France périphérique
France Périphérique
Montée de la pauvreté en France, témoignage photographique.
Économiste de formation je documente depuis 2012 la montée de la pauvreté en France.
Le titre "France Périphérique" est emprunté à l'ouvrage éponyme du géographe Christophe Guilluy qui aborde les problématiques politiques, sociales et culturelles de la France contemporaine par le prisme du territoire. Il s'intéresse à l'émergence d'une France périphérique qui s'étend des marges périurbaines les plus fragiles des grandes villes jusqu'aux espaces ruraux en passant par les petites villes et villes moyennes. Il souligne que désormais 60 % de la population et les trois quarts des nouvelles classes populaires vivent dans cette France périphérique, à l'écart des villes mondialisées.
La France comptent 8,8 millions de pauvres (INSEE, 2016). 2,3 millions de personnes vivent avec au mieux 672 euros par mois (pour une personne seule). Comble pour l'un des premiers producteurs agricoles mondiaux, pour manger, près de deux millions de personnes auraient eu recours à l'aide alimentaire en 2015 (Observatoire des inégalités).
Je m'intéresse aux évolutions qui modifient la société française en profondeur, sur le long terme. La pauvreté a baissé à partir des années 1970 jusqu'au milieu des années 1990. Elle est ensuite restée plutôt stable jusqu'au début des années 2000, puis elle a augmenté. Depuis 2004, le nombre de personnes pauvres a progressé de 1,2 million (+ 30 %). Ce mouvement de hausse constitue un tournant dans l'histoire sociale de notre pays. La dégradation économique enregistrée depuis 2008 pèse tout particulièrement sur les moins favorisés (source : L'Observatoire des inégalités). L'objectif est de constituer un témoignage photographique de la hausse structurelle de la pauvreté dans l'hexagone.
Au delà des statistiques, le phénomène est peu visible. Pourquoi ? Les analyses de Pierre Bourdieu et Michel Legros peuvent nous éclairer. Selon le premier, l'invisibilité sociale est un effet de la domination. L'espace social est un espace clivé, divisé entre dominants et dominés. Dans la conception la plus large, l'invisibilité concerne tous ceux que les dominants estiment ne pas relever d'une vie normale et accomplie.
Pour Michel Legros (Observatoire de la pauvreté et de l'exclusion sociale) l'invisibilité peut constituer un mode de régulation de la pauvreté. Il s'agit alors de rendre les pauvres invisibles. Les politiques urbaines notamment visent à « nettoyer » l'espace public, en évitant que les pauvres ne l'occupent trop massivement pour ne pas déranger le reste de la population. La rénovation urbaine a pu conduire à repousser les pauvres toujours plus loin en périphérie, et la politique de mixité sociale passe en réalité par l'expulsion plus ou moins directe et négociée de catégories que l'on ne souhaite plus voir dans les espaces rénovés. (ONPES).
Je souhaite par ce témoignage rendre visibles et concrètes les conditions de vie d?une partie de nos compatriotes. Que des visages se substituent aux statistiques afin d'apporter au public des éléments de sensibilisation et de compréhension.
Car le regard des Français sur les pauvres se fait plus dur. Selon une enquête du Crédoc (1) portant sur un échantillon représentatif de 2 000 personnes de décembre 2013 à janvier 2014 publiée le 12 septembre 2014. 37 % des Français pensent que les personnes qui vivent dans la pauvreté n'ont pas fait d'effort pour s'en sortir alors qu'ils n'étaient que 25% en 2009 au déclenchement de la crise.
Ce travail a reçu les prix Roger Pic (2016), Camille Lepage (2017), Albert Kahn (2018), Fidal (2018) et a été finaliste des prix de l'académie des Beaux Arts (2017) et Eugene Smith (2019).
(1) CREDOC : Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie.
Peripheral France
Peripheral France
A photographic account of rising poverty in France.
Since 2015, I have been documenting rising poverty in France. The aim of this work is to expose the living conditions of part of the French and non-French populations living on its soil.
I trained as an economist and am interested in evolutions that deeply modify French society long term. Poverty was in decline from the 1970s until the mid-1990s, but this tendency has since reversed. This rising trend is a turning point in the country?s social history.
There are 8.9 million people suffering from poverty in France. Between 2005 and 2015, the number of affected people rose by nearly one million, mainly due to the rise in unemployment.
It is the ultimate paradox for one of the world?s leading agricultural producers that, in 2015, more than two million people had to rely on food banks in order to eat.
The economic downturn since 2008 has particularly hit the poorest populations hard (French Inequality Watch).
Above and beyond the statistics, this phenomenon is barely visible. Analyses by Pierre Bourdieu and Michel Legros shed some light on the reasons for this. According to the former, social invisibility is a direct result of domination. The social space is split between the dominators and the dominated. In its broadest terms, this invisibility affects all those who are not considered to lead a full and normal life by the dominators.
According to Michel Legros (French National Poverty and Social Exclusion Watch - ONPES), invisibility may constitute a means of regulating poverty. It involves rendering the underprivileged invisible. Urban policy in particular aims to ?clean? the public space by preventing the underprivileged from occupying it too massively and inconveniencing the rest of the population. Urban renewal may have lead to the underprivileged being pushed further and further to the periphery, and social cohesion policies are often implemented through more or less direct and negotiated evictions involving social classes that are no longer desirable in renovated spaces (ONPES).
This project was awarded the Roger Pic Award in 2016, the Camille Lepage Award in 2017, the Albert Kahn and Fidal Awards in 2018, and nominated for the Eugene Smith grant 2019.