El Mirador
Mirador, Guatemala, Mars 2025. Il faut 30 minutes d’hélicoptère depuis Flores pour rejoindre El Mirador (Point de vue en Espagnole), niché dans l’extrême nord de la jungle guatémaltèque. Un survol qui, déjà, en dit long : on aperçoit les eaux qui montent autour de la ville de Flores, inondant certaines maisons du bord, puis plus loin, les stigmates laissés par les éleveurs et agriculteurs, les arbres abattus, les grands trous d’eau creusés à la lisière de la forêt. Le gouvernement n'a pas les moyens financiers pour protéger toute la biosphère maya. La jungle recule.
Puis, nous commençons à apercevoir la jungle immaculée, après des kilomètres de canopée dense, El Mirador se révèle. La cité silencieuse. Immobile. Comme figée dans un autre temps, perdue dans le murmure de la mémoire enfouie.
Nous étions seuls dans cette immensité. Peu d'oiseau se manifestait, car peu d'eau, presque pas de bruit, si ce n’est que quelques hurlements rauques des singes hurleurs, perchés dans les arbres géants, qui veillent jalousement sur leur territoire. Près du camp, deux dindons ocellés sauvages (Meleagris ocellata) aux couleurs incroyables, un grand papillon hibou ( caligo ) et un serpent liane vert (Oxybelis fulgidus) qui s’est approché du camp. On se sent intrus.
L’histoire d’El Mirador commence bien avant l’époque classique maya. Ce site monumental, avec ses pyramides emblématiques, La Danta, El Tigre et Los Monos, remonte à la période préclassique, des siècles avant la splendeur de Tikal. À son apogée, la ville aurait compté jusqu’à 200 000 habitants, bâtissant un vaste réseau de chaussées surélevées, de bassins, de sculptures et de pyramides colossales, dont La Danta, haute de 72 mètres, qui dépasse en volume la pyramide de Gizeh.
Ce n’est qu’en 1926 que le site est mentionné pour la première fois par des ouvriers récoltant le chiclé. En 1962, l’archéologue Ian Graham le cartographie. Mais il faut attendre 1978 pour que commencent les premières fouilles archéologiques, menées par Bruce Dahlin et Ray Matheny. Depuis 2003, c’est Richard D. Hansen qui coordonne les recherches, avec des équipes internationales.
Creuser ici est un défi. Il n’y a pas d’eau sur place, donc peu de faune, et encore moins de confort. Les moustiques sont tenaces, la chaleur humide et les moyens logistiques minimes. L'accès ? À pied, c’est 3 à 5 jours de marche dans la jungle, au départ du village de Carmelita. Une expédition physique, exigeante, que peu de visiteurs entreprennent. Les archéologues, eux, ne travaillent que pendant la saison des pluies, entre juin et octobre, période à laquelle ils peuvent collecter l’eau pour vivre et travailler. Une fenêtre qui se réduit, à mesure que le climat devient moins prévisible.
À l'époque, El Mirador était cerné d’eau, me dit le guide. Mais pour construire, les Mayas ont massivement déforesté. La terre s’est appauvrie. Le climat a changé. La nourriture s’est faite rare. Le site a été déserté.
Nous avons longé de larges fosses creusées dans la terre et la roche : d’anciens garde-manger ou silos à maïs, taillés dans la pierre, vestiges de techniques agricoles avancées. Certaines sculptures en stuc sont encore visibles et même la couleur rouge quand le guide mouille la pierre pour nous montrer ce détail. Et cette porte d’arbre, immense, presque sacrée, formée naturellement au milieu du sentier, comme une entrée rituelle dans un autre monde.
El Mirador reste un mystère enfoui sous la jungle. Seulement 10 % du site ont été explorés. Mais ce silence profond, cette immensité engloutie, ce sentiment d’être minuscule au cœur de ce que fut un empire oublié, en disent plus que bien des livres. La mémoire du lieu semble se cacher dans les ombres, prête à se révéler à ceux qui savent écouter. Je me suis sentie si petite, non seulement dans cette jungle, mais aussi face à l’histoire d’une civilisation qui recèle encore bien des mystères, mais les mayas, aujourd'hui, sont toujours parmi nous.
El Mirador
Mirador, Guatemala, March 2025. It takes a 30-minute helicopter ride from Flores to reach El Mirador — meaning “Viewpoint” in Spanish— nestled in the far north of the Guatemalan jungle. The flight itself already tells a story: you see rising waters creeping around the city of Flores, flooding some houses on the shore, then further on, the scars left by cattle ranchers and farmers — felled trees, large water-filled pits dug along the forest’s edge. The government lacks the financial means to protect the entire Maya Biosphere Reserve. The jungle is retreating.
Then, little by little, the untouched forest comes into view. After endless miles of dense canopy, El Mirador reveals itself. The silent city. Motionless. As if frozen in another time, lost in the whisper of buried memory.
We were alone in this vastness. Few birds made themselves heard — there was little water — almost no sound, except the deep, raspy cries of howler monkeys perched high in the giant trees, fiercely guarding their territory. Near the camp, two wild ocellated turkeys (Meleagris ocellata) in stunning colors, a large owl butterfly (Caligo), and a green vine snake (Oxybelis fulgidus) came close to the tents. You feel like an intruder.
The story of El Mirador begins long before the Classic Maya era. This monumental site, with its iconic pyramids — La Danta, El Tigre, and Los Monos — dates back to the Preclassic period, centuries before the height of Tikal. At its peak, the city may have housed up to 200,000 people, building an extensive network of elevated causeways, reservoirs, sculptures, and massive pyramids — including La Danta, which rises 72 meters high and surpasses the Great Pyramid of Giza in volume.
It wasn’t until 1926 that the site was first reported by workers harvesting chicle. In 1962, archaeologist Ian Graham mapped the area. But it was only in 1978 that the first archaeological excavations began, led by Bruce Dahlin and Ray Matheny. Since 2003, Richard D. Hansen has been coordinating ongoing research with international teams.
Digging here is a challenge. There is no water source, meaning little wildlife and even less comfort. The mosquitoes are relentless, the heat is humid, and the logistical support minimal. The access? On foot, it’s a 3- to 5-day trek through the jungle from the village of Carmelita — a physically demanding expedition that few travelers attempt. Archaeologists can only work during the rainy season, from June to October, when they can collect rainwater for living and working. But even that window is shrinking as the climate grows more unpredictable.
“El Mirador was once surrounded by water,” our guide tells us. “But to build, the Maya deforested heavily. The soil became depleted. The climate changed. Food grew scarce. The city was abandoned.”
We passed large pits carved into the earth and stone — ancient granaries or corn silos hewn from the rock, remnants of sophisticated agricultural techniques. Some stucco sculptures are still visible, and even the original red pigment, which the guide reveals by wetting the stone. And there, an immense natural tree arch — almost sacred — forming a gateway on the trail, like a ritual entrance to another world.
El Mirador remains a mystery buried beneath the jungle. Only 10% of the site has been explored. But the deep silence, the engulfing vastness, the feeling of being so small in the heart of what was once a forgotten empire — these say more than any book ever could. The memory of this place seems to hide in the shadows, waiting to be revealed to those who know how to listen.
I felt so small — not just in the jungle, but in front of the legacy of a civilization still full of secrets.
And the Maya? They’re still here, among us.