ETHANOL/BZD
C'est en m'enivrant de tous les fonds de bouteilles que j'avais disséminées ça et là dans l'appartement familial que je m'étais donné le courage d'affronter cette journée. J'y étais préparé, cela faisait des mois que la date était fixée. Elle paraissait lointaine, indistincte, comme un vague mirage qui n'arriverait de toute façon jamais. Mais ce jour est arrivé, ce mercredi d'hiver au froid sec et au soleil si dur qu'il révélait mon état d'ébriété dans toute sa violence et sa cruauté. Ce 9 janvier, c'est titubant que je pousse la porte d'entrée de cette clinique qui sera mon refuge pour les trois semaines à venir.
À l'heure où j'écris ces mots, voilà plus de trois ans que je n'ai pas touché à une goutte d'alcool, cette drogue dure dont la dépendance, une fois installée, est plus forte encore qu'à l?héroïne. Ce doux poison que l'on peut se procurer à chaque coin de rue, dans chaque bistrot ou chaque épicerie et qui tue chaque année 45.000 personnes en France.
Ce journal intime composé d'impressions, d'instantanés, de formes plus ou moins abstraites traduit un état d'être ambivalent, entre force et fragilité, entre fierté et honte, un univers où les tentations sont telles des bêtes sauvages tapies dans l'ombre et prêtes à vous sauter à la gorge. Le manque est là, plus ou moins gérable d'un jour à l'autre, comblé par une batterie de médicaments dont il est tout aussi difficile de se départir.
L'arrêt de l'alcool transforme une vie. Le rapport au monde, à son corps, aux autres et au temps n'est plus le même : toute la structure de l'existence est ébranlée et trouver un moyen de combler le vide laissé n'est pas chose aisée. Ce qui a motivé ce geste tient en un mot : « alcool » qui, en arabe, peut être traduit par « le menteur » ou bien « le voile ». J'ai fait le choix de lever ce voile.
ETHANOL/BZD
It is by getting drunk on all the bottles I had scattered here and there in the family apartment that I had given myself the courage to face this day. I was prepared for it, the date had been fixed for months. It seemed distant, indistinct, like a vague mirage that would never happen anyway. But that day arrived, that beautiful winter Wednesday with a dry cold and a sun so hard that it revealed my state of inebriation in all its violence and cruelty. On that January 9th, I staggered through the front door of the clinic that would be my refuge for the next three weeks.
As I write these words, it's been more than three years since I've touched a drop of alcohol, this hard drug whose dependence, once established, is even stronger than heroin. This sweet poison that can be found on every street corner, in every bistro or grocery store and that kills 45,000 people in France every year.
This diary, composed of impressions, snapshots, and more or less abstract forms, translates an ambivalent state of being, between strength and fragility, between pride and shame, a universe where temptations are like wild beasts lurking in the shadows and ready to jump down your throat. The withdrawal is there, more or less manageable from one day to the next, filled by a battery of drugs that are just as difficult to get rid of.
Stopping drinking transforms a life. The relationship to the world, to one's body, to others and to time is no longer the same: the whole structure of one's existence is shaken and finding a way to fill the void left is not an easy task. What motivated this gesture is one word: "alcohol" which, in Arabic, can be translated as "the liar" or "the veil". I made the choice to lift this veil.