80? Sans oublier que le coût des installations financées exclusivement par l'Europe et en majorité par la France s?élève à 344 millions d'Euros plus 121 millions empruntés par Arianespace à la Banque Européenne d'Investissement, encore garantis par le contribuable français.
La quote part travaux de 100 millions demandée à Moscou est revenue sous la forme d'un « niet » définitif puis d'un « apport industriel gazeux » à défaut de liquide. En clair, l?Europe doit s?estimer contente de ne pas payer la recherche développement du lanceur quinquagénaire. Il faut dire que pour convaincre l?Union de se tirer une balle dans le pied, les Russes ont fait su faire tourner de la roulette. D'abord, en signant un accord avec les Australiens puis en menaçant de poursuivre avec l'Américain Boeing, l'ennemi industriel d'Airbus. Reddition inconditionnelle des Européens en 2003. Et grande satisfaction d'Arianespace dont la vérité est ailleurs, dans la répartition d'un étonnant capital.
A l'hôtel "Mercure-Arianespace", à Kourou, malgré une assiette de papaye écarlate striée de filaments jaunes, le petit déjeuner s'annonce encore maussade pour la silhouette en retrait des grandes tablées. En constatant la présence de ses homologues russes par la fenêtre, sur fond de palmiers royaux, comme l'aboutissement d'une manoeuvre grossièrement efficace, un haut cadre du CNES, miné, lâche la version coulisse : « Les Russes sont les meilleurs joueurs d'échec au monde, ils nous ont baladé du début à la fin du projet. Nous arrivions à Moscou avec une délégation de quelques personnes, déjà mandatées pour faire, pour acter. La partie était déjà jouée. Face à nous, 3 rangées de 15 Russes prêts à claquer la porte. Tout s'est donc fait à leurs conditions ». La version tous publics martèle que « nous avions besoin d'un lanceur pour le marché des satellites de moins de 5 tonnes, et que Soyouz est rentable alors qu'Ariane 4 ne l'était plus, sur la fin », affirmait alors Jean-Yves Le Gall, le double PDG d'Arianespace et de Starsem. Sur la fin ? C'est à dire à partir du moment où les négociations avec les Russes avaient déjà commencé ? Klutsch ?
L'OBSESSION DU SECRET
Le compte à rebours avant le lancement fictif de la première Soyouz guyanaise en mai 2011 préfigure un véritable lancement à haut risque en octobre. Le secteur militaire européen a refusé d'essuyer les plâtres avec ses propres satellites. Pas de quoi donner confiance à la clientèle internationale. Galiléo, a été casée par commodité. Début des essais grandeur nature. La sécurité se dresse autour du site. Le dry run a été prévu très en amont du premier lancement tant les visions des procédures de sécurité-sauvegarde ont dû être totalement remises à plat entre deux mondes réunis par l'économie mais que tout sépare en matière d'expérience.
Les russes ont déjà tiré presque 1800 fois dans les rugueuses conditions de Baïkonour. Tout les compteurs électriques affichent la couleur : « interdiction d'utilisation par les personnels non russes ». Leur label est indiscutable. Mais technologiquement, l'Europe plane aujourd'hui très au-dessus des gloires historiques. Les lancements commerciaux routiniers ne déplorent aucun mort, peu de ratés. Au CSG, le moindre déplacement est tamponné ISO quelque chose. Naturellement, « les Russes ne comprenaient pas pourquoi nous devions tout reprendre pour installer nos propres standards de procédures. Avec leur obsession du secret, ils se demandaient toujours où nous voulions en venir », confie avec un clin d'oeil Didier Coulon, le chef du programme Soyouz pour l'ESA.
Joël Barre, le directeur du CSG entre dans la salle de contrôle Jupiter en souriant un peu trop ostensiblement à la presse. Néanmoins il souffle : « il y a du monde aujourd'hui, ne manquerait plus qu'un lancement ! » On nous répète que la journée est historique. On claironne que la salle de contrôle émettra seule l'autorisation finale de lancement, précisément pour atténuer que la partie se joue ailleurs : au Centre Soyouz, divisé en 2 étages dont 1 inaccessible à toute personne étrangère. Celle de la société Lavotchkine, le fabricant de l'étage Fregat. Entre les différentes autorités de lancements russes, à Baïkonour, il n'est pas rare de recevoir 2 fax après un lancement. Le premier affirmant que de leur côté tout s'est bien passé. Un second déplorant la perte du lanceur. En Guyane, elles seront donc au nombre de 3, une véritable dilution de la chaine de commandement avec des interprètes et des interprétations. « Ce sont des contraintes de réactivités de diagnostics très contraignantes. Ce qu'on faisait en franco-français, il faut le faire avec des russes. Par exemple la chronologie du lanceur Soyouz est complètement différente de celle Ariane. Je ne vous cache pas qu'en assistant à la première, même si mes équipes s'y sont déjà mises, moi je n'ai rien compris », lâche le directeur du CSG, désormais heureux « propriétaire » d'un véritable « parc automobile de l'espace » avec une Fiat-Véga, une Lada-Soyouz et une Roll's-Ariane dépourvue de siège, réduite au fret.
Et si les Russes investis d'une d'une mythologie héroïque venaient comme à Baïkonour assister aux lancements à 100 mètres du tir, une clope au bec et un shot de vodka juste avant d'encaisser le souffle ? « Dans ce cas, je vous réponds franchement, j'arrête le tir », confirme Thierry Vallée, le Directeur des Opérations. Le compte à rebours s'égraine. Et justement, l'évacuation du pas de tir est exigée. Igor Barmin, lui-même est forcé de quitter son chantier, furieux. Le soir même, lors d'une promenade sur la plage, après avoir donné raison à la version officielle, il confiera agacé : « Les européens avec leur vision de la sécurité n'ont fait que gonfler la facture sans que ça joue vraiment. Beaucoup de bêtises ont été faites sur ce chantier, mon père aurait sans doute été beaucoup plus strict. Et puis, ce ne sont pas tous les russes qui assistent au décollage à 100 mètres Mais peut-être bien 55 mètres... ». Bon baiser de Russie.
" AGENT DOUBLE "
C"est donc un succès historique. Les 4 chefs d"agences, dont le nouveau protégé de Poutine, Vladimir Popovkin, procèdent à la remise des clés du pas tir à Arianespace, puis à la découverte de la pierre Gagarine. Pendant la phase de démontage. Coup de théâtre, les russes laissent un libre accès total au lanceur. La même source du CNES avance son interprétation : « Il ne faut pas analyser les chiffres dans ce genre de projet. Ca ne sert à rien. La question de l"espace est avant tout stratégique. Mais une chose est sure, nous n"avons eu aucun transfert de technologie dans cet échange. Et d'ailleurs pourquoi faire ? Quand j"ai vu le transfert des forces du lanceur de la verticale à l'horizontale, ce sont des projets que nous avions déjà dans les tiroirs il y a 10 ans. La question qu"on a le droit de poser c"est le lien entre Soyouz, la fin d"Ariane IV et le début d"Ariane V ». Alors posons là.
Le premier élément de réponse se déniche dans le capital social de la société Starsem où russes et français sont à 50/50 (35% EADS, 15% Arianespace, 25 % TsSKB,, 25% FKA, l"agence spatiale russe). Via EADS, et donc Airbus, Jacques Chirac quittait la Russie avec une commande en poche de 600 millions d?euros pour l?avionneur, à la date de création de Starsem. Aujourd'hui, Airbus, ambitionne de vendre quelques 300 avions à la Russie qui entend restructurer son aéronautique d'ici 2030. A cette époque les relations Paris-Moscou sont encore au beau fixe. La France investit dans la nouvelle Silicon-Valley Russe. Même la Snecma, le fabriquant de la propulsion d"Ariane, parmi les premiers à se plaindre de la venue de Soyouz est désormais associée aux Russes dans leur aéronautique. Les contrats pleuvent. La politique pro-européenne de Poutine-Medvedev, faisant toujours jouer la concurrence (puisqu"elle lance aussi des Protons avec les américains via ILS), pour obtenir le meilleur positionnement, mais donne le plus souvent, en fin de lecture, sa préférence au continent.
Alors, dans un monde de real politik et de concurrence mondiale sévère, Soyouz représenterait-elle « un cadeau » aux Russes qui voulaient l"équateur, avec contrepartie ? Sans aucun doute. Et tous compte fait, avec une balance commerciale et politique bénéficiaire, cette logique est imparable.
Seulement, les grincements de dents du côté de l'ESA et du CNES, privés de grands projets spatiaux, alors qu"ils alignent les chèques pour une puissance étrangère peut aussi se concevoir. D"autant plus que la perte progressive de rentabilité d"une Ariane IV, un bijou de technologie, a très opportunément été contemporaine de la montée en puissance du projet Soyouz. Les industriels pleuraient lors de la destruction de machines outils impeccables à la fin du programme Ariane. C"est rare, de voir un industriel pleurer. Sans oublier que le programme Ariane V, perd encore de l"argent, avec une commercialisation difficile pour 2 satellites emporté une fois. Sachant que la moindre défaillance de l"un pénalise l"autre. Ariane V doit aujourd'hui composer son marché avec Soyouz. Alors malgré les sourires obligés, accrochés à la galerie de l"histoire, certains ne peuvent empêcher d"établir des liens de cause à effet. Surtout quand les questions de rentabilité du secteur spatial demeurent sujettes à interprétation, avec Starsem et Arianespace alors coiffées d"un même PDG. Et que l"idée même de rentabilisation pour le petit club des puissances spatiales passe au second plan. L"accès à l"espace demeure avant tout une question stratégique de souveraineté. La maîtrise du « High Ground » (le point le plus élévé), demeurant un impératif militaire depuis l'antiquité. Et le vrai terrain de toutes les guerres du futur depuis l'arsenalisation de l'espace par les américains, entamé avec le programme "guerre des étoiles"sous Ronald Reagan.
Et que dire de la victoire finale d'une relique soviétique devenue, contre toute attente, depuis la fin de la navette américaine et jusqu'à l'avénement de Space X, le dernier recours du spatial mondialisé pour transporter l"homme vers le ciel. Mais le dénouement de cette partie s'achève bien sur la terre ferme, au salon du Bourget un mois après ce dry run. Si Soyouz a été troquée contre des perspectives de ventes d'Airbus aux Russes, ceux-ci présentent dans un vaste stand rutilant, leur futur avion moyen courrier, le Sukhoï 100, ressemblant singulièrement à un Airbus et construit avec de nombreux équipementiers européens. Mieux, les russes ont parallèlement pris pieds dans le capital EADS via la Vneshtorbank, une banque d'Etat.
Le Premier Ministre, François Fillon, avance d'un pas décidé sur le tarmac de l'aéroport entouré des dirigeants du CNES et de l'ESA. Le CNES, las, d'avaler les couleuvres d'Arianespace avait émis au mois de janvier dernier un rapport enjoignant d'arrêter au plus vite cette « collaboration nécessaire » avec les russes. Un fiasco annoncé, alors même que Moscou travaille sur des nouvelles versions de Soyouz qui se révèleront sans aucun doute incompatibles avec le couteux pas de tir guyanais. Si en 1996, François Fillon, s'était rendu avec Jean-Yves Le Gall à Moscou pour la création de Starsem, il semble aujourd'hui se ranger tardivement aux arguments des penseurs de la politique spatiale européenne. Le PDG d'Arianespace réputé pour son abord glacial, s'avance presque invisible, embarrassé, vers le Premier Ministre. Désaveu cinglant, ce dernier passera devant le stand sans marquer de halte. Il file avec les dirigeants du Cnes et de l'Esa tout sourire, directement chez Thalès qui caracole en tête des équipementiers internationaux. En 2013, Jean-Yves Le Gall parviendra néanmoins à prendre la tête du CNES.
L'ensemble de cette opération promettait d'être d'autant plus historique qu'elle était loin d'être assurée dans le temps à la hauteur des objectifs annoncés. La leçon valait certes un bien un bortsh au fromage, mais la nostalgie camarade, emporte le regard vers la lumière morte d'une belle étoile chue de ciel en terre, un auto-sabordage précipitant inutilement la fin d'une Ariane IV qui avait encore de longues années de service devant elle, troquée contre une mauvaise « op commerciale ». Sur la base, il se raconte qu'au moment de la destruction des équipements d'Ariane IV on aurait vu des industriels pleurer devant ce gâchis lamentable. Sans même qu'ils puissent prévoir les déboires initiaux du fait d'un développement tout aussi précipité d'Ariane V, dont la réussite technique finale, bien que dépouillée de sa mission ultime et la plus stratégique, tient aux prouesses de ses ingénieurs. De l'aveu amer de la plupart des collaborateurs du CNES, Soyouz en Guyane grève depuis ses premières heures le potentiel de développement d'Ariane V conçue à l'origine pour transporter l'homme dans l'espace. Ariane V ne développera jamais son module habitable, l'outil d'une réelle politique stratégique d'indépendance pour un accès européen à l'espace. Sur une des nombreuses routes du CSG, une maquette du module en forme de cannette de soda vide prend la rouille depuis des années. Si l'on résume à la fin des fins, derrière un écran de chiffres tout aussi astronomiques que discutables, le contribuable européen, la France en tête, paie des russes pour l'envoi de satellites de télé-communication américains et nombres d'autres pays qui ignorent totalement et avec quelques raisons ce marché du satellite qui n'en n'est pas un. Comme aux échecs, l'objectif du secteur spatial n'est pas d'avaler des pions, mais de cerner la pièce maîtresse dans un espace en mouvement : ISS, la lune, Mars. L'Europe avait le meilleur contrôle du plateau avec son emplacement guyanais, le meilleur développement humain et technologique avec une méticuleuse construction de son agence et de ses lanceurs à larges rayons d'action. Pourtant les russes ont su placer leur Soyouz, admirable comme un vieux pion survivant de toutes les guerres, en plein coeur de la stratégie européenne. Na zdorovie.
Sébastien Di Silvestro
SOYOUZ IN FRENCH GUIANA : " A RUSSIAN BASE IN A NATO BASE"
Kourou, Guiana Space Center, Soyuz Launch Complex (ELS). 120 hectares of "Russian" barbed wire planted in the 70,000 hectares of European barbed wire. On April 29, 2011, under the prison sun of French Guiana, began the decisive week of testing a new version of Soyuz, in South America, which alone explains the end of Ariane IV, the precipitation of the development of Ariane V, and the abandonment of a certain European space ambition on the altar of realpolitik. In November 2022, the ESA announced the training of a new class of astronauts, Ariane VI is promised for soon, but Europe still has no means to send man directly into space. A question of strategic independence. A look back at a historic diplomatic and industrial victory for Russia.
2011: The doors of the MIK (Soyuz assembly building) open wide on the legendary launcher. The heir to the V2, the Sputnik, Leika and Gagarin launchers, Soyuz, the pride of the Cold War, is once again making history, on 650 meters of track, towards its new launch pad. Around, the teams of red helmets of the engineers in chief of Roscomos are busy with authority. While the Russian flags are displayed on all the shirt arms, those of the European partners float vaguely in the distance. In tight lines, the technicians silently greet the passage of Zemiorka, their little seventh, as if the old red anthem still resounded.
Even the cameraman seconded by the Russian Ministry of Defense wears a "Back to USSR" T-shirt in a wink to history as much as to the audience. Igor Barmin, the person in charge of the construction of the launch pad, son of the illustrious Vladimir Pavlovich Barmin, general constructor of all the Soyuz launch pads, a hero of the Soviet Union, congratulates Dimitri Baranov, the head of the Russian launch operations, with an iron fist.
These men are unquestionably in charge. The staff of Arianespace, the client and Trojan horse of this collaboration with strategic implications, are watching the maneuvers as virtual spectators. Apart from the huge gantry to protect the launcher, the only real Russian concession in this pharaonic project, operations are taking place in the same way as in Baikonur, which has been brutally cloned in tropical France.
"A VERY PROFITABLE BUSINESS
It will have taken 10 years of bitter negotiations to arrive at this troubled result. History has it that De Gaulle, in 1966, was the moral father of this pioneering collaboration. In practice, it is more likely to be found during the Chirac era, the day after the fall of the USSR, in 1996, when the President made a visit to Russia that brought in some 600 million Euros for Airbus. And gave birth the same year to the creation of the Franco-Russian Agency aiming at commercializing Soyuz: Starsem. François Fillon, then Minister in charge of Space, accompanied Jean-Yves Le Gall, future CEO of Arianespace and Starsem to Moscow. The high costs of renting Baikonur in Kazakhstan were already making Roscomos look at the French equatorial launch pad which would allow it to increase its carrying capacity from 2 to 3 tons. The European aeronautics, looking for an ally against the competitor Boeing, found in Moscow an attentive ear, grounds of exchanges, as much as a method of negotiation tested. It remained to convince the European Space Agency and the National Center of Space Studies (the manufacturer of Ariane whereas Arianespace was created originally only to market Ariane). The two agencies did not clearly see the interest of installing on their soil a direct and technologically archaic competitor to their Ariane IV launcher and on the platforms of a future Ariane V.
This marked the beginning of a phase of tense negotiations led by Arianespace. In 2001, Jacques Chirac promises to the Russians the construction of the launch pad even if the European agencies delay until 2002 by refusing categorically to take in charge this financing. The former president of the CNES, Gérard Brachet ends up declaring "that below 2 Soyuz launches per year, the Ariane 5 market would not be cannibalized and that the spin-offs would be positive for Arianespace, and would amply justify this investment of 100 million dollars for the launch pad". However, today, it is the Galileo satellite constellation (the European GPS with a plethora of European funding), the first of a series of 4 to be fired this year by Soyuz, that is moving onto the launch pad.
This is enough to make the ironic comments of the operators of the Jupiter control room, converted into a customs post to limit the possible Russian overflows, and into a showroom for VIPs. Not only Europe does not make its investments profitable in priority, but Soyuz originally announced around 20 million euros each is today closer to 80? Without forgetting that the cost of the installations financed exclusively by Europe and in majority by France amounts to 344 million Euros plus 121 million borrowed by Arianespace from the European Investment Bank, still guaranteed by the French taxpayer.
The share of 100 million requested from Moscow came back in the form of a definitive "no" and then of a "gaseous industrial contribution" in the absence of liquid. Clearly, Europe must consider itself satisfied not to pay the research and development of the fifty-year-old launcher. It is necessary to say that to convince the Union to shoot itself in the foot, the Russians knew how to turn the roulette. First, by signing an agreement with the Australians then by threatening to continue with the American Boeing, the industrial enemy of Airbus. The Europeans surrendered unconditionally in 2003. And great satisfaction for Arianespace whose truth lies elsewhere, in the distribution of an astonishing capital.
At the "Mercure-Arianespace" hotel in Kourou, despite a plate of scarlet papaya streaked with yellow filaments, breakfast still looks gloomy for the retreating silhouette of the large tables. Noting the presence of his Russian counterparts through the window, against a backdrop of royal palms, as the outcome of a crudely effective maneuver, a senior CNES executive, undermined, drops the behind-the-scenes version: "The Russians are the best chess players in the world, they have walked us around from the beginning to the end of the project. We arrived in Moscow with a delegation of some people, already mandated to do, to act. The game was already played. Facing us, 3 rows of 15 Russians ready to slam the door. Everything was done on their terms. The public version of the story says that "we needed a launcher for the sub-5 ton satellite market, and that Soyuz is profitable, whereas Ariane 4 was no longer profitable, at the end," said Jean-Yves Le Gall, the dual CEO of Arianespace and Starsem. At the end? That is to say, from the moment when negotiations with the Russians had already begun? Klutsch ?
THE OBSESSION WITH SECRECY
The countdown to the fictitious launch of the first Guiana Soyuz in May 2011 foreshadows a real high-risk launch in October. The European military sector has refused to take the plunge with its own satellites. Not enough to give confidence to international customers. Galileo, has been cased for convenience. Full-scale tests have begun. The security is set up around the site. The dry run was planned well in advance of the first launch, so much so that the visions of the safety and security procedures had to be completely reworked between two worlds united by economics but separated by experience.
The Russians have already fired almost 1800 times in the rough conditions of Baikonur. All the electric meters show the color: "forbidden to be used by non-Russian personnel". Their label is indisputable. But technologically, Europe is now hovering far above its historical glories. Routine commercial launches have no fatalities and few failures. At the CSG, the slightest move is stamped ISO something. Naturally, "the Russians didn't understand why we had to go back and install our own standards of procedure. With their obsession with secrecy, they were always wondering what we were getting at," confides Didier Coulon, head of the Soyuz program for ESA, with a wink.
Joël Barre, the CSG director, enters the Jupiter control room smiling a little too ostensibly at the press. Nevertheless he blows: "there is a lot of people today, only a launch would be missing! We are told again that the day is historic. It is announced that the control room will emit alone the final authorization of launching, precisely to attenuate that the game is played elsewhere: in the Soyuz Center, divided in 2 floors among which 1 inaccessible to any foreign person. That of the Lavochkin company, the manufacturer of the Fregat stage. Between the different Russian launching authorities, in Baikonur, it is not rare to receive 2 faxes after a launch. The first one affirming that on their side everything went well. A second one deploring the loss of the launcher. In French Guiana, there will be three of them, a real dilution of the chain of command with interpreters and interpretations. "These are very restrictive diagnostic reactivity constraints. What we used to do in French, we have to do with Russians. For example, the chronology of the Soyuz launcher is completely different from that of Ariane. I can't hide the fact that when I attended the first one, even if my teams have already started, I didn't understand anything", says the director of CSG, now the happy "owner" of a real "space car fleet" with a Fiat-Vega, a Lada-Soyuz and a Roll's-Ariane without a seat, reduced to freight.
And if the Russians, invested with a heroic mythology, came as in Baikonur to attend the launches at 100 meters from the shooting, with a cigarette in the beak and a shot of vodka just before taking the blast? In this case, I answer you frankly, I stop the shooting ", confirms Thierry Vallée, the Director of the Operations. The countdown is counting down. And precisely, the evacuation of the shooting range is required. Igor Barmin himself is forced to leave his site, furious. The same evening, during a walk on the beach, after having given reason to the official version, he confided annoyed: "The Europeans with their vision of safety have only inflated the bill without it really playing. A lot of stupid things were done on this site, my father would probably have been much stricter. And then, it is not all the Russians who attend the takeoff at 100 meters but maybe 55 meters... ". Good kiss from Russia.
"DOUBLE AGENT
It is thus a historical success. The 4 heads of agencies, including the new protected of Putin, Vladimir Popovkin, proceed to the handing-over of the keys of the launching pad to Arianespace, then to the discovery of the Gagarin stone. During the dismantling phase. The Russians give free access to the launcher. The same CNES source puts forward his interpretation: "One should not analyze the figures in this kind of project. It is useless. The question of space is above all strategic. But one thing is sure, we had no technology transfer in this exchange. And besides, what for? When I saw the transfer of the forces of the launcher from the vertical to the horizontal, these are projects that we already had in the drawers 10 years ago. The question that one has the right to ask is the link between Soyuz, the end of Ariane IV and the beginning of Ariane V". Then let us ask it.
The first element of answer is found in the social capital of the company Starsem where Russian and French are 50/50 (35% EADS, 15% Arianespace, 25% TsSKB, 25% FKA, the Russian space agency). Via EADS, and thus Airbus, Jacques Chirac left Russia with an order in his pocket of 600 million euros for the aircraft manufacturer, when Starsem was created. Today, Airbus aims to sell some 300 aircraft to Russia, which intends to restructure its aeronautics by 2030. At this time, Paris-Moscow relations are still very good. France is investing in the new Russian Silicon Valley. Even Snecma, the manufacturer of the Ariane propulsion, among the first to complain about the arrival of Soyuz, is now associated with the Russians in their aeronautics. Contracts are pouring in. The pro-European policy of Putin-Medvedev, always playing the competition (since it also launches Protons with the Americans via ILS), to obtain the best positioning, but most often gives, at the end of the reading, its preference to the continent.
Then, in a world of real politik and severe world competition, would Soyuz represent "a gift" to the Russians who wanted the equator, with counterpart? Without any doubt. And all things considered, with a commercial and political balance of profit, this logic is unstoppable.
Only, the gnashing of teeth on the side of the ESA and the CNES, deprived of big space projects, while they line up the checks for a foreign power can also be conceived. Especially since the progressive loss of profitability of an Ariane IV, a jewel of technology, was very opportunely contemporary of the rise of the Soyuz project. The industrialists cried at the time of the destruction of impeccable machine tools at the end of the Ariane program. It is rare, to see an industrial crying. Without forgetting that the Ariane V program, still loses money, with a difficult marketing for 2 satellites carried once. Knowing that the least failure of one penalizes the other. Ariane V must today compose its market with Soyuz. Then in spite of the obliged smiles, hung on the gallery of the history, some cannot prevent from establishing links of cause to effect. Especially when the questions of profitability of the space sector remain subject to interpretation, with Starsem and Arianespace then headed by the same CEO. And that the very idea of profitability for the small club of space powers passes to the second plan. Access to space remains above all a strategic question of sovereignty. The control of the "High Ground" (the highest point), remains a military imperative since antiquity. And the real ground of all the wars of the future since the weaponization of space by the Americans, started with the program "Star Wars" under Ronald Reagan.
And what about the final victory of a Soviet relic which has become, against all odds, since the end of the American shuttle and until the advent of Space X, the last resort of the globalized space to transport man to the sky. But the denouement of this game ends well on the ground, at the Paris Air Show one month after this dry run. If Soyuz has been traded for Airbus sales prospects to the Russians, the latter present in a vast and gleaming stand their future medium-haul aircraft, the Sukhoi 100, which looks remarkably like an Airbus and is built with numerous European equipment manufacturers. Better still, the Russians have also taken a stake in EADS via the Vneshtorbank, a state-owned bank.
The Prime Minister, François Fillon, advances with a decided step on the tarmac of the airport surrounded by the leaders of the CNES and the ESA. The CNES, tired of swallowing Arianespace's bullshit, had issued a report last January ordering to stop as soon as possible this "necessary collaboration" with the Russians. A fiasco announced, while Moscow works on new versions of Soyuz which will undoubtedly prove incompatible with the expensive Guiana launch pad. If in 1996, François Fillon, went with Jean-Yves Le Gall to Moscow for the creation of Starsem, it seems today to belatedly agree with the arguments of the thinkers of the European space policy. The CEO of Arianespace, known for his icy approach, advances almost invisible, embarrassed, towards the Prime Minister. Stinging disavowal, the latter will pass in front of the stand without marking a halt. He runs off with the leaders of Cnes and Esa, all smiles, directly to Thales, which is the leading international equipment manufacturer. In 2013, Jean-Yves Le Gall will nevertheless succeed in taking over the CNES.
The whole operation promised to be all the more historic as it was far from being guaranteed to meet the announced objectives. The lesson was certainly worth a good bortsh with cheese, but nostalgia comrade, takes the look towards the dead light of a beautiful star fallen from heaven to earth, a self-sabotage precipitating uselessly the end of an Ariane IV which still had long years of service before it, exchanged for a bad "commercial op". On the base, it is said that at the time of the destruction of the equipment of Ariane IV one would have seen industrialists crying in front of this lamentable waste. Without even being able to foresee the initial setbacks due to an equally precipitous development of Ariane V, whose final technical success, although stripped of its ultimate and most strategic mission, is due to the prowess of its engineers. According to the bitter admission of most CNES collaborators, Soyuz in French Guiana has been a drain on the development potential of Ariane V, originally designed to carry man into space. Ariane V will never develop its habitable module, the tool of a real strategic policy of independence for a European access to space. On one of the many roads of the CSG, a model of the module in the shape of an empty soda can has been rusting for years. If we summarize at the end, behind a screen of figures as astronomical as they are debatable, the European taxpayer, France in the lead, pays the Russians for the sending of American tele-communication satellites and many other countries which totally ignore and with some reasons this satellite market which is not one. As in chess, the objective of the space sector is not to swallow pawns, but to identify the master piece in a moving space: ISS, the moon, Mars. Europe had the best control of the board with its Guiana location, the best human and technological development with a meticulous construction of its agency and its wide range launchers. However the Russians knew how to place their Soyuz, admirable as an old pawn surviving from all the wars, in the heart of the European strategy. Na zdorovie.
Sébastien Di Silvestro