Enfermés dehors
L'histoire parisienne bégaie.
La Chapelle, Austerlitz, Porte de Saint-Ouen et de La Villette, Gare de l'Est, Stalingrad, jardin d'Eole, halle Pajol, quai de Jemmages, Jaurès. À chaque évacuation, les camps de réfugiés se déplacent et se reforment encore et encore.
Surgissant du béton, les campements informels ont tour à tour vu transiter des centaines de milliers de réfugiés - hommes, femmes et enfants, principalement originaires du Soudan, d'Afghanistan, d'Érythrée - dans des conditions indignes.
Entre 20 et 60 primo-arrivants débarquent tous les jours à Paris. Cependant les conditions d'accueil restent quasi inexistantes.
Alors ils se rassemblent dans la moindre brèche, sous le métro aérien, dans un parc ou au bord d'un canal. Pour être visible et survivre collectivement, pour déjouer la répression policière en attendant que le gouvernement daigne leur accorder une mise à l'abri.
Ces campements de tentes multicolores abritées sous des océans de bâches, émergent ainsi dans les rares interstices de l'espace urbain restants. Malgré l'hostilité météorologique de ce mois de mai, les épidémies de gale ou de tuberculose, et l'entassement de milliers de personnes sur un périmètre restreint - les limites de la précarité sont toujours repoussées d'une semaine à l'autre, jusqu'à l'évacuation alors synonyme d'un début de prise en charge des pouvoirs publiques.
Malgré tous les malgrés qu'imposent une telle précarité, ces populations font preuve d'une dignité incroyable, dans l'attente et l'espoir d'être évacué vers un centre d'hébergement.
Dans l'hostilité naturel de ce béton, les camps s'éternisent souvent dans l'indifférence ou le déni des passants habitués depuis bien trop d'années à ce déploiement de tentes, et insensibilisés face aux brutalités quotidiennes.
Seule une poignée de riverains, bénévoles ou simples citoyens, s'organisent pour assurer distribution des tentes, vêtements, nourriture, accompagnement juridique, cours de français. Par leurs gestes d'humanité ils soutiennent les exilés, et ce malgré l'ampleur d'une responsabilité qui les dépassent.
Par leurs présences ils se montrent plus entreprenant que notre gouvernement retranché derrière un immobilisme et une rhétorique du silence.
Une année vient de s'écouler depuis l'évacuation du premier campement de La Chapelle (juin 2015). Et 23 évacuations plus tard, rien n'a changé.
Rien si ce n'est en mai dernier, l'annonce d'Anne Hidalgo de créer un camp de transit aux normes internationales qui permettrait d'éviter ces campements de rue. Une annonce qui intervient bien tardivement, et une promesse qui ne verra pas le jour avant septembre, si ce n'est plus tard.
En attendant, la situation se dégrade, rafles et OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) se démultiplient, faisant office de «politique d'accueil». L'abandon et le mépris s'étant institutionnalisés en l'espace d'une année, la misère patientera.
Les autorités esquivent leurs obligations, en menant ou laissant faire une politique discriminatoire et répressive.
Aux conditions d'accueil déplorables s'ajoute donc une violence policière ciblée, dont le but est de dissuader les réfugiés de venir ou de rester à Paris.
À la différence de Calais, toute tentative d'occupation de l'espace est détruite et dans ce contexte il est difficile de s'emparer du paysage pour auto-construire une solution d'urgence. Pour éviter qu'un nouveau campement se réinstalle, la mairie et la préfecture de police installent des grilles de toute part et l'espace se barricade sous la surveillance constante de vigiles et l'aboiement canin.
La cité est devenue citadelle.
Dans la « ville refuge » que voudrait incarner Paris, c'est désormais une lutte permanente que mènent les exilés et leurs soutiens pour ne serait-ce qu'avoir le droit de poser une tente, ou même posséder un sac de couchage, ou dormir à même le bitume sans en être délogé.
L'exilé est en perpétuel fuite, privé de sommeil, exposé à la faim, aux insultes et humiliations, aux coups de matraques ou gazages lacrymogènes. Chassé par la guerre, banni pour ses opinions, dépossédé par une catastrophe, il est maintenant traqué, pourchassé et nassé par la police en plein coeur de paris, dans des scènes aux allures irréelles tant elles sont choquantes d'inhumanité.
Voir 200 gendarmes pourchasser au milieu du trafic des réfugiés dans le seul but de leurs confisquer les tentes qu'ils traînent derrière eux - cela questionne forcément la défaillance de nos politiques à protéger les droits fondamentaux de ces personnes.
Comment se pardonner notre immobilisme face à ce drame qui se déroulent sous nos yeux ?
Comment se reconnaître dans un pays où ceux qui nous dirigent sont tellement sourds, aveugles, et inconscients face à cette détresse ?
La violence dont usent nos élus pour décourager les candidats à l'asile est inefficace. Ces rescapés continueront d'affluer et rien ne pourra les arrêter. Il est donc urgent d'accueillir dignement ces femmes, ces enfants, ces hommes, condamnés malgré eux à l'exil et à la recherche du moindre refuge.
La crise migratoire à Paris reste trop largement un angle mort dans les médias. Focalisés tour à tour sur les inondations ou le Brexit, une crise en chassant l'autre, l'oublie finit par gommer l'inacceptable.
Paris - Juin 2016
Stuck outdoor
Parisian history repeats itself.
La Chapelle, Austerlitz, Porte de Saint-Ouen and La Villette, Gare de l'Est, Stalingrad, Eole, Pajol, Jemmages, Jaurès. At each evacuation, refugee camps disappear and reform again and again.
Between 20 and 60 new-comers arrive every day in Paris. However, reception centres remain almost non-existent.
So they rush into the slightest gap, under the elevated métro, in a park or at the edge of a canal... To be visible and survive collectively, to escape the police repression, until the government finally grant them a shelter.
These multicolored tents encamped under oceans of tarpaulins, emerge in the few interstices of the remaining urban space. Despite the meteorological hostility of this month of May, epidemics of scabies or tuberculosis, and the accumulation of thousands of people on a restricted perimeter - the limits are always pushed back from one week to another, until the evacuation then synonymous with a beginning of care from the public authorities.
Despite all the obstacles that such precariousness imposes, these populations are showing incredible dignity, waiting and hoping to be evacuated to a shelter.
In the natural hostility of this concrete environment, the camps are dragging on with the indifference or denial of passersby accustomed for too many years to this deployment of tents, and numb to the daily brutality.
Only a handful of neighbours and volunteers are helping the refugees. Distribution of tents, clothes, food, legal support, French classes. By their gestures of humanity they support the abandoned exiles, bearing overwhelming responsibilities.
By their presences they are more enterprising than our government, entrenched behind inertia and a rhetoric of silence. Faced with the moral abdication of the politicians, it is not an act of charity but of justice, not to let those who have already been persecuted by the incorrect distribution of fate.
A year has passed since the evacuation of the first "La Chapelle camp" (June 2015). And 23 evacuations later, nothing has changed.
Nothing except last May, the announcement of Anne Hidalgo to create a transit camp responding to international standards that would avoid these street camps. A late announcement, and a promise that will not see the day before September, if not later.
In the meantime, the situation is deteriorating, roundups and OQTF (Obligation to leave the French territory) are multiplying, acting as "reception policy". Abandonment and disregard having been institutionalized within a year, misery will wait.
The authorities sidestep their obligations by leading or leaving a discriminatory and repressive policy. In addition to deplorable reception conditions, there is also a targeted police violence, the aim of which is to dissuade refugees from coming or staying in Paris.
Unlike Calais, any attempt to occupy space is destroyed and in this context it is difficult to seize the landscape to self-build an emergency solution. To prevent a new camp from being reinstated, the town hall and the police set up gates, barricading blank spaces, under the constant surveillance of security guards and canine barking.
The city has become a citadel.
In the "refuge city" that Paris wants to embody, it is now a permanent struggle for exiles and their volunteers to even have the right to put up a tent, to own a sleeping bag, or to sleep on the pavements without being dislodged.
The refugee is in a constant run away, deprived of sleep, exposed to hunger, insults and humiliations, blows of batons or tear gas. Driven by the war, banished for his opinions, dispossessed by a catastrophe, he is now hunted down, chased and surrounded by the police in the heart of Paris. Resulting from inhuman acts, those scenes nearly seem unreal.
Seeing 200 policemen chasing in the middle of the road refugees, in order to confiscate the tents they are dragging behind them - this inevitably questions the failure of our policies to protect the human rights of these people.
How can we forgive our immobilism in the face of this drama unfolding before us ?
How to recognize oneself in a country where those who lead us are so deaf, blind, and unaware of this distress ?
The violence used by our elected politicians to discourage asylum seekers is ineffective. These survivors will continue flooding in and nothing will stop them. It is urgent to welcome with dignity these women, these children, these men, condemned in spite of themselves to the exile and the search for the least refuge.
The migratory crisis in Paris remains largely a blind spot in the media. Focused alternately on floods or Brexit, one crisis chasing the other, omission ends up erasing the unacceptable.
It is urgent to claim hospitality rather than hostility and fear of the Other.
Paris - June 2016