Mon Oncle
1 - Présentation
Mon oncle vit à Saigon. Mon oncle ne sort pas de chez lui, reste cloîtré dans notre demeure familiale, arpentant les 2 étages à longueur de journée, quelques soient les saisons et soubresauts de la ville ou de la vie quotidienne. Cela fait près de 40 ans qu'il en est ainsi.
Mon oncle a perdu la vue, défiguré et brûlé à près de 80 % suite à un jet d'acide chlorhydrique au visage. Si les raisons et les motifs en sont personnels, ils s'inscrivaient à l'époque dans un contexte historique difficile et instable (dans les années 70, nous sommes en pleine guerre du Viêt-nam qui voit s'opposer les Viêt-cong aux représentants du gouvernement en place, soutenu par les Etats-Unis)
La responsable de ce geste passionnel et déraisonné fut à l'époque arrêtée. D'autres actes similaires furent répertoriés au cours de cette période trouble, et les coupables également incarcérées. Mais, l'arrivée au pouvoir des Viêt-Cong permit à ces femmes d'être libérées après qu'elles eurent revendiqué leurs gestes de « patriotiques », institutionnalisant ainsi leurs crimes ; les victimes étant souvent des membres ou des sympathisants du gouvernement opposant.
Au-delà du lien familial qui m'unit à mon oncle, je me suis intéressé à lui car je vois un homme exclu depuis quatre décennies de sa vie rêvée, qui cache ses possibles souffrances et désillusions en silence, derrière un enthousiasme en chaque chose. Son espace vital est réduit à la maison familiale, son quotidien est rythmé par les soins prodigués à ma grand-mère, elle-même alitée, l'entretien du jardin sur la terrasse, les prières et l'écoute assidue de la radio. Parfois la cigarette qu'il s'octroie sur le balcon vient couper ce quotidien.
Je me suis laissé à l'observer, discutant longuement avec lui, dans le but de montrer la solitude que peut connaître cet homme, mais surtout pour témoigner de sa dignité.
On y sentira un homme à la fois présent et absent, fantomatique. Vivant dans la (sa) mémoire et l'attente d'une fin de vie faite de silences et de recherche spirituelle. Entre l'autel des ancêtres et sa mère luttant entre la vie et la mort, mon oncle parait préparer la sienne (de mort) en la vivant, en se débarrassant des derniers obstacles à la sérénité. Cette maison familiale qui en est son refuge, le temps passant, en est presque devenue l'antichambre anxiogène et parabole de sa propre tombe (demeure).
Ce projet n'est pas qu'une histoire personnelle. Elle fait écho à celle d'un pays au passé sombre et trouble. Le côté « petite histoire dans la Grande Histoire » m'a paru pertinent et sauté aux yeux. C'était pour moi un moyen humble de donner quelques pistes pour comprendre ce qui se passe au Viêtnam, d'appréhender ce pays qui se construit sans fureur mais avec morgue et contradiction depuis la fin de cette guerre du Viêtnam.
2 -Démarche
Le reportage s'est construit sur une période de 6 ans au gré d'allers-accueils entre Paris et Saigon. Il est construit et pensé sous la forme de diptyques :
- La photo de gauche désigne un détail de l'environnement de mon oncle. Image en couleur pour montrer ce quotidien immédiat, ces ustensiles qui peuvent nous être familiers, qui rattachent mon oncle à l'existence.
- L'image de droite associée est en noir et blanc, montrant avec pudeur mon oncle dans ses postures et retranchements. Du noir et blanc pour se raccrocher inconsciemment à sa vision, à sa solitude. Son visage si possible effleuré pour le préserver.
My Uncle
1 - Presentation
My uncle lives in Saigon. My uncle does not leave his house, remains confined in our family home, walking the 2 floors all day long, whatever the seasons and jolts of the city or daily life. This has been the case for almost 40 years.
My uncle lost his sight, disfigured and burned nearly 80% of his body with a jet of hydrochloric acid on his face. While the reasons and motives are personal, they were at the time part of a difficult and unstable historical context (in the 1970s, we are in the middle of the Vietnam War, which saw the Viet Cong oppose representatives of the government in power, supported by the United States)
The person responsible for this passionate and crazy act was arrested at the time. Other similar acts were recorded during this troubled period, and the perpetrators were also incarcerated. But the coming to power of the Viet Cong allowed these women to be released after they claimed responsibility for their "patriotic" actions, thus institutionalizing their crimes; the victims were often members or sympathizers of the opposing government.
Beyond the family bond that unites me to my uncle, I was interested in him because I see a man who has been excluded for four decades from his dream life, who hides his possible sufferings and disillusions in silence, behind an enthusiasm for everything. Her living space is reduced to the family home, her daily life is punctuated by the care given to my grandmother, who is herself in bed, the maintenance of the garden on the terrace, prayers and assiduous listening to the radio. Sometimes the cigarette he gives himself on the balcony cuts off this daily life.
I allowed myself to observe him, discussing at length with him, in order to show the loneliness that this man can experience, but above all to testify to his dignity.
We will feel a man both present and absent, ghostly. Living in memory and waiting for an end of life made of silence and spiritual search. Between the altar of the ancestors and his mother struggling between life and death, my uncle seems to prepare his own (death) by living it, by getting rid of the last obstacles to serenity. This family home, which is its refuge, has almost become the anxious antechamber and parable of its own grave (dwelling).
This project is not just a personal story. It echoes that of a country with a dark and troubled past. The "little story in the Great Story" side seemed relevant and obvious to me. It was a humble way for me to give some leads to understand what is happening in Vietnam, to apprehend this country that is being built without fury but with morgue and contradiction since the end of this Vietnam war.
2 - Approach
The report was built over a period of 6 years at the whim of going to and from Paris and Saigon. It is built and designed in the form of diptychs:
- The picture on the left is a detail of my uncle's environment. A colour image to show this immediate daily life, these utensils that may be familiar to us, that connect my uncle to existence.
- The associated right-hand image is in black and white, showing with modesty my uncle in his postures and entrenchments. Black and white to unconsciously cling to his vision, to his loneliness. His face, if possible brushed to preserve it.