Operation Harpie
Chaque mètre franchi est une victoire. La terre gluante colle aux semelles et s'agglutine sous les rangers en strates visqueuses rendant chaque pas plus lourd, plus bancal, plus empoté. Ici, lorsqu'un homme parcours six cents mètres en une heure, il se déplace vite. Le colonel du troisième régiment étranger d'infanterie, le 3ème REI, avait prévenu : « vous allez évoluer en milieu hostile. » Insectes piqueurs vecteurs d'innombrables maladies, scorpions perfides, serpents sournois, grenouilles vénéneuses, plantes urticantes, épineux toxiques, écorce tranchante et partout de l'eau, saumâtre, des rivières, des rus, des criques, infestées de petits caïmans noirs où grouille amibes et bactéries. « Vous en viendrez à espérer la pluie, diluvienne qui certes nettoie et rafraîchi, mais vous transperce, vous imprègne et vous oblige à macérer des jours durant dans un treillis trempé. « Mais, avait encore ajouté l'officier, l'opération Harpie réclame de l'engagement. »
Décidée au mois de février 2008 par le président de la République, renforcée puis pérennisée deux plus tard au mois de février 2010, l'opération Harpie du nom d'un rapace diurne, bien qu'Harpie désigne aussi dans la mythologie grecque, les trois filles de Thaumas, déesse de la dévastation et de la vengeance mobilise actuellement en Guyane près de sept cents gendarmes et militaires dans la plus importante mission opérationnelle menée sur le territoire national depuis la Libération. Le 10 juillet 2010, le 1ère classe Julien Giffard, 25 ans, a d?ailleurs payé de sa vie l?engagement des forces armées
en Guyane (FAG) dans cette guerre tropicale qu'elles livrent aux orpailleurs clandestins. Au cours d'un contrôle fluvial, sa pirogue abordée par les trafiquants d'or a vacillé et le militaire du 1er RI de Sarrebourg a basculé dans les eaux tumultueuses de la rivière Tampock. Son corps sans vie a été retrouvé un peu plus tard en aval du point de collision. Il est le premier mort de l'opération Harpie.
« A 34 € le gramme, l'or attire chaque jour de nouveaux candidats à la fortune putative. » Le lieutenant-colonel de gendarmerie Lacan soupire : « entre 5000 et 8000 garimpeiros, majoritairement brésiliens, travaillent illégalement dans la forêt, alimentant un gigantesque trafic au milieu de la jungle. Les chercheurs d'or installent de véritables villages d'orpailleurs qu'il faut nourrir, ravitailler et divertir. » En 2010 une centaine de sites ont été démantelés et détruits dont certains possédaient épicerie, restaurant, hôtel, atelier de mécanique, discothèque et même maison close. « Nous luttons à la fois contre l'exploitation frauduleuse de l'or guyanais mais aussi contre des réseaux de prostitution, des filières de contrebande acheminant vivres et matériels, parfois armes et stupéfiants et contre la pollution engendrée par l'orpaillage » poursuit Jean-Michel Lacan. Pour amalgamer les précieuses paillettes de métal jaune, les garimpeiros utilisent du mercure, hautement toxique, qui s'infiltre ensuite dans les sols et se dilue dans les eaux. Régulièrement, la DDASS de Kourou (direction départementale des affaires sociales et sanitaires) démontre que certains poissons notamment l'aïmara et le piraye, régulièrement consommés par les Amérindiens autochtones, présentent des teneurs en métaux lourds exagérément élevés. De très nombreux chantiers d'extraction sont situés dans le Parc amazonien de Guyane, une zone d'exclusion protégée, théoriquement interdite d?accès sans autorisation expresse du préfet et réservée aux seules tribus Emerillons et Wayanas. « Il en reste moins de mille dans toute la Guyane, précise l'officier de gendarmerie. Ils vivent encore de pêche et de cueillette. L'une des finalités de l'opération Harpie est aussi de protéger ces populations et préservant leur environnement. Nous devons d?abord chasser les orpailleurs du parc amazonien de Guyane. »
Placée sous la double autorité du préfet et du procureur de la république, la mission Harpie reste une opération de police judiciaire, déléguée à la gendarmerie et soutenue par les FAG. Par la directive n°441, du 28 février 2010, le préfet de la région Guyane rappelle que « s'agissant d?opérations de contrôle de police, elles sont juridiquement placées sous la direction des OPJ et APJ compétents. » Bien que lointain, le département guyanais répond en effet rigoureusement aux lois de la République. Au plus profond de la forêt, les gendarmes, accompagnés des Légionnaires ou de Marsouins respectent donc à la lettre les nouvelles dispositions du code de procédure pénal lorsqu'ils appréhendent des clandestins ou interceptent et détruisent, généralement sur place, leurs marchandises. De facto seuls les détenteurs d'armes, d'or et de mercure sont placés en garde-à-vue où leurs droits leur sont lus et un avocat ayant deux heures pour rejoindre son client, est prévenu. « Mais forcément lorsque vous êtes à douze heures de pirogue de Saint-Laurent du Maroni ou de Saint Georges, qui elles-mêmes sont à trois heures de route de Cayenne, il nous sera peut-être difficile d?appliquer la réforme de la garde-à-vue », s'amuse un adjudant-chef du poste de gendarmerie de Camopi sur l'Oyapock. En 2010, 870 garimpeiros ont été interpellés en forêt. Une poignée a été déferrée, tous les autres sont tombés sous le coup d'un arrêté de reconduite à la frontière, qu?ils ont évidemment refranchi moins de 24 heures après leur expulsion du territoire. « Ils le savent, précise l'adjudant-chef, contrairement à leur pays d?origine, le Brésil ou le Surinam, ils ne sont pas maltraités chez nous. D'ailleurs, ils ont rebaptisé l'opération Harpie, « la caresse guyanaise ».
Pour mener à bien leur mission, les militaires se sont partagés le département : huit millions d'hectares de forêt vierge à surveiller et à fouiller. L'ouest, le fleuve Maroni et la frontière avec le Surinam pour les Marsouins du 9ème RIMa (régiment d'infanterie de marine) ; l'est, le fleuve Oyapock, la frontière avec le Brésil pour les légionnaires du 3ème REI (régiment étranger d?infanterie). Et des deux côtés, accompagnant chaque patrouille, des gendarmes, seuls habilités à procéder aux interpellations de clandestins et à la destruction des milliers
de tonnes de denrées et de matériels, saisis chaque année. En vrac et pour la seule année 2010 : 289 pirogues, 218 moteurs de hors-bord, 145 quads, 106 véhicules, 292 tonnes de vivres, 663 pompes, moteurs et concasseurs, 320000 litres de carburant, 30 km de tuyaux et 110 kg de mercure ont été saisis ou détruits ces derniers mois. « En coupant et en perturbant les flux d'approvisionnement, nous ralentissons de facto l?activité et le rendement des sites illégaux » se réjouissent gendarmes et militaires à chaque nouveaux succès.
Légionnaires et Marsouins ont acquis et développé des savoirs faire spécifiques à la vie, austère et exigeante, que réclame la forêt équatoriale. Ils sont notamment capables de se projeter à pied dans les zones les plus inhospitalières et les plus inaccessibles du département. Ils peuvent vivre en totale autonomie des semaines durant, bâtissant au détour de criques boueuses camps de fortune et postes avancés. Ils prélèvent dans la flore et dans la faune, aquatique et terrestre, la maigre pitance qui leur permet de survivre. « C'est une vie très rustique, affirme fièrement le chef Moreno, du 3ème REI. Mais c'est aussi l'unique moyen de lutter efficacement contre les orpailleurs qui se cachent de plus en plus profondément dans la forêt. Nous n'avons pas le choix : il faut les débusquer là où ils se planquent même si cet endroit se trouve au milieu de l'enfer vert. »
« Pour autant, relativise le lieutenant-colonel Lacan, 90 % des garimpeiros sont des pauvres gens, des malheureux, mûs par la faim et le phantasme de trouver « LA » pépite. La réalité est sordide. Ils vivent et travaillent dans des conditions épouvantables. Ils s'entretuent, se dévalisent. Dans ces villages d'orpailleurs, tout se paye et s'achète en gramme d'or. » C'est 1 gramme le coca par exemple, 4 grammes la « cuisi-pute », des femmes objets chargées de sustenter les garimpeiros en satisfaisant tous leurs appétits : alimentaires et sexuels. C'est le bas-fond dans la jungle où une armée de miséreux s'épuisent pour des négriers, généralement confortablement installés dans leur villa climatisée, de l'autre côté des frontières. » La coopération entre les autorités françaises et leurs homologues brésiliennes ou surinamiennes, bien que défaillante et incomplète, s'améliore pourtant lentement. Chacun de nos deux
voisins comprend bien l'intérêt de voir tomber les kilos d'or de l'Amazonie dans les caisses de leurs états plutôt que dans les poches de quelques parrains locaux. De son côté, Nicolas Sarkozy pourra bientôt mettre à son crédit écologique la création du parc amazonien de Guyane et la lutte systématique et coordonnée contre l'orpaillage clandestin. « La forêt vierge constitue un enjeu grandissant, ne serait ce que pour la pharmacopée existante ou celle à découvrir et naturellement pour les richesses naturelles qu?elle recèle » résume le général Jean-Pierre Hestin, commandant supérieur des forces armées en Guyane. Sans le savoir forcément, gendarmes et militaires veillent aussi à la préservation d'un trésor national.
CG
French Guiana, operation Harpie
Each crossed meter is a victory. The sticky ground sticks to the soles and is bound under the combat boots in viscous layers making each step heavier, wobblier, clumsier. Here, when a man course six hundred meters in one hour, he moves quickly. Colonel of the third foreign regiment of infantry, the 3rd REI, had prevented: « you will evolve in hostile environment. » Insects stitchers vectors of innumerable diseases, perfidious scorpions, snakes underhand, poisonous frogs, irritant plants, thorny toxic, bark sharp and everywhere of water, brackish, of the rivers, the rus, of the splits, infested small black caimans where swarms amoebas and bacteria. « You will come from there to hope for the rain, torrential who certainly cleans and refreshed, but transpierces you, impregnates you and obliges you to macerate days lasting in a soaked lattice. But, had still added the officer, the Harpie operation claims commitment. »
Decided in the month of February 2008 by the president of the Republic, reinforced then perennialized two years later in the month of February 2010, the Harpie operation - name of a diurnal raptor, although Harpie also indicates in Greek mythology, the three girls of Thaumas, goddess of devastation and revenge - currently mobilizes in Guyana nearly seven hundred gendarmes and soldiers in the most important operational mission carried out on the national territory since the Libération. On July 10th, 2010, the 1st class Julien Giffard, 25 years, paid besides its life the commitment of the armed forces in Guyana (FAG) in this tropical war which they deliver to the clandestine gold washers. During a river control, its dugout approached by the gold traffickers wavered and the soldier of the 1st RI of Sarrebourg rocked in tumultuous water of the Tampock river. Its lifeless body was found a little later downstream from the point of collision. He is the first dead of the Harpie operation.
« With 34 € the gram, gold attracts each day of new candidates to putative fortune. » The lieutenant-colonel Lacan of gendarmerie sighs : « between 5000 and 8000 garimpeiros, mainly Brazilian, work illegally in the forest, feeding a gigantic traffic in the middle of the jungle. The gold diggers install true villages of gold washers whom it is necessary to nourish, supply and divert. » In 2010 a hundred sites were dismantled and destroyed of which some had grocer, restaurant, hotel, workshop of mechanics, discotheque and even brothels. « We fight at the same time against the fraudulent exploitation of Guianese gold but also against prostitution networks, sectors of smuggling conveying food and materials, sometimes weapons and narcotics and against the pollution generated by gold washing » Jean-Michel Lacan continues.
To amalgamate the invaluable yellow metal spangles, the garimpeiros use mercury, highly toxic, which infiltrates then in the grounds and is diluted in water. Regularly, the DDASS of Kourou (direction départementale des affaires sociales et sanitaires, departmental management of the social and medical affairs) shows that certain fish in particular aïmara and piraye, regularly consumed by the Amerindians autochtones, present contents of exaggeratedly high heavy metals rates. Very many building sites of extraction are located in the Amazonian Park of Guyana, a protected zone of exclusion, theoretically prohibited of access without authorization express of the Préfet and reserved to the only tribes Emerillons and Wayanas. « It remains about less than thousand of them in all Guyana, specifies the officer of gendarmerie. They still live of fishing and gathering. One of the finalities of the Harpie operation is also to protect these populations and preserve their environment. We must initially drive out the gold washers of the Amazonian park of Guyana. »
Placed under the double authority of the Préfet and the public prosecutor, the Harpie mission remains an operation of judicial police, delegated to the gendarmerie and supported by the FAG. By the directive n°441, of February 28th, 2010, the Préfet of the Guyana area recalls that « as regards operations of police checks, they are legally placed under the direction of the OPJ and qualified APJ. » Although distance, the Guianese department answers indeed rigorously the laws of the french Republic. With deepest of the forest, the gendarmes, accompanied by the Legionaries or the Marsouins, respect with the letter the new provisions of the penal code of procedure when they apprehend the clandestine ones or intercept and destroy, generally on the spot, their goods. De facto only the holders of weapons, gold and mercury are placed in keep-with-sight where their rights are read to them and a lawyer having two hours to join its customer, is prevented. « But inevitably when you are at twelve hours of dugout of the St. Laurent du Maroni or of Saint Georges, who themselves are at three hours of road of Cayenne, it is perhaps difficult for us to apply the reform of the keep-with-sight?, has fun a warrant officer of the station of gendarmerie of Camopi on Oyapock. In 2010, 870 garimpeiros were challenged in forest. Only a handle was arrested and presented to a judge in Cayenne, all the others fell under a decree to take them back to the border, which they obviously recross less than 24 hours after their expulsion of the territory. « They know it, specifies the warrant officer, contrary to their country of origin, Brazil or Suriname, they are not maltreated on our premises. Moreover, they renamed the Harpie operation, ?the Guianese caress?. »
To conclude their mission, the soldiers shared the department: eight million hectares of virgin forest to be supervised and excavate. The west, the Maroni river and the border with Suriname for the Marsouins of 9th RIMa (regiment of marine infantry); the eastside, the river Oyapock, the border with Brazil for the legionaries of the 3rd REI (foreign regiment of infantry). And on the two sides, accompanying each patrol, the gendarmes, alone abilited to proceed to the interpellations of the clandestine ones and the destruction of the thousands of tons of food products and materials, seized each year. In bulk and for the only year 2010: 289 dugouts, 218 engines of outboard motor boat, 145 quads, 106 vehicles, 292 tons of food, 663 pumps, engines and breakers, 320000 liters of fuel, 30 km of pipes and 110 kg of mercury were seized or destroyed these last months. « While crossing and by disturbing flows of supply, we slow down the activity de facto and the output of the illegal sites » are delighted gendarmes and soldiers with each new successes.
Legionaries and Marsouins acquired and developed adaptated knowledge to the special life, austere and demanding, which the Equatorial forest claims. They are in particular able to be projected on foot in the most inhospitable zones and most inaccessible area of the french department. They can live in total endurance of the weeks during, building, on the turning of muddy rivers, camps of fortune and advanced stations. They take in the flora and fauna, watery and terrestrial, the thin sustenance which enables them to survive. « It is a very rustic life, affirms proudly the chief Moreno of the 3rd REI. But it is also the single means of fighting effectively against the gold washers who hide more and more deeply in the forest. We do not have the choice: they should be flushed out where they hide even if this place is in the middle of the green hell. »
« For as much, relativizes the lieutenant-colonel Lacan, 90% of the garimpeiros are poor people, the unhappy ones, driven by the hunger and the phantasm to find ?the? nugget. Reality is sordid. They live and work under terrible conditions. They are killed and robed in these villages of gold washers, where all is paid and bought in gram of gold. » It is 1 gram the Coke for example, 4 grams the ?cuisi-pute?, of the women objects charged to sustain the garimpeiros by satisfying all their appetites: food and sexual. It is the hollow in the jungle where an army of pauper become exhausted for slave traders, generally comfortably installed in their air-conditioned villa, on the other side of the borders.
Co-operation between the French authorities and their counterparts Brazilian or Surinamese, although failing and incomplete, however improves slowly. Each one of our two neighboors understands the well interest to see falling the kilos from gold of Amazonia in the cases of their states rather than in the pockets of some local godfathers. On his side, Nicolas Sarkozy will be able to soon put at his ecological credit the creation of the Amazonian park of Guyana and the fight systematic and coordinated against clandestine gold washing. « The virgin forest constitutes a growing challenge, would be only for the existing pharmacopeia or that to discover and naturally for the natural wealths which it conceals » summarizes general Jean-Pierre Hestin, higher commander of the armed forces in Guyana. Without the knowledge inevitably, gendarmes and soldiers also take care of the safeguarding of a national treasure.
Christophe Gautier