CRA de Saint-Jacques-de-la-Lande : une frontière de plus ?
Le Centre de Rétention Administrative de Saint-Jacques-de-la-Lande, construit en 2007, pour accueillir des personnes en situation irrégulière, a tout d'une prison : des grillages, des barbelés, des heures de promenades restraintes avec un drapeau bleu blanc rouge qui flotte au loin.
Son fonctionnement s'en rapproche également : heures de visite strictes, des cellules minuscules pour deux, des sanitaires insalubres et des punitions collectives (ce jour-là, deux personnes se verront interdites de jouer au babyfoot car une bagarre a eu lieu la veille).
Aujourd'hui, selon la gardienne présente sur place, "plus de 60% des détenus sont passés par la case prison". Une assimilation entre la présence au CRA et le statut d"étranger en situation irrégulière qui mène à de nombreuses incohérences et dérives. On retrouve donc des personnes inculpées d'infractions après garde à vue et des personnes qui n'ont commis aucune infraction.
Cette situation a notamment été facilitée par la circulaire Darmanin du 17 octobre 2022 qui tend à systématiser la délivrance d'OQTF (obligation de quitter le territoire français) à tout étranger en situation irrégulière et à traiter chaque personne comme un criminel.
C'est d'ailleurs ce que nous raconte certains détenus du CRA lors de la visite. Pour Mohamed (prénom modifié), "ici c'est pire que la prison" car "au moins en prison tu sais pourquoi tu es là et quand tu vas sortir".
En effet, beaucoup ne comprennent pas les raisons de leur incarcération et surtout ne savent pas combien de temps ils vont rester privés de leur
liberté (chaque personne peut être détenue 45 jours renouvelables une fois).
Une impossibilité de prévoir qui a un impact très nocif sur la santé mentale des détenus. Début 2023, ce sont deux détenus qui ont tenté de mettre fin à leurs jours. Ces drames ont eu lieu à une semaine d'intervalles et selon Marie, de la CIMADE, "il y a eu une absence de prise en compte de ces actes par les autorités". L'une des personnes a même été déférée après cela.
L'enfermement et l'attente d'une expulsion ne sont pas les seuls abus que subissent les personnes sur place. De nombreux témoignages ont fait état d'expulsions ayant lieu en pleine nuit à l'abri des regards, "une pratique qui s'est normalisée", d'après Marie.
Ces expulsions, en plus d'être faites dans le plus grand secret, entraînent également des atteintes aux droits humains : intervention d'une dizaine de policiers si le détenu refuse son expulsion, clés de bras, coups, port d'un casque pour que le détenu se retrouve dans le noir et soit désorienté.
Selon un témoignage recueilli par la CIMADE, il y a eu une nuit où les agents de la PAF (police aux frontières) se sont trompés de personne et après avoir été violenté de longues minutes, le détenu a finalement été relâché avant que son compagnon de chambre ne soit emmené.
Les chiffres de 2022 démontrent par eux même l'échec de la politique actuelle : sur 745 personnes enfermées, un peu plus d'un tiers des personnes enfermées ont été expulsées (236 personnes), plus de la moitié des personnes ont été libéré par les juges, et une dizaine de personnes ont été emprisonnées.
Les pratiques au sein du CRA de Saint-Jacques-de-la-Lande font écho à pleins d'autres témoignages de la part de détenu.es d'autres établissements similaires. Une approche toujours plus dure, plus stigmatisante des personnes étrangères. Alors que la loi immigration reste en suspend et que les politiques migratoires européennes se durcissent, peut être serait il temps d'envisager une nouvelle approche ?
Texte : Olivier Ceccaldi
CRA of Saint-Jacques-de-la-Lande : one more border ?
The Saint-Jacques-de-la-Lande Administrative Detention Center, built in 2007 to house illegal immigrants, has all the makings of a prison : fences, barbed wire, restricted walking hours with a blue white and red flag flying in the distance.
Its functioning is also similar : strict visiting hours, tiny cells for two, unsanitary sanitary facilities and collective punishments (that day, two people were forbidden to play table soccer because of a fight the day before).
Today, according to the guard on site, "more than 60% of the detainees have gone through prison". An assimilation between the presence in the CRA and the status of an illegal immigrant leads to numerous inconsistencies and abuses. We therefore find people charged with offenses after police custody and people who have not committed any offenses.
This situation has been facilitated by the Darmanin circular of October 17, 2022, which tends to systematize the issuance of OQTF (obligation to leave French territory) to any illegal immigrant and to treat each person as a criminal.
This is what some of the detainees in the ARC told us during the visit. For Mohamed (first name changed), "this is worse than prison" because "at least in prison you know why you are here and when you are going to get out".
Indeed, many do not understand the reasons for their incarceration and especially do not know how long they will be deprived of their freedom (each person can be detained for 45 days, renewable once).
This impossibility to foresee has a very harmful impact on the mental health of the prisoners. At the beginning of 2023, two inmates attempted to end their lives. These tragedies took place within a week of each other and according to Marie, from the CIMADE, "there was a lack of consideration of these acts by the authorities". One of the people was even referred to the court afterwards.
Locking people up and waiting to be deported are not the only abuses suffered by the people on the spot. Many testimonies reported evictions taking place in the middle of the night out of sight, "a practice that has become normalized," according to Marie.
These expulsions, in addition to being carried out in total secrecy, also involve human rights violations : the intervention of a dozen police officers if the detainee refuses to be expelled, arm-locks, beatings, and the wearing of a helmet so that the detainee is left in the dark and disoriented.
According to a testimony collected by the CIMADE, there was a night when the PAF (border police) agents got the wrong person and after being violated for many minutes, the detainee was finally released before his roommate was taken away.
The figures for 2022 demonstrate by themselves the failure of the current policy : out of 745 people locked up, a little more than a third of the people locked up were deported (236 people), more than half of the people were released by the judges, and about ten people were imprisoned.
The practices in the Saint-Jacques-de-la-Lande CRA echo many other testimonies from detainees in other similar institutions. An increasingly harsh, stigmatizing approach to foreigners. While the immigration law remains in abeyance and European migration policies are getting tougher, perhaps it is time to consider a new approach ?
Written by Olivier Ceccaldi