art brut, le ferme aux avions
art brut, le ferme aux avions des frères Vanabelles.
De l'autoroute qui mène à Calais, on peut apercevoir une surprenante installation : un toit hérissé d'avions et six ou sept canons appuyés contre une haie bien taillée. Pour s'en approcher, il faut traverser une méchante zone industrielle. Le ciel est lourd et nuageux. Des champs humides s'étendent à l'infini. Des tracteurs dorment devant des granges. A l'intérieur des rares bâtisses en briques rouges, des agriculteurs sont rentrés déjeuner. Un garagiste s'affaire dans son entrepôt. Les deux frères de « la ferme aux avions », il les connaît. Leur maison est située un peu à l'écart, au bout d'une impasse qui débouche sur l'autoroute. Le bruit continu des moteurs vrille le cerveau. Là, en plus des avions et des canons, on découvre des fusées pointées vers le ciel, ornées de l'inscription NASA, ainsi qu'un énorme char d'assaut planté au milieu du jardin. Un arsenal militaire inoffensif fait de pièces de machine à laver, d'enjoliveurs, d'extincteurs, de radiateurs et de roues de tracteurs. Des figurines ont été découpées dans de fines planches de bois. Etranges hôtes que ces têtes de soldats accrochées au mur : « Un officier français, un tirailleur marocain et un autre sénégalais », précise le frère de l'auteur. « Beaucoup disent qu'on est des belligérants, alors que ce n'est pas vrai. »
César Vanabelle tient à le préciser. Comme son aîné, il a connu deux guerres mondiales, mais ne les a pas faites. Il n'est même jamais monté dans un avion. C'est lui qui a pris l'habitude de raconter l'histoire. Arthur, lui, en a un peu marre. Alors César récite : « Tout a commencé par une girouette en forme d'avion sur le toit. Comme on était cultivateurs, on avait besoin de voir la direction du vent. Quand il vient du sud-ouest, c'est qu'il va pleuvoir. Puis, il a voulu en faire plus. Il en a mis un peu partout. Les premiers datent des années 1960. Il ne voulait pas fabriquer de voitures, il trouvait qu'il y en avait déjà assez. » On le comprend sans peine. Cette autoroute apparue dans les années 1970, alors qu'il habitait déjà cette maison avec son frère et sa soeur, avait de quoi l'en dégoûter.
Avant de céder leurs dix-sept hectares de terres labourables et de prairies pour prendre leur retraite, les deux hommes cultivaient le blé, les céréales, les pommes de terre, la betterave et les pois. Ils élevaient aussi des porcs, cinq ou six vaches et trois cents poules. Lorsqu'il pleuvait, Arthur avait du temps à tuer. Surtout depuis qu'il ne participait plus à l'orchestre du village. Alors pour tromper l'ennui, il se mit à bricoler, tout seul dans son hangar. Un avion, il n'en a vu un en vrai qu'une seule fois. C'était en mai 1940, il venait de s'échouer dans un champ voisin. « Ce n'est pas compliqué ! Il y a des ailes et des roues. » A l'évidence, son humilité n'est pas feinte. Il s'excuserait presque de ne pas savoir souder.
texte de Marion Rousset / pour Regards.
Arthur Vanabelle, 94 ans vient de s'éteindre le 2 septembre 2014, et le devenir de la Ferme aux Avions est très incertain...
art brut, le ferme aux avions
art brut, le ferme aux avions des frères Vanabelles.
De l'autoroute qui mène à Calais, on peut apercevoir une surprenante installation : un toit hérissé d'avions et six ou sept canons appuyés contre une haie bien taillée. Pour s'en approcher, il faut traverser une méchante zone industrielle. Le ciel est lourd et nuageux. Des champs humides s'étendent à l'infini. Des tracteurs dorment devant des granges. A l'intérieur des rares bâtisses en briques rouges, des agriculteurs sont rentrés déjeuner. Un garagiste s'affaire dans son entrepôt. Les deux frères de « la ferme aux avions », il les connaît. Leur maison est située un peu à l'écart, au bout d'une impasse qui débouche sur l'autoroute. Le bruit continu des moteurs vrille le cerveau. Là, en plus des avions et des canons, on découvre des fusées pointées vers le ciel, ornées de l'inscription NASA, ainsi qu'un énorme char d'assaut planté au milieu du jardin. Un arsenal militaire inoffensif fait de pièces de machine à laver, d'enjoliveurs, d'extincteurs, de radiateurs et de roues de tracteurs. Des figurines ont été découpées dans de fines planches de bois. Etranges hôtes que ces têtes de soldats accrochées au mur : « Un officier français, un tirailleur marocain et un autre sénégalais », précise le frère de l'auteur. « Beaucoup disent qu'on est des belligérants, alors que ce n'est pas vrai. »
César Vanabelle tient à le préciser. Comme son aîné, il a connu deux guerres mondiales, mais ne les a pas faites. Il n'est même jamais monté dans un avion. C'est lui qui a pris l'habitude de raconter l'histoire. Arthur, lui, en a un peu marre. Alors César récite : « Tout a commencé par une girouette en forme d'avion sur le toit. Comme on était cultivateurs, on avait besoin de voir la direction du vent. Quand il vient du sud-ouest, c'est qu'il va pleuvoir. Puis, il a voulu en faire plus. Il en a mis un peu partout. Les premiers datent des années 1960. Il ne voulait pas fabriquer de voitures, il trouvait qu'il y en avait déjà assez. » On le comprend sans peine. Cette autoroute apparue dans les années 1970, alors qu'il habitait déjà cette maison avec son frère et sa soeur, avait de quoi l'en dégoûter.
Avant de céder leurs dix-sept hectares de terres labourables et de prairies pour prendre leur retraite, les deux hommes cultivaient le blé, les céréales, les pommes de terre, la betterave et les pois. Ils élevaient aussi des porcs, cinq ou six vaches et trois cents poules. Lorsqu'il pleuvait, Arthur avait du temps à tuer. Surtout depuis qu'il ne participait plus à l'orchestre du village. Alors pour tromper l'ennui, il se mit à bricoler, tout seul dans son hangar. Un avion, il n'en a vu un en vrai qu'une seule fois. C'était en mai 1940, il venait de s'échouer dans un champ voisin. « Ce n'est pas compliqué ! Il y a des ailes et des roues. » A l'évidence, son humilité n'est pas feinte. Il s'excuserait presque de ne pas savoir souder.
texte de Marion Rousset / pour Regards.
Arthur Vanabelle, 94 ans vient de s'éteindre le 2 septembre 2014, et le devenir de la Ferme aux Avions est très incertain...