Politique - la kermesse des Patriotes
Ce lundi 9 juin, l’extrême européenne se réunissait sous l’égide des Patriotes pour l’Europe, le troisième groupe du Parlement Européen, présidé à Bruxelles par Jordan Bardella. Il s’agissait de célébrer leur percée, qui provoqua la dissolution de l’Assemblée Nationale. Le RN a décidé de marquer l’anniversaire de leur « victoire » en invitant 16 partis politiques de 14 pays européens. Rite de passage, il faut clore l’année, célébrer pour sauter vers l’avenir.
La Kermesse des Patriotes
Ambiance kermesse donc : discours, animation musicale, espaces restauration, buvettes, producteurs locaux. Il ne manque que les jeux pour les enfants. Malgré leur présence, le spectacle est surtout pour les parents, les votants.
13 discours annoncés, avec en tête d’affiche Victor Orban (Premier Ministre hongrois), Matteo Salvini (Vice-Président du Conseil des Ministres italien) et Santiago Abascal (président de Vox, le parti d’extrême-droite espagnol, et président du dit parti Patriots for Europe). Et bien évidemment Marine Le Pen et Jordan Bardella, la star française des partisans et partisanes d’extrême-droite.
La kermesse a lieu en marge des grandes villes. On est ici à côté de Montargis, à Mormant-Sur- Vernisson précisément, dans le Loiret (45). Le coin est le laboratoire politique du RN et le fief de Thomas Ménager, député de la 4e circonscription. Fallait-il s’isoler pour éviter les protestations face à un casting aussi controversé ? Ou pour assurer au mieux la sécurité d’un chef d’État et d’hommes et de femmes politiques ? Faut-il croire M. Ménager qui revendique un lieu à l’image d’une partie de leurs partisans ?
Partisans, Partisanes
Dès l’arrivée, c’est la distribution de chapeaux et de drapeaux : français, portugais, grec, espagnol, italien... les bi-nationaux sont invités à revendiquer à bout de bras leur européanité et à trinquer. Vin, bière, sandwich saucisse, burger à l’états-unienne et andouillette à la française s’étalent sous le chapiteau. Des grandes tables invitent au banquet et à la convivialité. 6 000 personnes sont venues de Paris, du département et plus largement de la région via une marée de bus affrétée spécialement pour l’occasion.
Qui sont-ils ces partisans et partisanes sur place ? Il y a cols blancs et t-shirt larges, robes chic et styles casual banane/basket. Il y a bien entendu quelques clichés attendus : des supporters de Trump, des fleurs de Lys, des tatouages de symboles celtes repris par les mouvements néo-fascistes, des symboles franchouillards... Mais il y a surtout une France en jeunesse, vieillesse et en famille. Il y a la fierté d’être ici et l’ambiance festival de croiser des stars locales et internationales. Photos, dédicaces de drapeaux ou de livre... Les cadres de partis s’en donnent à coeur joie et les foules de même.
Une ligne politique sans surprise
Puis c’est l’heure, et les discours défilent. On retrouve partout le même populisme et le même souverainisme, avec des nuances racistes plus ou moins affirmées.
Viktor Orban fait fort. Sur la guerre en Ukraine, alors qu’il prône un cessez-le-feu, car mourir pour l’Ukraine serait trop donner, il pose un discours viriliste de domination : « Les faibles tombent. Les courageux restent debout. Les forts gagnent. » Sur le sujet de l’immigration, annoncée comme une menace, il déclare : « nous ne les {les immigrés} laisserons pas violer nos filles et nos femmes. » Moins vindicatif mais tout aussi pernicieux, Santiago, Abascal défend le sens catholique de l’histoire de l’Europe, qu’il faudrait défendre contre un envahisseur. Il se pose ainsi comme un homme de l’anti-mondialisme. Si les racines de l’Europe créent pour lui une convergence, il s’attaque à l’Union Européenne et à son bureaucratisme. La civilisation d’abord.
Le discours identitaire résonne dans les différents discours et provoquent des exclamations vives du public. La foule chauffe, des évanouissements commencent à surgir çà et là. Le soleil frappe et les uppercuts de l’extrême-droite pleuvent : l’insécurité ambiante à l’image des effusions à Paris après la victoire du PSG, le trafic de drogue qui s’empare des rues, l’écologie punitive, la corruption...
« Marine Présidente »
Maintenant chaufée, la salle est prête à recevoir sa présidente. « Marine présidente » chantée comme une prophétie. La mère supérieure, que tous les discours ont encensée, est venue avec son poulain, son fils prodige. Leur Messie. Leur Messie pas encore révélé alors que l’estrade politique s’est remplie pour les trois derniers discours.
Emportée par cette flamme religieuse, elle prophétise elle-même que l’anniversaire tombe un jour de Pentecôte. Signe fort pour les « Crétins » ! Pardon, les chrétiens. Le lapsus dans la foule faire rire jaune. Mais rien ne peut saper sa hargne. Elle enchaîne alors les mêmes clichés sur l’Europe, sur Macron, sur l’insécurité. Elle s’assure que son procès est bien une atteinte à la démocratie en allant chercher les cris de ses partisans et de ses partisanes. Puis, elle en vient à parler du futur. Cette victoire est aussi le signe qu’il faut aller de l’avant : « avant c’était mieux, ça sera mieux demain ! ».
Et pour aller de l’avant, qui de mieux que la star montante, le nouveau visage de la stratégie de la cravate (lisser l’image de l’extrême-droite par une belle présentation afin de dédiaboliser leur radicalité), qui de mieux donc que Jordan Bardella.
Le Messie Bardella
La foule s’emporte alors. Un nouveau chant résonne à l’arrivée Messieanique du playboy : « on est chez nous ! On est chez nous ! »
Dans son discours, Jordan Bardella ne réinventera rien de ces prédécesseurs et prédécesseuses. Il vantera la « belle terre de France », pour le plaisir de la foule, et une certaine Europe. Pas celle des normes qui gangrènent les vies de ses compatriotes, mais celle d’une Europe des Nations. D’une Europe des civilisations anti-islam qui assument ses identités, « ses traditions, ses valeurs, ses langues, ses cultures. »
Il viendra avant tout annoncer la fameuse prophétie d’une gouvernance prochaine de l’extrême-droite, dont ils apportent « une vision, la boussole. » Une gouvernance en Europe mais aussi en France. Il s’investit d’une mission sacrée, être le protecteur des Français et des Françaises qu’il décrit comme soumisse, quand lui les veut fières. Il clôt avec toupet, citant l’homme de gauche par excellence du siècle des républiques, Victor Hugo : « Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue. »
Une union sacrée pour l’extrême-droite, un avertissement pour le reste
C’est l’inquiétant rassemblement de cette France éclatée par les crises que Jordan Bardella vient ici révéler. Il savourera son bain de foule dans la fosse. Marine Le Pen se fera plus discrète, elle n’a plus l’âge de se faire bousculer physiquement par une foule en délire.
C’est l’inquiétant rassemblement d’une Europe qui s’organise quand les droites luttent pour se maintenir, les gauches se divisent et le centre s’éventre.
La France a faim d’unité, et une partie la trouve dans le pire. La réaction doit avoir lieu pour faire face à ce vent fasciste. Car l’élitisme national, le racisme, le culte de la tradition et du sentiment d’humiliation, l’avénement d’un renouveau pour le Peuple et pour la Nation, l’anti-étatisme et l’appel à l’action, tout ce que proposent ces extrêmes- droites, définissent un fascisme.