Les dernières bergères Wakhi du Pakistan
Nichée dans les montagnes du Karakorum, la vallée reculée de Shimshal vit chaque année au rythme de kutch, autrement dit la transhumance d'une partie des villageois vers le haut plateau du Pamir. La minorité Wakhi qui réside là est fière de cette tradition unique où les femmes sont à l'honneur.
Au printemps, une poignée d'entre elles, et quelques rares hommes, créent un hameau éphémère à plus de 4600 mètres d'altitude. 5 mois loin du confort le plus sommaire, isolés à 3 jours de marche du plus proche village.
Ce territoire de femmes n'est synonyme que de rudesse. Dans des conditions climatiques peu clémentes, soumis aux caprices du soleil, du vent et de la neige, les bergères gèrent plus d'un millier de bétail ; moutons, chèvres, et yaks.
Dans un décor de bout du monde, aux pieds de montagnes à plus de 6000 mètres d'altitude, les journées monotones s'enchaînent, rythmées par la traite et la fabrication fastidieuse du traditionnel qurut. Ce fromage séché permet la valorisation du lait abondant, et représente une source de revenus complémentaire à la vente du bétail. Ici, peu de distraction, à l'exception de Woolio, une fête qui célèbre le yak, animal emblématique et caractéristique du Pamir.
Sur les quarante cahutes de berger, cette année seules dix-sept sont occupées. Les bergères, âgées de 20 à 65 ans, ignorent si la saison prochaine elles seront à nouveau là. Inayat Bakht, 21 ans, doute « Si je me marie d'ici là, je ne suis pas certaine de revenir. Beaucoup d'hommes vivent à l'extérieur de la vallée ». Quant à Nar Begim, 65 ans, elle soupire l'air absente « Certaines de mes amies n'ont plus la santé pour venir, d'autres ne sont juste plus là. Quand à moi Dieu seul sait ! ».
La désertion progressive résulte de trajectoires personnelles et collectives en pleine évolution, sans parler du vieillissement des bergères, et du peu de renouvellement.
La vallée de Shimshal - qui accueille 1750 habitants - a pu être reliée à la Karakorum Highway (axe routier entre la Chine et le Pakistan) par une piste carrossable au début des années 2000 seulement, après quelques 18 années de travaux, facilitant l'accès aux grandes villes du pays, et à l'éducation supérieure. L'attrait des Wakhis pour l'instruction conduit à la fuite des jeunes filles et garçons vers les villes, d'abord pour les études, puis l'emploi. L'austérité de la vie de transhumance est en soi peu incitative, et fini de décourager les plus jeunes générations, qui lui préfère le confort des salles de classe, et la reconnaissance sociale d'une future vie de bureau.
Face à ces mutations, la fin de ce pastoralisme féminin singulier semble inéluctable. Conscientes de vivre les dernières belles années de cette tradition, les bergères du Pamir résistent, dépositaires d'un métier et de savoirs faire ancestraux.
The last Wakhi shepherdesses of Pakistan
Nestled in the mountains of Karakorum, the remote Shimshal valley changes each year to the rhythm of kuch, ie the transhumance of some of the villagers up to the Pamir plateau. The Wakhi minority who resides here is proud of its unique women-led tradition.
In springtime, a handful of women and a few men settle an ephemeral hamlet over 4600 meters high. Away for five months with only the most basic comforts, isolated from a three-day walk from the nearest village.
This territory of women is the definition of harshness. In inclement weather conditions, subject to the whims of the sun, wind and snow, shepherdesses take care of over one thousand cattle; sheep, goats and yaks.
In a setting that feels like the end of the world, at the feet of mountains 6000+ meter high, the days flow monotonously by, punctuated by milking and the tedious making of traditional qurut. This dried cheese is the local way to put the abundant milk to good use, and offers an additional source of income, along with the sale of livestock.
Here there is almost no entertainment. Paying visits to other shepherdesses, chatting and the once in the season, woolio, which is a faith-based festival that celebrates yaks, the emblematic animals of Pamir.
Among forty shepherd's huts, this year only seventeen are occupied. Shepherdesses, aged between 20 to 65 years old, don't know whether or not they will be here next season. Inayat Bakht, 21 years old shares her doubts. "If I get married by then, I'm not sure to return. Many men live outside of the valley now." Nar Begim, 65, sighs and looks away "Some of my friends don't have a good health enough to come, others are just gone forever. As for me, God knows".
The gradual desertion is the result of evolving personal and collective trajectories, not to mention the aging of the shepherdesses, and few replacements.
The Shimshal valley - home to 1,750 residents - was connected to the Karakorum Highway (road link between China and Pakistan) by a vehicle track in the early 2000s after some 18 years of construction, facilitating access to major cities and higher education. The desire of Wakhis for education led young people - both girls and boys - to leave for cities, initially for studies and then employment. The austerity of the transhumance is little incentive itself. The younger generation tends to prefer the comfort of classrooms and social recognition of a future office life. But most of all, through education they yearn to bring positive change in their communities.
Faced with these changes, the end of this singular feminine pastoralism seems inevitable. The shepherdesses of Pamir are conscious of living the last years of a beautifully harsh tradition, conscious of being the custodians of an ancestral knowledge.