PATIENCES LÉTALES
Karachi, 29 mai 2023, Saima est exécutée. Au tribunal son corps gît, poinçonné par deux balles, elle avait 24 ans. Son mari, sikandar, n'avait pas supporté l'idée qu'elle puisse demander la séparation. Écroué depuis, les tavelures éparses du sang de Saima sur sa chemise sont devenues de larges tâches brunâtres. Si Sikandar a commis un crime, rien ne le destine encore à la prison : au Pakistan la vie d'une femme peut se négocier. Si la famille de Shaima concède à lui pardonner, son crime aura été de droit.
Dans le quartier de Lyari à Karachi, les violences ont meurtri les chairs. Les quelques silhouettes féminines lourdement drapées qui traversent l'espace public ont été ici corrodées par la pauvreté, là marquées par la violence des hommes. Au Pakistan 85 % des femmes sont victimes de violences domestiques, les mariages forcés sont la norme, et le crime d'honneur ne fait pas exception.
Dans le roman des Mille et une nuits, alors qu'épris de rage le roi Schahzenan assassine sa femme, jamais le nom de cette dernière n'est mentionné. Pas plus que toutes celles qu'il exécutera chaque jour pour exorciser sa peine. La femme, appendice de l'homme, remplaçable à raison de disparaitre, est réifiée en ustensile polyvalent, tour à tour élément des masses laborieuses et maltraitées, ou détail de la foule d'accessoires domestiques apprivoisés pour la reproduction.
Au Pakistan, la soumission croît là où chemine le féminin. Dans sa série photographique, c'est ce chemin que raconte Karine Pierre. Un féminin piégé, épié, détruit par un masculin prédateur qui parfois au pied du mur de son propre dénuement, préfère asservir pour ne pas être au bout de la chaîne du malheur. Comme Sardanapale avait assassiné toutes les femmes de sa cour alors que le pouvoir lui échappait, les Patiences Létales raconte l'insupportable idée de l'émancipation d'un féminin-propriété.
Déjà dans sa série Take me Home ! Karine Pierre racontait le destin de celles enfermées dans le mouroir des centres d'accueil pour femme au Pakistan. Trop libres, trop émancipées, elles étaient condamnées ici à décrépir, la silhouette craquelée, l'air désorienté et grignotées par la faim. Des centres dont on ne sort qu'enveloppée d'un linceul suranné, pour finir enterrée sans même un nom, loin de tout. Précipitées vers la mort, les sujets de Karine Pierre sont ici des ombres condamnées.
Si c'est une femme, c'est un corps. Avant d'échouer dans ces centres d'accueil où chacune semble lutter pour se mouvoir, il existe un espace où d'autres se meuvent pour lutter. Dans l'espace public, d'une bataille ou d'une fuite, le moindre signe de vie sert un peu plus à tromper les patiences létales.
Arthur Sarradin
LETHAL PATIENCE
Karachi, May 29, 2023, Saima is executed. In court, her body lay pierced by two bullets. She was 24 years old. Her husband, Sikandar, had not tolerated the idea of her requesting a separation. He has since been incarcerated, and the scattered scratches of Saima's blood on his shirt have become large brownish stains. Sikandar has committed a crime, but there's no guarantee that he'll end up in prison: in Pakistan, a woman's life can be negotiated. If Shaima's family agrees to forgive him, his crime will have been a legal one.
In Karachi's Lyari district, violence has bruised the flesh. The few heavily wrapped feminine silhouettes that cross the public space have here been corroded by poverty, there scarred by men's violence. In Pakistan, 85% of women are victims of domestic violence, forced marriage is the norm, and honor killings are not an exception.
In the novel One Thousand and One Nights, as the enraged King Schahzenan murders his wife, never once is her name mentioned. Nor are those he executes every day to exorcise his pain. The woman, man's appendix, replaceable for the sake of disappearing, is reified as a multi-purpose utensil, alternately an element of the mistreated working classes, or a detail in the multitude of domestic accessories tamed for reproduction.
In Pakistan, submission grows where the feminine walks. In her photographic series, Karine Pierre tells the story of this path. A feminine trapped, spied upon, destroyed by a predatory masculine who, sometimes faced with the wall of his own destitution, prefers to enslave so as not to be at the end of the chain of misfortune. Just as Sardanapalus murdered all the women in his court when power eluded him, Lethal Patience recounts the unbearable idea of the emancipation of a feminine-property.
Already in her series Take me Home!, Karine Pierre recounted the fate of those trapped in Pakistan's women's shelters' deathbeds. Too free, too emancipated, they were condemned here to decay, their silhouettes cracked, their looks disoriented and nibbled by hunger. Shelters from which one can only emerge wrapped in an outdated shroud, to end up buried without even a name, far from everything. Rushed towards death, Karine Pierre's subjects here are doomed shadows.
If it's a woman, it's a body. Before being stranded in these shelters where each one seems to struggle to move, there is a space where others move to fight. In the public space of a battle or an escape, the slightest sign of life serves to unveil the lethal patience.
Arthur Sarradin