«On asphalt we grow» Avec la communauté de skateboarders en Ukraine pendant la guerre
Ce travail fait écho aux prochains Jeux olympiques et paralympiques de 2024 en France, où le skateboard est une toute jeune discipline olympique.
«L'Ukraine est comme une prison dont on ne peut pas sortir, et Kiev est ma cellule. Seul le skate me permet de m'évader.». À elle seule, cette phrase lancée à l'été 2023 par Alexandr, skateur de vingt-quatre ans, résume le marasme dans lequel la jeunesse ukrainienne est plongée. Une jeunesse étouffée au milieu d'une guerre à laquelle elle ne peut échapper (les hommes de dix-huit à soixante ans ne peuvent pas quitter le pays), vivant quotidiennement au rythme des accablantes nouvelles du front, sous la menace d'un enrolement forcé à même la rue ou d'une frappe aérienne russe. «Qu'est-ce qu'il nous reste quand on regarde devant nous? Notre horizon, c'est le néant. Alors on fait du skate, c'est ça, notre seul horizon.».
Depuis le début de l'invasion russe, la pratique du skateboard en Ukraine a pris une dimension singulière : celle d'une échappatoire. D'un sport que l'on pratiquait entouré de ses homies (bande d'amis), le skateboard est devenu une lucarne vers la liberté, au milieu du chaos et des angoisses. Un remède aux traumatismes de la guerre, un soutien psychologique devenu vital pour une jeunesse déboussolée. «Un moyen de se sentir vivant, même quand tout autour s'effondre.», résume Vasilkan, un skateur d'Odessa.
Difficile pourtant de ne pas être ramené au réel. En arpentant les spots du pays, ces lieux propices à la pratique urbaine du skateboard, la guerre s'impose à chaque coin de rue. Près des vastes places brutalistes comme celle de Khatob gisent des immeubles éventrés par des obus russes. Des barricades bloquent l'accés aux contours abîmés de statues qu'aiment en temps normal rider les skateurs.
Même la composition des routes leur rappelle la situation : ce sol rugueux qui les empêche est résolument tourné vers l'Est et son passé sovieétique. «Ici, on grandit sur de l'asphalte, sur un sol de mauvaise qualité pour faire du skate. Quand on voit les spots en Europe, c'est comme rêver les yeux ouverts», raconte Éric, un jeune de la ville de Dnipro. Les skateurs sont résolument tournés vers cette Europe. Celle à l'Ouest. À lui seul, le skateboard symbolise cette fracture entre la jeunesse ukrainienne et ce passé sovietique qui les poursuit sans cesse, et qui les entraîne jusque dans un conflit d'un autre temps.
Aujourd'hui, les skateurs ukrainiens qui ne sont pas partis combattre livrent une tout autre bataille : se réapproprier la rue et les espaces marqueés par la guerre, et s'autoriser à vivre à nouveau.
Reportage réalisé avec le soutien du Centre national des arts plastiques (Cnap), dans le cadre de la commande nationale «Permormance», en préparation des Jeux Olympiques de Paris 2024 (le skateboard étant une récente discipline olympique). Expostion en cours au Musée Régional d'Art Contemporain d'Occitanie (du 6 avril au 22 septembre 2024)
"On asphalt we grow" With the skateboarding community in war Ukraine
This work also echoes the upcoming 2024 Olympic and Paralympic Games in France, where skateboarding is emerging as a very young Olympic discipline.
"Ukraine is like a prison you can't get out of, and Kiev is my cell. Only skateboarding allows me to escape". This sentence alone, uttered in the summer of 2023 by twenty-four-year-old skateboarder Alexandr, sums up the stagnation in which Ukrainian youth finds itself. A youth suffocated in the midst of a war from which it cannot escape (men between the ages of eighteen and sixty are not allowed to leave the country), living daily to the rhythm of the overwhelming news from the front, under the threat of forced enlistment on the street or a Russian air strike. "What are we left with when we look ahead? Our horizon is nothingness. So we skateboard, that's our only horizon".
Since the start of the Russian invasion, skateboarding in Ukraine has taken on a singular dimension: that of an escape. From a sport practised in the company of homies (a group of friends), skateboarding has become a window to freedom, in the midst of chaos and anxiety. A remedy for the traumas of war, a psychological support that has become vital for a disoriented youth. "A way of feeling alive, even when everything else is falling apart", sums up Vasilkan, a skateboarder from Odessa.
Yet it's hard not to be brought back to reality. As you explore the country's skateboarding spots, war looms large around every corner. Near vast brutalist squares like Khatob, buildings gutted by Russian shells lie. Barricades block access to the damaged outlines of statues that skateboarders normally love to ride.
Even the composition of the roads reminds them of the situation: this rough ground that hinders them is resolutely turned towards the East and its Soviet past. "Here, we grow up on asphalt, on poor quality ground for skateboarding. When you see the spots in Europe, it's like dreaming with your eyes open", says Éric, a young man from the town of Dnipro. Skateboarders are resolutely turned towards this Europe. The one in the West. The skateboard alone symbolizes the rift between Ukrainian youth and the Soviet past, which constantly pursues them and drags them into a conflict from another time.
Today, Ukrainian skateboarders who haven't gone off to fight are fighting a completely different battle: to reclaim the streets and spaces marked by war, and allow themselves to live again.
Report produced with the support of the Centre national des arts plastiques (Cnap), as part of the national "Permormance" commission, in preparation for the Paris 2024 Olympic Games (skateboarding being a recent Olympic discipline). Ongoing exhibition at the Musée Régional d'Art Contemporain d'Occitanie (from April 6 to September 22, 2024).