La spiruline, une filiere paysanne emergente
Entre les serres de Roland et Suzanne Blain, trône l?effigie d?un flamand rose. Un hommage du père et sa fille à cet oiseau qui a emmené dans ses voyages leur or vert, la spiruline, depuis les lacs tropicaux aux étangs de Camargue. Car la famille Blain cultive la spiruline en Loire-Altantique, dans une région bien éloignée des conditions naturelles au développement en zone équatoriale de cette micro-algue verte, exactement définie comme une cyanobactérie. Pourtant, avec leurs quatre bassins de 150m², ils produisent 500 kilos de spiruline par an, grâce à des serres qui maintiennent ce trésor alimentaire dans une eau de 27 à 30 degrés, enrichie en sel de Guérande et en bicarbonate de soude.
Et trésor alimentaire, ce n?est pas peu dire. La spiruline est apparue il y a plus de 3 milliards d?années, permettant, par le phénomène de photosynthèse, l?apparition d?une atmosphère favorable à la vie sur terre. Poursuivant son développement dans des eaux chaudes, alcalines et très riches en sels minéraux, elle fut consommée, déjà, par les Aztéques, et depuis des siècles, les populations peuplant les abords du lac Tchad, goûtent ses qualités nutritionnelles. Ce filament microscopique contient en effet 60 grammes de protéines pour 100 grammes, mais aussi du fer, de la bêta-carotène, de la vitamine B12, de l?acide gamma-linolénique dans des proportions inégalées. La première culture commerciale de la spiruline s?est développée au Mexique, dans les années 1960. Depuis, elle est produite de manière industrielle dans le monde entier, les plus grands exportateurs étant la Chine, l?Inde et les Etats-Unis, desquels provient 80 % de la spiruline vendue en France aujourd?hui.
Des abeilles à la spirale miraculeuse
Roland Blain a acheté ses premiers cachets de spiruline il y a 8 ans, conseillé par son médecin alors qu?il souffrait de problèmes de santé. C'est en rencontrant sur un marché un producteur de sa région, puis en visitant sa ferme, qu'il décide alors de se lancer lui-même dans sa culture, créant « Dana Spirulina » à Conquereuil en 2015. Apiculteur, Roland venait de perdre plus de 60 % de son cheptel et cherchait, justement, une voie de reconversion. Aujourd?hui, il prépare sa retraite avec sa fille Suzanne, qui, d?ici 3 ans, mènera seule les rênes de leur ferme.
Sa silhouette, penchée sur un bassin sous serre, évoque celle d?un paludier récoltant le sel des marrés-salants. « Au départ, nous nous sommes procurés 60 kilos de biomasse auprès d?un collègue, pour l?ensemencer dans nos bassins. La spiruline a végété pour coloniser tout l?espace. Lorsqu?elle est suffisamment concentrée, nous la récoltons et elle colonise alors à nouveau les bassins » explique la jeune femme de 30 ans en terminant sa récolte. Chaque matin, le même processus : transférée dans un filtre, la spiruline est captée pour finir sa course dans un bac, quand l?eau continue son parcours pour revenir au bassin. Une fois pressée, la spiruline forme une sorte de pâte à modeler, que Suzanne découpe, à l?aide d?un poussoir à saucisse réhabilité pour l?occasion, en spaghettis. Ils sèchent une nuit entière, à 40°C, puis sont envoyés en laboratoire pour des analyses bactériologiques, avant d'être mis en sachet, sous forme de paillettes, prêtes à la commercialisation.
Une filière en construction
« Nous nous considérons comme des paysans » expliquent Roland et Suzanne, qui dégagent un revenu et demi de leur production, récoltée entre avril et octobre, et commercialisent à la ferme, sur leur site internet, via des dépôts chez d?autres producteurs, et même au Leclerc de Redon. « Nous nous engageons à ce qu?il n?y ait qu?un seul intermédiaire avec le consommateur, ce qui exclue les centrales d?achat et les revendeurs » insiste le père, respectant une des exigences de la charte de la Fédération des Spiruliniers de France. Crée en 2009, cette fédération rassemble aujourd?hui plus de 180 cultivateurs. « Des producteurs ont spontanément décidé de créer leur propre filière, se mettant face à la réglementation pour faire valider toutes les étapes de production de leur métier. C?est un cas unique au niveau européen » explique Emmanuel Gorodetsky. Parmi les membres fondateurs de la fédération, il est lui-même producteur dans l?Hérault, département où naquit, en 1997, la toute première ferme.
En défendant les bienfaits alimentaires de la spiruline et en établissant des normes à sa production, la fédération a permis aux spiruliniers d?être reconnus comme aquaculteurs, qui dépendent ainsi du ministère de l?Agriculture. Elle a aussi engagé différents programmes de recherche et, en tant qu?organisme de formation, a ouvert une option spiruline dans les lycées qui dispensent d?un diplôme d?aquaculture. Alors que la spiruline française ne représente que 15% du marché, l?enjeu actuel est de créer un label bio paysan trouvant sa place face à l?importation d?une spiruline industrielle. Les récents règlements européens, classant les micro-algues dans la catégorie des algues marines, complique pourtant son écriture en ce qu?ils « imposent l?apport de matières organiques dans les milieux de culture, ce qui amène à changer les milieux très fréquemment soit dix fois plus d?eau consommée et surtout rejetée avec des effluents chargés à retraiter ». Revendiquant le statut de "Cyanobactérie" et non celui d' « Algue marine », la fédération travaille ainsi à l?écriture d?un label cohérent, local et équitable, exempt de méthodes industrielles.
Si des projets à très grandes échelles voient aussi le jour en France, Emmanuel Gorodetsky ne se montre pas alarmiste pour autant. « Le marché est suffisamment grand pour tout le monde. Seulement 2 à 5 % de la population en consomme et on en mange 400 tonnes par an en France. Imaginez le jour où 30 % de la population s?y intéressera ». L?enjeu alimentaire en effet, est de taille si l?on compare le coût écologique de sa culture à d?autres sources de protéines. « Lorsque la viande produit 160 kilos de protéines à l?hectare, la spiruline en produit entre 30 et 50 tonnes, et sa culture nécessite 100 fois moins d?eau que l?élevage. Or, 80 % des terres arables servent à nourrir le bétail dans le monde », défend Emmanuel, rappelant ainsi tout le potentiel du développement de sa culture pour lutter contre la malnutrition.
Spirulina, an emerging peasant sector
Between Roland and Suzanne Blain's greenhouses, the effigy of a pink flamingo is enthroned. A tribute from the father and his daughter to this bird that took their green gold, spirulina, from tropical lakes to the Camargue lakes on its travels. Because the Blain family cultivates spirulina in Loire-Altantique, in a region far from the natural conditions for the development in the equatorial zone of this green micro-algae, exactly defined as a cyanobacterium. However, with their four 150m² basins, they produce 500 kilos of spirulina per year, thanks to greenhouses that keep this food treasure in water of 27 to 30 degrees, enriched with Guérande salt and sodium bicarbonate.
And food treasure is no small thing to say. Spirulina appeared more than 3 billion years ago, allowing, through the phenomenon of photosynthesis, the appearance of an atmosphere favourable to life on earth. Continuing its development in warm, alkaline and very rich in mineral salts waters, it was already consumed by the Aztecs, and for centuries, the populations living around Lake Chad have been tasting its nutritional qualities. This microscopic filament contains 60 grams of protein per 100 grams, but also iron, beta-carotene, vitamin B12, gamma-linolenic acid in unprecedented proportions. The first commercial cultivation of spirulina was developed in Mexico in the 1960s. Since then, it has been produced industrially throughout the world, the largest exporters being China, India and the United States, from which 80% of the spirulina sold in France today comes.
From bees to miraculous spirals
Roland Blain bought his first spirulina pills 8 years ago, advised by his doctor when he was suffering from health problems. It was by meeting a producer from his region at a market, then visiting his farm, that he decided to launch himself into his culture, creating "Dana Spirulina" in Conquereuil in 2015. A beekeeper, Roland had just lost more than 60% of his livestock and was looking for a way to convert. Today, he is preparing for retirement with his daughter Suzanne, who, in 3 years' time, will lead the farm alone.
Its silhouette, leaning over a basin under glass, evokes that of a salt worker harvesting the salt from salty tides. "Initially, we purchased 60 kilos of biomass from a colleague to seed it in our ponds. Spirulina has vegetated to colonize the entire space. When it is sufficiently concentrated, we harvest it and it then colonizes the ponds again," explains the 30-year-old woman as she finishes her harvest. Every morning, the same process takes place: transferred to a filter, the spirulina is captured to finish its journey in a tank, when the water continues its journey back to the pool. Once pressed, the spirulina forms a kind of modelling clay, which Suzanne cuts out, using a sausage pusher rehabilitated for the occasion, into spaghetti. They dry overnight at 40°C, then are sent to the laboratory for bacteriological analyses, before being bagged in the form of flakes, ready for marketing.
A sector under construction
"We consider ourselves farmers," explain Roland and Suzanne, who earn an income and a half from their production, harvested between April and October, and market on the farm, on their website, via depots with other producers, and even at Leclerc de Redon. "We undertake to ensure that there is only one intermediary with the consumer, which excludes purchasing groups and resellers," insists the father, complying with one of the requirements of the charter of the Fédération des Spiruliniers de France. Created in 2009, this federation now brings together more than 180 farmers. "Producers spontaneously decided to create their own sector, facing regulations to have all the production stages of their trade validated. This is a unique case at the European level," explains Emmanuel Gorodetsky. Among the founding members of the federation, he is himself a producer in the Hérault, the department where the very first farm was born in 1997.
By defending the dietary benefits of spirulina and setting standards for its production, the federation has allowed spirulina growers to be recognized as aquaculturists, who thus depend on the Ministry of Agriculture. It has also initiated various research programmes and, as a training organisation, has opened a spirulina option in high schools that offer an aquaculture diploma. While French spirulina represents only 15% of the market, the current challenge is to create an organic peasant label that takes its place against the import of an industrial spirulina. Recent European regulations, classifying microalgae as marine algae, complicate its writing in that they "require the addition of organic matter to culture media, which leads to very frequent changes in media, i.e. ten times more water consumed and, above all, discharged with effluents loaded for reprocessing". Claiming the status of "Cyanobacteria" and not that of "Seaweed", the federation is thus working to write a coherent, local and fair label, free of industrial methods.
Although very large-scale projects are also emerging in France, Emmanuel Gorodetsky is not being alarmist. "The market is big enough for everyone. Only 2 to 5% of the population consumes it and 400 tons are eaten per year in France. Imagine the day when 30% of the population will be interested. The food stakes are high if we compare the ecological cost of growing it with other protein sources. "When meat produces 160 kilograms of protein per hectare, spirulina produces between 30 and 50 tons, and its cultivation requires 100 times less water than livestock. Yet 80% of the world's arable land is used to feed livestock," says Emmanuel, recalling the full potential of his crop's development to fight malnutrition.