Land(e)scape
Autoroute, ligne droite, plein sud. Flux de camions, files de voiture, vitesse constante. Quelques kilomètres, et déjà la forêt apparaît, de tous côtés, devant, derrière, répétitive. Je la regarde défiler. Peut-être que tout le monde la regarde. Peut-être que personne ne la regarde. Simplement, elle est là. J'ai si souvent pris cet axe, cette saignée, pour aller directement me perdre en Espagne. Mes attaches dans les Landes s'étant tues, voilà longtemps que je ne m'arrête plus. Enfin, cette fois-ci, je sors, je quitte l'artère. Je m'échappe.
Je vais suivre les traces de Félix Arnaudin, pionnier de la photographie dans la Haute-Lande du XIXème. Ainsi qu'il le pressentait, aujourd'hui, son temps est révolu. Il n'en reste que des miettes éparses, çà et là. La vie agro-pastorale a disparu, laissant la place à des pins. Depuis les arbres ont grandi, les gens se sont habitués. Incendies, épidémies, tempêtes, qu'importe, le pli est pris, et il faut replanter, sans cesse replanter.
Bien-sûr, la tempête Klaus a marqué les esprits. Des milliers d'hectares couchés comme si une guerre entière s'était jouée en une seule nuit. Parfois l'être aimé ne trouve sa juste place en nos coeurs qu'une fois sa perte constatée. Son souvenir imprécis flotte, pendant que l'habitude tente de reprendre ses marques. Il a fallu tout nettoyer, tout recommencer. Un peu plus d'un siècle après celui qui voulait sauver de l'oubli l'ancienne Lande, c'est ce spectacle-là que je parcours. Je crois qu'ici, personne n'oubliera jamais les pinèdes meurtries.
L'héritage de Félix Arnaudin a donné naissance à la Maison de la Photographie des Landes. Alors je suis là, arpentant l'espace incertain. De quelles mutations acharnées sont nées ces terres ? Combien de révolutions les marais d'antan ont-ils connues avant de devenir la plus grande surface boisée artificielle d'Europe ? Méthodiquement, carte en mains, je quadrille le territoire. Ce n'est pas une errance, plutôt une danse amoureuse, vaguement mélancolique. La solitude. Le vent qui balaye les herbes, qui siffle dans les branches. Pauses permanentes dans ce Far-West du nulle-part. Le désert vert, le désert ocre. Les champs immenses, la perte de la vue. La savane, l'Amazonie. Et puis les routes sans fin, les averses têtues, les éclaircies malicieuses.
Par un méandre inconnu des choses, instantanément, je me sens chez moi, ou plutôt, à ma place. Au fond, s'il est possible d'habiter un terroir, nul n'habite jamais un paysage. Le paysage, lui, habite tout ce qu'il englobe, faune, flore, humains. Alors le regard s'inverse, il n'est plus celui qui voit, mais celui qui se sait vu. Dès lors, il suffit de se laisser habiter. Lentement, je me remplis, et me vide aussitôt. Je respire. Les mystères de cette immensité plate me hantent, mes pensées m'égarent.
Autour de moi, les oiseaux vont et viennent en récitant des mélodies apprises on ne sait où. L'eau ruisselle en tous sens, comme déterminée par un impérieux et lointain rendez-vous. Les chênes sans feuille dessinent les silhouettes immobiles d'un théâtre sans rideau ni fauteuil. Sur la côte, sans relâche, les vagues se fracassent avec toute l'indifférence de la certitude. Les chemins s'enfoncent dans des sous-bois où la nuit pénètre avec une sourde et fascinante inquiétude. Une beauté étrange, vaste et profonde, m'envahit silencieusement.
Je suis dans les Landes. Je photographie.
Land(e)scape
Autoroute, ligne droite, plein sud. Flux de camions, files de voiture, vitesse constante. Quelques kilomètres, et déjà la forêt apparaît, de tous côtés, devant, derrière, répétitive. Je la regarde défiler. Peut-être que tout le monde la regarde. Peut-être que personne ne la regarde. Simplement, elle est là. J'ai si souvent pris cet axe, cette saignée, pour aller directement me perdre en Espagne. Mes attaches dans les Landes s'étant tues, voilà longtemps que je ne m'arrête plus. Enfin, cette fois-ci, je sors, je quitte l'artère. Je m'échappe.
Je vais suivre les traces de Félix Arnaudin, pionnier de la photographie dans la Haute-Lande du XIXème. Ainsi qu'il le pressentait, aujourd'hui, son temps est révolu. Il n'en reste que des miettes éparses, çà et là. La vie agro-pastorale a disparu, laissant la place à des pins. Depuis les arbres ont grandi, les gens se sont habitués. Incendies, épidémies, tempêtes, qu'importe, le pli est pris, et il faut replanter, sans cesse replanter.
Bien-sûr, la tempête Klaus a marqué les esprits. Des milliers d'hectares couchés comme si une guerre entière s'était jouée en une seule nuit. Parfois l'être aimé ne trouve sa juste place en nos coeurs qu'une fois sa perte constatée. Son souvenir imprécis flotte, pendant que l'habitude tente de reprendre ses marques. Il a fallu tout nettoyer, tout recommencer. Un peu plus d'un siècle après celui qui voulait sauver de l'oubli l'ancienne Lande, c'est ce spectacle-là que je parcours. Je crois qu'ici, personne n'oubliera jamais les pinèdes meurtries.
L'héritage de Félix Arnaudin a donné naissance à la Maison de la Photographie des Landes. Alors je suis là, arpentant l'espace incertain. De quelles mutations acharnées sont nées ces terres ? Combien de révolutions les marais d'antan ont-ils connues avant de devenir la plus grande surface boisée artificielle d'Europe ? Méthodiquement, carte en mains, je quadrille le territoire. Ce n'est pas une errance, plutôt une danse amoureuse, vaguement mélancolique. La solitude. Le vent qui balaye les herbes, qui siffle dans les branches. Pauses permanentes dans ce Far-West du nulle-part. Le désert vert, le désert ocre. Les champs immenses, la perte de la vue. La savane, l'Amazonie. Et puis les routes sans fin, les averses têtues, les éclaircies malicieuses.
Par un méandre inconnu des choses, instantanément, je me sens chez moi, ou plutôt, à ma place. Au fond, s'il est possible d'habiter un terroir, nul n'habite jamais un paysage. Le paysage, lui, habite tout ce qu'il englobe, faune, flore, humains. Alors le regard s'inverse, il n'est plus celui qui voit, mais celui qui se sait vu. Dès lors, il suffit de se laisser habiter. Lentement, je me remplis, et me vide aussitôt. Je respire. Les mystères de cette immensité plate me hantent, mes pensées m'égarent.
Autour de moi, les oiseaux vont et viennent en récitant des mélodies apprises on ne sait où. L'eau ruisselle en tous sens, comme déterminée par un impérieux et lointain rendez-vous. Les chênes sans feuille dessinent les silhouettes immobiles d'un théâtre sans rideau ni fauteuil. Sur la côte, sans relâche, les vagues se fracassent avec toute l'indifférence de la certitude. Les chemins s'enfoncent dans des sous-bois où la nuit pénètre avec une sourde et fascinante inquiétude. Une beauté étrange, vaste et profonde, m'envahit silencieusement.
Je suis dans les Landes. Je photographie.