Maintenant je suis un lac
Itinéraire photographique, mémoriel et erratique en Arménie, autour du lac Sevan.
Quand j'étais enfant, Vréjouie, ma grand-mère, et Hripsimé, ma grande tante, s’exprimaient parfois dans une langue que je ne comprenais pas. Après leur mort, lorsque je fus en âge d'entendre, l’étrangeté familière de leurs voix se mue en récits.
Ma mère racontait de drôles d'histoires. Il y était question de peur, de souffrance, de cruauté et de mort, mais aussi de bravoure, de douceur et de miracles. L’anecdotique y rencontrait la grande Histoire et sa cohorte de signifiants : génocide, guerre, exil, communisme et rideau de fer.
Ces récits oraux, que ma mère répétait et enrichissait de nouveaux détails au fil des années, ont laissé en moi des impressions indélébiles, comme ces contes pour enfants qui réussissent à expliquer l’inexplicable et à faire accepter l’inacceptable.
Plus tard, ces récits se rappelèrent à moi. Le temps était venu de faire mon travail de mémoire. Je me rendis en Turquie, dans les villes de mes ancêtres, ainsi qu’en en Arménie, sur les bords du lac Sevan. J'avais besoin de lier mon histoire à celle des personnages qui peuplent l’album de notre famille, de constater leur absence à travers la photographie et le silence qu'elle impose. Peut-être était-ce une façon de faire taire ces voix étranges et familières, ou bien de leur donner un sens en les remplaçant par d’autres, incarnées, traduisibles et contemporaines d’une époque qui produit ses propres récits, tout aussi ambivalents que ceux qui ont forgé mon imaginaire.
Now I'm a lake
Photographic, memorial and erratic itinerary around Lake Sevan, the Armenian Sea.
When I was a child, Vréjouie, my grandmother, and Hripsimé, my great aunt, sometimes spoke in a language I didn't understand. After their deaths, when I was old enough to hear, the familiar strangeness of their voices turned into stories.
My mother told funny stories. They spoke of fear, suffering, cruelty and death, but also of bravery, gentleness and miracles. The anecdotal met History and its cohort of signifiers: genocide, war, exile, communism and the Iron Curtain.
These oral accounts, which my mother repeated and enriched with new details over the years, left indelible impressions on me, like those children's stories that manage to explain the inexplicable and make people accept the unacceptable.
Later, these stories came back to me. The time had come to do my memory work. I went to Turkey, to the towns of my ancestors, and to Armenia, on the shores of Lake Sevan. I needed to link my story to that of the characters in our family album, to acknowledge their absence through photography and the silence it imposes. Perhaps it was a way of silencing these strange and familiar voices, or of giving them meaning by replacing them with others, embodied, translatable and contemporary with an era that produces its own narratives, just as ambivalent as those that have forged my imagination.