Au Pays Basque, on se bat contre la vague toxique
« On ramasse moins de déchets cette année. Peut être 3 tonnes sur la saison. Les années passées, on était autour des 5 ou 6 tonnes ». On se hâte d’y voir une bonne nouvelle mais Arnaud Clavier, capitaine du Itsas Belara explique que si ces déchets ne parviennent pas jusqu’à nos côtes, ils sont bien quelque part en mer, charriés par des courants au large et des conditions météorologiques changeantes. Il ajoute qu’on ne verrait de toute façon, sur nos côtes et nos plages, que deux pour cent des déchets plastiques rejetés dans l’atlantique. Le reste rejoignant probablement le vortex de déchets de l'Atlantique nord découvert, en 2010, d’une longueur de plusieurs centaines de kilomètres et dont la densité serait de 200 000 débris au kilomètre carré, zone semblable au fameux « 7eme continent » dans le Pacifique d’une surface équivalente à trois à six fois celle de la France selon les sources.
Chaque année, l’Itsas Belara, sillonne la côte basque, pour le syndicat mixte Kosta Garbia, composé de la Communauté Pays Basque et du Département des Pyrénées Atlantiques. En 2018, sur la période d’activité de ramassage, du 1er mai au 10 septembre, Arnaud et ses matelots saisonniers ont ramassé 27 tonnes de déchets, dont 17 tonnes de plastique et 10 tonnes de bois flottant. Cette mission, Arnaud en a hérité de son père qui lui a aussi laissé le bateau de pêche, l’« Itsas », comme il le surnomme. Si d'autres entrepreneurs, avec des technologies plus modernes, répondent à l'appel d'offre annuel émis par Kosta Garbia et convoitent cette responsabilité, Arnaud reste confiant dans ses résultats passés et dans la simplicité et l'efficacité de sa méthode de ramassage.
Depuis sa cabine, Arnaud repère les courants, les lignes entre deux eaux où les mousses et la pollution s’amassent. "C’est là que l’on observe la mauvaise qualité des eaux: mousses chimiques, liga, déchets plastiques et tout ce qui peut potentiellement se retrouver sur les plages de la côte basque." Ses matelots déploient alors un chalut en surface sur le coté du bateau qui récupère les déchets flottants. Ce matin là, une glacière électrique en deux parties, un chou blanchit par l’eau salée et même un petit pochon de haschich "nutellhash" se sont glissés dans les filets, au milieu des déchets plastiques habituels.
"80% des déchets que l'on retrouve sur les plages proviennent de l'intérieur des terres. Ils transitent par les cours d'eau." précise Nikita Tuffier, responsable de la mobilisation et du réseau européen chez Surfrider Foundation. "Les ramasser lorsqu'ils arrivent en mer permet a priori de limiter temporairement l'échouage de ces déchets sur les plages et dissimule en quelque sorte cette pollution pour que le littoral reste attractif." La démarche de Surfrider Foundation, ONG dont les bénévoles organisent régulièrement des collectes de déchets au Pays Basque, est différente: l'association travaille sur la sensibilisation des citoyens, la quantification des déchets et la récupération de données sur leur qualité et leur origine. "C'est très important pour nous de suivre cette donnée en organisant ou en participant à des collectes mais le ramassage en soi, est une solution à très court terme."
Le reste de l’année et dès la rentrée, c’est une denrée plus convoitée qu’ Arnaud et ses matelots pêchent à bord de l'Itsas Belara: le gelidium sesquipedale, algue rouge détachée des roches côtières puis envoyée de l’autre coté de la frontière espagnole pour en faire de l’agar-agar. Chaque année, elle se fait de plus en plus rare au pays basque.
Marc Valmassoni, expert et coordinateur de campagne Eau et Santé chez Surfrider Foundation, connait bien l’algue rouge que pêche Arnaud; à l’automne, elle revêt les plages rocheuses du pays basque où il réalise ses derniers prélèvements hebdomadaires de la saison. L’objet de ses prélèvements est aussi une algue, présente depuis peu au Pays Basque, la microalgue Ostreopsis, potentiellement toxique pour l’humain avec des problèmes cutanés et respiratoires et impactant la biodiversité. Chaque semaine de juin à septembre, il prélève puis fait analyser l’eau des plages d’Erromardie, Uhabia, Lafitenia ou encore le VVF à Anglet, toutes très fréquentées durant l’été. « L'année dernière, de mémoire, il n'y avait pas eu de fermeture liée à la présence de la microalgue. Cette année, j'en compte au moins deux sur Biarritz. À partir du moment où Ostreopsis est présente dans le milieu, l'algue est et restera là ! Il va falloir apprendre à vivre avec elle comme on dit. Il s'agit d'une microalgue qui a trouvé un terrain propice à son développement ici au pays basque comme elle l'a fait par le passé en Méditerranée. »
Fin septembre, l'Institut de recherche de Postdam sur les effets du changement climatique confirme avec l’acidification des océans, le dépassement d'une septième des neuf limites définissant un espace sûr pour l'humanité sur Terre. Pour rappel, les neufs limites sont: le changement climatique ; l’érosion de la biodiversité ; la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore ; le changement d’usage des sols ; le cycle de l’eau douce ; l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère ; l’acidification des océans ; l’appauvrissement de la couche d’ozone ; l’augmentation de la présence d’aérosols dans l’atmosphère. Seules, les deux dernières n’ont pas (encore) été franchies.
« L’augmentation du C02 dans l’atmosphère provoque une acidification des océans et donc une dégradation de la qualité des milieux notamment avec par endroit une baisse de la biodiversité. Ostreopsis semblerait se plaire et se développer également au sein d'écosystèmes "dégradés"… mais le lien demeure complexe à établir. » explique Marc. Il y a quelques années une étude réalisée dans les eaux de l’ile volcanique d’Ischia au large de Naples révélait la haute tolérance de Ostreopsis Ovata aux variations élevées de pH de l’eau. L’acidification, qui menace donc les algues corallines et notamment leur structure non vasculaire (thalloïde) comme celle du gelidium pêché par Arnaud, ne représenterait en revanche pas un frein au développement de l’algue Ostreopsis. Elle aurait même tendance à participer à l' « effet cocktail » que l'algue toxique semble particulièrement apprécier.
« Afin que le milieu reste hospitalier, il va falloir stopper les apports anthropiques mais surtout les apports de contaminants anthropiques les plus préoccupants. Actuellement, dans le cadre de la directive Eau de Baignade, seules les paramètres microbio sont pris en considération (E. coli et entérocoques) afin de classer une plage en excellente, bonne, satisfaisante ou insuffisante qualité. Une autre directive européenne (directive-cadre sur l'eau ou DCE) s'intéresse à la pollution chimique et nous permettra une nouvelle classification de la qualité de la masse d'eau mais l'approche est environnementale et non sanitaire ! Surfrider préconise la mise en place de nouveaux paramètres à surveiller dans les eaux de baignade et récréative notamment dans un objectif de garantie sanitaire des eaux dans lesquelles nous nous baignons et évoluons toute l'année. »
Si l’accord BBNJ (Biodiversity Beyond National Jurisdiction) pour la protection de la haute mer ratifié par 73 pays en septembre dernier à New York est une victoire pour la sauvegarde de la biodiversité marine dans les zones ne relevant pas de la juridiction nationale, l’avenir de nos cotes et des eaux territoriales qui en font leur attractivité est chaque année de plus en plus incertain. « Pourra t-on encore se baigner dans les eaux côtières dans 10 ans ? » s’interroge Nikita. L’introduction de contaminants anthropiques, toute l’année par les cours d'eau et les rejets des réseaux saturés l'été, le réchauffement des eaux, leur acidification dû à l’augmentation de C02 dans l’atmosphère, la modification des propriétés optiques de la colonne d’eau (assombrissement des océans) et enfin la pollution plastique participent à une importante dégradation du milieu qui en compromet son usage et sa jouissance.
Enfin, l’occasion manquée du traité de Genève pour promouvoir la circularité de l'économie plastique et pour empêcher ses fuites et débordement dans l'environnement en aout dernier désole Marc, Nikita et l’ensemble des employés et bénévoles de Surfrider : "Nous attendions de Genève un traité capable de mettre réellement fin à la crise mondiale de la pollution en traitant le fléau à la source avec une diminution de la production. Le texte est finalement très faible, sans contrainte. Pour nous, mieux vaut pas de traité qu'un texte au rabais. Surfrider Foundation fait partie d'un consortium d'ONG qui appellent à reprendre les discussions sur des bases solides pour un traité juridiquement contraignant et ambitieux."