Fraternité et Unité - Sur la route des fantômes de la Yougoslavie
Il faut imaginer une longue bande d’asphalte de 1 170 km de long qui file dans le cœur des Balkans. À l’époque de la Yougoslavie socialiste, l’autoroute de la Fraternité et de l’Unité traversait le pays du nord au sud, sillonnant quatre de ses six républiques : la Slovénie, la Croatie, la Serbie, et la Macédoine.
Fraternité et Unité : c’était une devise, un dogme, un principe directeur de ce régime fondé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et disparu dans les années 1990. Ainsi l’avait voulu Josip Broz, Tito, le fondateur de la fédération socialiste, son leader jusqu’à sa mort en 1980.
C’est lui, aussi, l’ancien chef emblématique des Partisans, les résistants communistes qui expulsèrent les forces de l’Axe de la région, qui avait voulu cette route. L’autoroute servait des objectifs économiques mais aussi, voire surtout, politiques : il s’agissait d’unifier le jeune pays, tout juste créé, après le conflit mondial. Dans une période de fortes tensions, extérieures comme intérieures.
Aujourd’hui, la Yougoslavie n’existe plus. Le pays a éclaté à la fin du siècle dernier, les conflits ont été terribles. Après la disparition de l’ex-Yougoslavie, les chemins des anciennes républiques fédérées ont divergé, leurs destins aussi. Pourtant, ce passé yougoslave, ce passé commun est toujours bien présent.
Je l’ai constaté, dans les quatre pays que j’ai traversés. Il y a ces barres d’immeubles plantées en périphéries des villes par les autorités socialistes ; ces échanges continus entre les différents pays ; mais aussi ces traces des conflits, stigmates en forme de cicatrices laissées par les balles de gros calibre ou le shrapnel sur les façades des immeubles ou le crépi des maisons.
Je suis allé chercher des traces de ce passé commun le long du parcours de la route, elle qui s’accroche aux pentes des montagnes des Alpes slovènes, file dans des plaines agricoles ou industrieuses de Croatie et de Serbie, et serpente dans les collines arides du sud de la Macédoine, près de la frontière grecque.
J’ai arpenté le tracé de l’autoroute à la recherche de survivances de la Yougoslavie, des traces du précédent régime bien visibles ou occultées, parfois si discrètes qu’elles ne sont plus que des fantômes.
Brotherhood and Unity - Looking for the ghosts of Yugoslavia
It was a huge ribbon of asphalt or concrete, 1,170 km long, running through the heart of the Balkans. During the era of socialist Yugoslavia, the Highway of Brotherhood and Unity crossed the country from north to south, passing through four of its six republics: Slovenia, Croatia, Serbia, and Macedonia.
Brotherhood and Unity: it was a motto, an official guiding principle of the regime that wanted to bring together Serbs, Macedonians and Montenegrins, Croats and Slovenians, Bosnians; Orthodox, Catholics, Muslims.
‘Yugoslavia has six republics, five nations, four languages, three religions, two alphabets and one party,’ said Josip Broz, Tito, the founder of the socialist federation born in the aftermath of the World War II and which disappeared in the 1990s, its leader until his death in 1980. He was the former iconic leader of the Partisan movement, the resistance fighters who drove the Axis forces out of the region during the Second World War. Today, Yugoslavia has disappeared, the country having broken up at the end of the last century.
The Highway of Brotherhood and Unity no longer exists as such; it disappeared along with the Socialist Federation. But it is still possible to follow its route, a network of several interconnected national roads that allow travelers to pass from one country to another. Sometimes without even stopping, as there are no longer any borders between Slovenia and Croatia, both members of the European Union and the Schengen area. After the break-up of the former Yugoslavia, the paths of the former federal republics diverged, as did their destinies. Yet, ‘you can't escape the past,’ Mitja Velikonja, a professor in the Department of Cultural Studies at the University of Ljubljana, told me. He is right. The ties between the now independent countries are numerous and take many different forms: architecture, urban planning, music, popular culture, culinary specialties... Even today, these are common traits shared by the four countries I travelled through.
I travelled there in search of these traces of the past in the towns, villages and countryside along the old road, from the green mountains of Slovenia to the bare hills of Macedonia. I walked the length of the motorway in search of remnants of Yugoslavia, legacies of the previous regime that reveal themselves as the kilometers pass, some obvious, others more discreet.