#UnJourAvec Karim, SDF
Karim se regarde dans les hauts miroirs du batiment de la Sorbonne: « j'suis pas beau aujourd'hui, j'ai le fute qui tombe, j'ai pas de ceinture, systeme D avec un lacet, mais après j'ai plus de lacets à mes chaussures, les sacs plastiques ça marche bien aussi. »
« J'te fais pas peur? »
Rencontré sur les quais de Seine, à proximité de la Péniche du Coeur, Karim, 50 ans, n'a pas tout de suite compris pourquoi « une gamine avec un appareil photo » s'intéressait à lui. Vagabond depuis un an, propulsé dans la rue à cause de la crise sanitaire, il était plombier, en réinsertion professionnelle après plusieurs années de prison. Une boite qui coule, un licenciement, vous connaissez la suite.
« J'ai une tête de clochard ou quoi. Qu'Allah me vienne en aide. »
Papa algérien, maman bretonne, issu du 9.3 et fier d'y avoir grandi, il me parle du Coran avec une justesse incroyable, se souvient de versets dans les moindres détails, malgré les 3 bières à 8 degrés qu'il a déjà descendu comme si il était pressé de voir en 3D.
« Bien sûr que je bois, tu veux que je fasse quoi d'autre. »
Karim boit pour noyer l'ennui. C'est le seul moyen qu'il a trouvé pour rendre sa vie un peu plus exaltante, c'est son remède, pour que la lumière du jour cesse de lui piquer le coeur de l'oeil.
Il me dit que j'ai de la chance, parce qu'il est sympa aujourd'hui, il a envie de parler de tout. Même des 20 ans de taule qu'il a fait dans sa vie.
« La Prison de Fleury c'est classe, c'est pas comme à Fresnes. A Fresnes, on te balance une lacrymo dans le trou de la porte pour te dire bonjour. »
20 ans de taule, première peine purgée entre ses 17 et ses 24 ans. Vols en bande organisée, séquestration, il en a fait des conneries dans sa vie.
Il montre une profonde haine pour « les porte-clés » (les matons), qui ont marqué sa vie carcérale, et par extension, la même haine virulente pour la Police, qui lui demande tous les soirs de rentrer chez lui après le couvre-feu alors que « Merde, ça se voit bien que je suis SDF, non? ».
« La Péniche, c'est bien. Mais moi, je suis plus large que le lit qu'on me donne. »
En ce moment, il dort à la Péniche du Coeur, aménagée par l'association Les Restos du Coeur, et quand la Seine déborde, on l'emmène dans un gymnase Place d'Italie. Il s'oblige à éprouver de la satisfaction mais plus tard, il me dira: « Coluche serait bien triste de voir ce qu'est devenue sa création. »
« Les journalistes c'est comme les flics, mais toi je t'aime bien. »
La grande conversation commence, celle qu'on a tous à chaque fois, mais je n'ai pas besoin de lui expliquer qu'il y a les bons et les mauvais, qu'il ne faut pas généraliser. Il le sait déjà, parce qu'avant, il lisait « Le Monde », avant il regardait les photos de l'AFP. Il aimait l'actualité et il essaye toujours de rester informé. Il en sait plus sur le procès de Nicolas Sarkozy que tout le troupeau de journalistes qui s'impatientait au Tribunal il y a deux jours.
« La rue c'est pas - aujourd'hui on a plus le droit ni d'avoir faim ni d'avoir froid - c'est des conneries tout ça.»
Il veut m'expliquer la Rue, la vie de SDF. Il a une côte felée à cause des bagarres du soir, des plaies au visage parce qu'il tombe tout le temps. Mais il garde cet humour tout en jeux de mots, il dira que c'est tout ce qui lui reste, avec ses cannettes.
« Allez, casse-toi maintenant, et raconte pas de conneries sur moi. »
Il finira par me donner une note pour cette rencontre, ou plutôt une mention: « Pote de rue ».
« C'est ta note, tu peux être fière, il faut que tu l'écrives dans ton article, c'est important. »
#ADayWith Karim, homeless
Karim looks at himself in the high mirrors of the Sorbonne building: "I don't look good today, I have a falling pantsuit, I don't have a belt, system D with a shoelace, but then I don't have any shoelaces on my shoes, plastic bags work well too. »
"I don't scare you? Why are you doing this? »
Met on the banks of the Seine, near the Péniche du Coeur, Karim, 50 years old, did not immediately understand why "a lassie with a camera" was interested in him. Vagabond for a year, propelled into the street because of the health crisis, he was a plumber, in professional reintegration after several years in prison. A business that goes bankrupt, a dismissal, you know the rest.
"I look like a bum or something. May Allah help me. »
Algerian father, Breton mother, from 9.3 and proud to have grown up there, he speaks to me about the Koran with incredible accuracy, remembers verses in the smallest details, despite the 3 beers at 8 degrees that he has already downed as if he was in a hurry to see in 3D.
"Of course I drink, what else do you want me to do. »
He doesn't just drink to drown out the worries. He drinks to drown boredom. It's the only way to find things less bland, it's the only remedy so that daylight stops stinging his heart.
He tells me I'm lucky, because he's nice today, he wants to talk about everything. Even about the 20 years he did in prison in his life.
"The Fleury Prison is classy, it's not like Fresnes. In Fresnes, they throw a tear gas in the hole of your door to say hello. »
20 years in prison, whose first sentence was served between the ages of 17 and 24. Organized robbery, sequestration, he made a lot of mistakes in his life.
He shows a deep hatred for "the key chains", the prison guards who marked his prison life, and by extension, the same virulent hatred for the Police, who ask him every night to go home after curfew when "Shit, it's obvious that I'm homeless".
"The houseboat is fine. But I'm wider than the bed they give me. »
At the moment, he sleeps at the Péniche du Coeur, arranged by the association Les Restos du Coeur, and when the Seine overflows, he is taken to a gym in Place d'Italie. He obliges himself to feel satisfaction but later, he tells me that "Coluche would be very sad to see what has become of his creation. »
"Journalists are like cops, but I like you. »
The big conversation begins, the one we all have every time, but I don't need to explain to him that there are good and bad journalists, that we shouldn't generalize. He already knows that, because he used to read "Le Monde", he used to look at AFP photos. He liked the news and he still knows it, he knows more about Sarkozy's trial than the journalists who stepped on it at the Tribunal two days ago.
"The street is not - Aujourd'hui on a plus le droit ni d'avoir faim ni d'avoir froid (Extract from singers group Les enfoirés) - it's bullshit all that."
He wants to teach me about life on the streets, the life of the homeless. He has a cracked rib because of the evening fights, sores on his face because he falls down all the time. But he keeps this humor all in puns, he will say that it's all he has left, with his cans.
"Come on, get out of here now, and don't bullshit about me. »
We will leave each other laughing. Basically anti-photo, however, he will ask me to film him while he tells a joke, "because I'd like to see if it's funny when I tell it".
Eventually, he will give me a note for this meeting: "Street buddy".
"It's your note, you can be proud, you have to write it in your article, it's important. »