En Syrie, des travailleurs s’unissent pour créer une boulangerie coopérative
Le plus grand four à pain de Qamishli, ville emblématique du nord-est syrien, a été repris en main par les ouvriers après la chute du régime de Bachar al-Assad. Dans un pays encore fracturé par plus d’une décennie de guerre, ce reportage photographique s’intéresse à un modèle de résistance civile : celui d’une usine, transformée en coopérative autogérée.
Avant la guerre civile, Qamishli était en partie administrée par le régime Baas, qui a continué à y maintenir une présence depuis 2012 et la prise du pouvoir des forces kurdes, menées par les YPG (Unités de protection du peuple). Bordant la frontière avec la Turquie, la ville à majorité kurde se trouve au cœur des tensions régionales. Ces dernières années, les bombardements et les frappes de drones turcs s’y sont intensifiés, visant à affaiblir leur autonomie et modèle d’autogestion, fondé sur le confédéralisme démocratique.
Depuis la chute de Damas le 8 décembre dernier, les relations entre L’Administration autonome démocratique du nord et de l'est de la Syrie (AADNES) et le nouveau pouvoir syrien cherchent à se redéfinir. Le 10 mars, un accord inédit a été signé entre le président par intérim Ahmed Al-Charaa et Mazloum Abdi le chef des Forces démocratiques syriennes (FDS), visant à intégrer les institutions du Rojava à l’Etat central. Dans le même élan, un échange de prisonniers à eu lieu à Alep, marquant une étape importante vers la réduction des tensions dans la région.
Le four fonctionnait autrefois sous l’égide du régime syrien. Les ouvriers y ont depuis instauré un modèle horizontal et démocratique : le salaire est réparti équitablement entre les travailleurs, sans hiérarchie, et une partie est réinjectée dans l’outil de travail, afin d’améliorer les machines, qui pour la plupart datent du temps d’Hafez al-Assad. La production de farine destinée à la fabrication du pain repose majoritairement sur les ressources locales. Malgré les frappes de l’armée turque qui visent les infrastructures agricoles et pétrolières, la culture du blé se maintient dans la région. Le 25 octobre 2024, un drone turc a détruit le nouveau dépôt de farine de Qamishli. Une partie de la production a été brûlée et cinq personnes ont été blessées.
L’Administration autonome a su développer des stratégies pour garantir une relative sécurité alimentaire à la population malgré le contexte de guerre persistant. En finançant la production de pain, la distribution devient accessible dans chaque commune. Les habitants peuvent acheter leur ration quotidienne à prix fixe grâce à leur carte de commune.
Ce système repose sur un équilibre fragile entre production autogérée, distribution décentralisée et régulation locale. Dans un contexte de pénurie des matières premières, de guerre et de bouleversement politique, cette chaîne du pain illustre la capacité d’un peuple à s’organiser et à reconstruire par le bas. Ce four à pain devient un symbole, pas seulement nourricier, mais également politique.
Reportage réalisé pour Basta!
In Syria, workers unite to create a cooperative bakery
The largest bread oven in Qamishli, an emblematic city in north-eastern Syria, was taken over by the workers after the fall of Bashar al-Assad's regime. In a country still fractured by more than a decade of war, this photographic report looks at a model of civil resistance: that of a factory, transformed into a self-managed cooperative.
Before the civil war, Qamishli was partly administered by the Baath regime, which has continued to maintain a presence there since 2012 and the seizure of power by Kurdish forces, led by the YPG (People's Protection Units). Bordering the border with Turkey, the predominantly Kurdish city is at the heart of regional tensions. In recent years, Turkish bombings and drone strikes have intensified, aimed at weakening their autonomy and self-management model, based on democratic confederalism.
Since the fall of Damascus on December 8, relations between the Autonomous Democratic Administration of Northern and Eastern Syria (AADNES) and the new Syrian government have been seeking to redefine themselves. On March 10, an unprecedented agreement was signed between interim president Ahmed Al-Charaa and Mazloum Abdi, head of the Syrian Democratic Forces (FDS), aimed at integrating Rojava's institutions into the central state. At the same time, a prisoner exchange took place in Aleppo, marking an important step towards reducing tensions in the region.
The furnace once operated under the aegis of the Syrian regime. The workers have since introduced a horizontal, democratic model: wages are divided equally among the workers, with no hierarchy, and a portion is reinjected into the work tools to improve the machines, most of which date from the time of Hafez al-Assad. The production of flour for bread-making relies mainly on local resources. Despite Turkish army strikes targeting agricultural and oil infrastructures, wheat cultivation continues in the region. On October 25, 2024, a Turkish drone destroyed Qamishli's new flour depot.
The Autonomous Administration has developed strategies to guarantee relative food security for the population, despite the persistent war situation. By financing the production of bread, distribution becomes accessible in every commune. Residents can buy their daily ration at a fixed price using their commune card.
This system is based on a delicate balance between self-managed production, decentralized distribution and local regulation. Against a backdrop of raw material shortages, war and political upheaval, this bread chain illustrates a people's ability to organize and rebuild from the bottom up. The bread oven becomes a symbol, not only of nourishment, but also of politics.
Report created for Basta!