INDE - LA MEGHNAD MELA CHEZ LES GONDS
Son corps a pris la couleur du sang. Une pâte faite d'un mélange de curcuma et de gulal dont on lui a badigeonné le torse, les jambes, les bras, la nuque. Le prêtre a commencé le travail, la famille a pris le relais. Pas un centimètre carré de peau qui ne soit recouvert de cette mixture. Dans ce village du Madhyah Pradesh, au centre de l'Inde, les Gonds fêtent, comme chaque année au mois de mars, Meghnad Mela.
Les versions divergent. Entre ceux qui affirment, formels, que l'on y remercie les dieux et ceux pour qui les offrandes et la montée sur la structure en bois qui trône au milieu du village permettent, au contraire, de solliciter leurs grâces, difficile de trancher. Surendra Dhurve, lui, est très loin de ces débats. Est-ce l'effet de la pâte rouge qui lui recouvre le corps ? Il semble ailleurs, pas loin d'une légère transe qui va monter au fil des heures. Pour l'instant, il est là, dans sa maison, assis sur un petit tabouret de bois installé sur des dessins tracés à la poudre blanche à même la terre battue. Autour de lui, les offrandes déposées là par la famille, les visiteurs. Les gestes sont rapides, le ballet parfaitement réglé du rituel se déroule comme depuis la nuit des temps.
Surendra Dhurve est vêtu d'un linge blanc qui lui entoure la taille. Il est fait du même tissu que celui qui lui enveloppe le front. A ses côtés, son père se prépare lui aussi pour la cérémonie. La foule réunie autour de la maison va converger vers l'installation de bois, une sorte d'échafaud monté au coeur du village, décoré de feuilles de palmiers et de fleurs. On accède à son sommet par une grande échelle qu'il faut réussir à gravir. Là-haut, pour ceux qui y parviennent, une poulie fixée sur un axe est manoeuvrée par un homme au sol. Il court, suivi d'un gamin muni d'une clochette et d'une corde, sensée fouetter ses ardeurs. Autour, la foule en rangs serrés et en cercle assiste à la scène. Le mat doit tourner vite, deux ou trois tours, quelques secondes. Le temps de remercier ou de demander, le temps de perdre un peu la tête alors que la foule participe à cet étrange ballet.
Les échoppes ont été installées pour la journée. Assis à même le sol, des hommes jouent de la musique. Les enfants courent, les chèvres ou les poulets effrayés attendent d'être menés à l'autel pour l'offrande. Tous ne seront pas sacrifiés. C'est selon. Certains échapperont au couteau, suivant des règles ancestrales dont tout le monde ou presque semble avoir oublié les lointaines origines.
La fête est aussi une foire villageoise. Un jour ici, un autre là, elle déroule un calendrier bien établi, de village en village. Dans les plus petits, l'affaire est entendue en une journée. Ailleurs, il faut bien trois journées pour répéter le rituel. Des hommes, des femmes, parfois même des enfants tentent l'escalade sacrée à laquelle, au fond, tout le monde participe. C'est joyeux, coloré, fervent. On y dépose au pied du mat principal de la structure divine des noix de cocos, des feuilles de manguier, des fleurs. Il est question de pureté, d'esprits qui prennent la possession des corps. Meghnad, le dieu auquel tous s'adressent, reste silencieux. Il est bien le seul ici à ne pas participer à la danse collective qui s'est emparée du village.
Damji, le prêtre qui office ce jour-là, continuera sa route. Demain, il sera ailleurs, au coeur de ce peuple Dong dont les traditions ont pris quelques influences hindouistes. Nulle part ailleurs, on n'y fête ainsi le dieu Meghnad. Entre ferveur et fête villageoise et depuis si longtemps qu'on ne sait plus trop bien distinguer le pourquoi du comment, le sacré du profane, le sérieux du festif. Mais on sait toujours comment tenir les petites lumières entre ses mains, nouer les lacets de chanvre autour des poignets, apposer les points de couleur sur les fronts. Les traditions sont sauves, les dieux peuvent approuver. C'est peut-être bien là le principal.
INDIA - THE MEGNAT MELA AT THE GONDS' TRIBE
His body turned the colour of blood. A paste made of a mixture of turmeric and gulal was smeared on her torso, legs, arms, neck. The priest started the work, the family took over. Not a square inch of skin was left untouched by the mixture. In this village in Madhyah Pradesh, in the centre of India, the Gonds celebrate Meghnat Mela, as they do every year in March.
The versions differ. Between those who affirm, formally, that the gods are thanked there and those for whom the offerings and the climb on the wooden structure which is enthroned in the middle of the village allow, on the contrary, to solicit their graces, it is difficult to decide. Surendra Dhurve is very far from these debates. Is it the effect of the red paste that covers his body? He seems to be somewhere else, not far from a slight trance that will increase as the hours go by. For the moment, he is there, in his house, sitting on a small wooden stool on top of drawings traced with white powder on the beaten earth. Around him are the offerings left there by family and visitors. The gestures are quick, the perfectly regulated ballet of the ritual takes place as it has since the dawn of time.
Surendra Dhurve is dressed in a white cloth that surrounds his waist. It is made of the same cloth that wraps around his forehead. Beside him, his father is also preparing for the ceremony. The crowd gathered around the house will converge on the wooden installation, a sort of scaffold erected in the heart of the village, decorated with palm leaves and flowers. The top of the scaffold is reached by a large ladder that must be climbed. Up there, for those who manage to do so, a pulley fixed on an axis is operated by a man on the ground. He runs, followed by a boy with a bell and a rope, meant to whip his ardour. Around him, the crowd in tight rows and in a circle watches the scene. The pulley has to turn quickly, two or three times, a few seconds. Time to thank or ask, time to lose your mind a little as the crowd participates in this strange ballet.
The stalls have been set up for the day. Sitting on the ground, men play music. Children run around, frightened goats or chickens wait to be brought to the altar for the offering. Not all will be sacrificed. It depends. Some will escape the knife, following ancestral rules whose distant origins almost everyone seems to have forgotten.
The festival is also a village fair. One day here, another there, it unfolds according to a well-established calendar, from village to village. In the smaller villages, the matter is settled in one day. Elsewhere, it takes three days to repeat the ritual. Men, women, sometimes even children attempt the sacred climb in which, basically, everyone participates. It is joyful, colourful, fervent. Coconuts, mango leaves and flowers are placed at the foot of the main mast of the divine structure. It is about purity, about spirits taking possession of bodies. Meghnat, the god to whom everyone addresses himself, remains silent. He is the only one here who does not participate in the collective dance that has taken over the village.
Damji, the priest who is serving that day, will continue on his way. Tomorrow, he will be elsewhere, in the heart of the Dong people whose traditions have taken on some Hindu influences. Nowhere else do they celebrate the god Meghnat in this way. Between fervour and village festivities, and for so long that we no longer know how to distinguish the why from the how, the sacred from the profane, the serious from the festive. But we still know how to hold the little lights in our hands, tie the hemp laces around our wrists, put the coloured dots on our foreheads. The traditions are safe, the gods can approve. Perhaps that's the main thing.