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Le savon d'Alep : l'autre survivant du régime de Bachar
Dans la vieille ville d’Alep, au nord de la Syrie, les employés de la savonnerie Jebeili s’affairent à la cuisson du savon, sous l'œil aiguisé d’Hicham, le directeur de l’usine. Des usines comme la sienne, il n’y en a plus qu’une quinzaine, contre 120 avant le début de la guerre en 2011. “Ma famille fait du savon depuis au moins quatre générations, ce n’est pas un commerce, c’est avant tout un art, un amour inconditionnel du produit”, lance-t-il, les yeux rieurs.
Un savoir-faire ancestral que l’UNESCO a inscrit sur sa liste du patrimoine immatériel de l’humanité le 3 décembre 2024, soit cinq jours avant la chute de Bachar Al Assad, qui dirigeait le pays d’une main de fer depuis 2000. Sous son régime, l’artisanat du savon d’Alep a bien failli disparaître. Les producteurs faisaient face à un racket institutionnalisé. La production était imposée jusqu’à 50 % en plus des taxes à verser sur la route du transport de matières premières à chaque checkpoint de la quatrième division blindé dirigé par Maher Al Assad, le frère du dictateur.
“A chaque réunion avec les ministres, je demandais à ce que les impôts baissent et qu’ils ne prennent pas nos ouvriers pour le service militaire. C’était comme parler à l’oreille de sourds, personne n'écoutait”, se souvient celui qui était le représentant des producteurs de savon à la chambre du commerce. Face au système d’extorsion du régime, Hicham Jebeili et ses compères font face aux sanctions internationales leur interdisant d’exporter leur produit, mais aussi à l’interdiction du pouvoir d’Assad d’importer des matières premières en cas de pénurie. Ils mettent en place des réseaux de contrebandes avec la Turquie pour s’approvisionner en huile de laurier et avec le Liban pour exporter leur fabrication. Des risques qui auraient pu leur valoir un aller sans retour dans l’enfer des geôles syriennes.
Bombardée pendant la guerre, l’usine Jebeili, vieille de 800 ans, est de nouveau opérationnelle. Fini le temps où Hicham Jebeili produisait son savon d’Alep dans sa maison à l’abri des regards des services de renseignements. “Je n’ai plus peur d’avoir mes comptes sur mon téléphone, ni de la police où des douanes, je me sens libéré”, affirme le cinquantenaire. Il peut de nouveau exporter sans craintes. Sur les 550 tonnes qu’il a produites cette saison, 250 sont destinées à la France. “Je pense que les Français aiment plus notre savon que les Aleppins eux-mêmes”, s’amuse un de ceux qui auront sauvé l’un des trésors culturels de la Syrie.
Texte : Aubin Eymard
Aleppo soap: the other survivor of Bashar's regime
In the old town of Aleppo, in northern Syria, employees of the Jebeili soap factory are busy cooking soap, under the watchful eye of Hicham, the factory manager. There are now only around 15 factories like his, down from 120 before the war began in 2011. “My family has been making soap for at least four generations. It's not a business, it's above all an art, an unconditional love of the product,” he says, his eyes laughing.
This ancestral know-how was inscribed on UNESCO's list of Intangible Heritage of Humanity on December 3, 2024, five days before the fall of Bashar Al Assad, who had ruled the country with an iron fist since 2000. Under his regime, Aleppo's soap-making industry almost disappeared. Producers faced an institutionalized racket. Production was taxed by up to 50%, in addition to the taxes payable on the raw materials transport route at each checkpoint of the Fourth Armored Division led by Maher Al Assad, the dictator's brother.
“At every meeting with the ministers, I asked that taxes be lowered and that they not take our workers for military service. It was like talking to deaf ears, nobody listened”, recalls the man who represented soap producers at the Chamber of Commerce. Faced with the regime's system of extortion, Hicham Jebeili and his colleagues had to deal with international sanctions prohibiting them from exporting their product, as well as the Assad government's ban on importing raw materials in the event of shortages. They set up smuggling networks with Turkey to obtain supplies of laurel oil, and with Lebanon to export their products. Risks that could have earned them a one-way trip to the hell of Syria's jails.
Bombed during the war, the 800-year-old Jebeili factory is back in operation. Gone are the days when Hicham Jebeili produced his Aleppo soap in his home, out of sight of the intelligence services. “I'm no longer afraid of having my accounts on my phone, or of the police or customs, I feel liberated”, says the fifty-year-old. He can once again export without fear. Of the 550 tonnes he produced this season, 250 are destined for France. “I think the French like our soap more than the Aleppines themselves”, laughs one of those who saved one of Syria's cultural treasures.
Text: Aubin Eymard