Boca
Potosi, en Bolivie. Une montagne, le Cerro Rico, trouée en continu par dix mille hommes en quête de veines d'argent, la plata. La Negra est le nom de la bouche par laquelle j'ai pénétré la mine.
Ici, c'est d'un noir profond, des n?uds au ventre. L'espace se maintient autant que possible en instance d'effondrement.
A cet endroit, une femme porte malheur. Ma présence y est donc compliquée, mais on ne connaît des territoires que ce qu'on en traverse. Y suis entrée une première fois...en suis sortie. La découverte d'une nouvelle veine d'argent a suivi mon départ. Une chance. J'étais désormais la bienvenue. Papoter de football, que vive Zidane !, mâcher des feuilles de coca. Le vendredi, boire d'une traite des godets d'alcool à 70° degrés pour la Patchamama, déesse amérindienne de la terre, et pour el Tio, divinité de la mine, figure diabolique préfabriquée et importée par les conquistadors. Les mortels creusent plus intensément leurs trous sous l??il permanent du Mal.
Des pères perdent des fils, le tonnerre de la dynamite les emporte. El Tio les sacrifie, don contre don, une veine d'argent en échange. Là, au fond, la mort de chair plane en permanence, les hommes ont les coudes serrés. En contrepartie, ce qui reste de vivant est emporté par une jouissance éperdue, insensée. La mine comme espace de l'archétype originel, où le monde des hommes est tiraillé entre les puissances du noir et de la lumière, l'impossibilité d'être et l'irréel de la pensée, des forces invisibles.
Isabelle Lassignardi
Boca
Potosi, Bolivia. A mountain, the Cerro Rico, with a continuous hole for ten thousand men in search of silver veins, the plata. La Negra is the name of the mouth through which I entered the mine.
Here, it's deep black, from the knots to the belly. The space is kept as much as possible in a state of collapse.
In this place, a woman brings bad luck. My presence here is therefore complicated, but one only knows the territories as one passes through them. I entered it once... and left. The discovery of a new vein of money followed my departure. A chance. I was now welcome. Chatting about football, long live Zidane, chewing coca leaves. On Fridays, drinking cups of 70° alcohol in one go for Patchamama, the Amerindian goddess of the earth, and for el Tio, the deity of the mine, a prefabricated evil figure imported by the conquistadors. Mortals dig their holes more intensely under the permanent eye of evil.
Fathers lose sons, the thunder of dynamite takes them away. El Tio sacrifices them, gift for gift, a vein of silver in exchange. There, in the background, the death of flesh hovers permanently, the men are tight-lipped. In return, what is left of the living is carried away by a maddening, senseless enjoyment. The mine as a space of the original archetype, where the world of men is torn between the powers of darkness and light, the impossibility of being and the unreal of thought, of invisible forces.
Isabelle Lassignardi