HECHO EN BARRIO // FABRIQUÉ AU QUARTIER
Le quartier, on y est né, ou on a atterri là. C'est un territoire vivant, on parle avec ses voisins, on prend le temps. La vie n'y est pas toujours simple, mais on aime profiter du moment présent et de la vie en général. Des enfants jouent dans la rue, des jeunes se retrouvent sur la place. Il y a des petits commerces un peu partout. La jeunesse est le plus souvent livrée à elle-même et s'éduque dans la rue. Même si c'est souvent la galère, on se soutient au quotidien entre voisins, amis, famille ou membres d'une même bande. Qu'on vive à San Luis Potosí ou ailleurs au Mexique, les problématiques sont souvent similaires.
Sur la place, la bande a grandi ensemble. Elle s'identifie avec un nom, ainsi qu'avec un numéro. Ces jeunes aiment se retrouver dans la rue, au pied d'une fresque représentant une icône religieuse ou le nom de leur bande. Ils peuvent avoir des gestes spécifiques de la main, signes d'appartenance au groupe. Les tatouages sont également très populaires. Ils sont le récit de la vie de la personne, en perpétuelle écriture, mais aussi leur oeuvre d'art personnelle. Ces derniers, tout comme l'apparence vestimentaire, sont cependant sujets à de nombreuses discriminations, les condamnant à être des citoyens de seconde zone.
Avec la bande, on partage les meilleurs moments, mais aussi les pires. La drogue, dans tous ses états, peut être un mode d'expérimentation de la vie. Cannabis, crack, crystal meth, cocaïne, ecstasy, LSD, colle, peinture, solvant pur ou parfumé à la mangue, à la fraise... La bière se boit par bouteille d'un litre et se partage à plusieurs. Il est interdit de consommer de l'alcool ou des drogues sur la voie publique, alors il faut se méfier de la police qui profite de son pouvoir pour extorquer de l'argent. Les agents peuvent aussi s'avérer violents envers cette « vermine » qui traîne dans les rues. La drogue fait beaucoup de morts, dans tout le pays. Cette économie mondiale, gigantesque et complètement souterraine a des conséquences énormes sur la vie dans les quartiers.
A San Luis Potosí, comme ailleurs dans le pays, le nombre d'homicides a explosé depuis une dizaine d'années, chacune étant pire que la précédente. On vit aujourd'hui dans une peur quotidienne. On peut lire chaque jour dans le presse le nombre de morts de la veille illustré par des photos trop explicites. Le crystal meth, qui a pour conséquence un désastre social et de santé publique, est aussi visé par certains groupes du crime organisé. Qu'on soit vendeur ou consommateur, on est maintenant une cible. 2020 a été l'année la plus sanglante au Mexique avec plus de 36 000 homicides recensés, soit environ 100 morts violentes par jour au niveau national. Les féminicides deviennent malheureusement également de plus en plus fréquents.
La jeunesse est une proie facile, en première ligne. Un cartel peut proposer un poste bien rémunéré, mais si le jeune accepte ou doit accepter, la fin s'avère, dans la majeure partie des cas, rapidement tragique. De la chair à canon, juste pour du fric, du pouvoir... Souvent peu visible, parfois ostentatoire, le crime organisé est pourtant bien présent. Une grande partie de la drogue destinée aux États-Unis transite par le Mexique. Les groupes du crime organisé sont nombreux et font preuve d'une violence inouïe et barbare. Pour exemple, San Luis Potosí, capitale d'un petit état du même nom, compte plusieurs cartels, comme le Cartel del Noreste (ex-Zetas), le Cartel du Golf, le Cartel de Jalisco Nueva Generación (CJNG), ceci ayant pour conséquence des dommages collatéraux considérables pour la société civile. On retrouve des corps sur des terrains vagues, ou abandonnés dans la rue ou sur le lieu-même du crime. Parfois, une balle dans la tête ne suffit pas. On retrouve des corps démembrés, dépecés, entassés, souvent avec des messages expliquant pourquoi ils ont été « sanctionnés » de la sorte.
Au quartier, nombreux sont les règlements de comptes pour défendre ou conquérir un territoire, garder et imposer un point de vente, au nom du capitalisme sous-terrain. Ces derniers étaient auparavant indépendants et libres. Aujourd'hui ils sont sous l'autorité de groupes du crime organisé. Et puis, entre bandes, on peut aimer se provoquer et se chamailler, montrer qu'on est les plus forts, qu'on a le pouvoir, le contrôle de la zone et ce dès le plus jeune âge et en héritant de différends de générations antérieures. Parfois, les bagarres dégénèrent. Quelqu'un peut perdre la vie à cause de machettes, pétards, pistolets ou d'un coup mal placé. Parfois, on peut recevoir une balle perdue.
Malgré un quotidien fragile, on tient bon. La Vierge de Guadalupe est la mère protectrice. Il y a aussi celle de San Juan de los Lagos, réputée pour ses nombreux miracles. Beaucoup vont lui rendre visite chaque année dans l'Etat de Jalisco, à pied ou par tout autre moyen de transport. San Judas Tadeo, le saint patron des causes difficiles ou perdues, est présent dans tous les quartiers. Il y a aussi la Santa Muerte, cette divinité maline qui protège et décide d'ôter la vie. L'année est rythmée par de nombreuses fêtes religieuses, fondamentalement importantes pour toutes et tous. Certains peuvent aussi se rapprocher des croyances ancestrales. De plus en plus de bandes vont en dehors de la ville dans le désert pour consommer le peyotl lors de cérémonies, un cactus sacré aux effets psychotropes. Ils invoquent Kauyumari, l'esprit du cerf bleu, qui selon la tradition huichole, culture préhispanique présente dans le centre du pays, a permis au soleil de se lever de nouveau et de sauver l'humanité de l'obscurité en se sacrifiant lui-même.
Avec la bande, on aime bien le sport, pour s'entretenir et aussi pour se changer les idées. Le foot est le plus populaire, la boxe souvent pratiquée. La culture hip hop est aussi très en vogue. Et on aime danser, particulièrement sur de la cumbia, une musique rythmée d'accordéon et de percussions. Les bandes se retrouvent les week-ends à des « bailes », des soirées festives et dansantes animées par un DJ. Celui-ci annonce au micro avec un effet d'écho les noms des différentes bandes et de leurs membres sur de la cumbia. Le résultat de cette composition s'appelle le Wepa. Chaque année, les bandes invitent un « sonidero » au quartier pour célébrer leur anniversaire. On bloque la rue, on pose du son. D'autres bandes sont invitées et on s'y retrouve pour danser, boire et fumer.
La vie de bande, c'est aussi un moment de la vie. On la commence jeune, parfois dès l'enfance. On grandit avec pendant l'adolescence jusqu'à devenir un adulte. On prend ses distances avec l'âge, quand la nécessité de travailler pour subvenir aux besoins de sa famille et d'avoir une vie plus saine se fait ressentir. Cette jeunesse survit le plus souvent de petits boulots informels dans la rue, dans le commerce ou de petits services. L'économie informelle au Mexique représente plus de 50% des actifs et plus de 20% du PIB. C'est délicat de trouver un travail légal quand on a des tatouages et qu'on vient d'un milieu populaire. Il n'est jamais impossible de s'en sortir. Les pièges sont nombreux, il ne faut jamais baisser sa garde. Mais on peut réussir.
HECHO EN BARRIO // MADE IN THE NEIGHBORHOOD
You are either born in the neighborhood, or you end up here. It's a living, breathing community; you chat to your neighbors and take your time doing things, like shopping in the many small businesses that are found all over the place. Life is not always easy and whether you live in San Luis Potosí or elsewhere in Mexico, the problems are usually similar. Still, people enjoy living in the moment and life in general; children play in the streets and young people meet in the local town square, mostly left to their own devices, and educate themselves on the streets. Even though life is often difficult, neighbors, friends, family, or members of the same gang, all support each other daily.
In the neighborhood square, the gang grows up together. Its members are identified with a name and a number, and they each have specific hand gestures, signs of belonging to the group. These young people are often found hanging out in the streets, at the foot of a fresco for instance, which may either depict a religious icon or the name of their gang. Tattoos are also very popular: the permanent writing not only tells the story of the member's life but is also their own personal artwork. The tattoos, however, as well as the clothes the members wear, are subject to discrimination, condemning them as second-class citizens.
In the gang, the best of times are shared, but so are the worst. Drugs, in all its states, such as cannabis, crack, crystal meth, cocaine, ecstasy, LSD, glue, paint, solvent that can be pure or with mango or strawberry flavors, can all be ways of experimenting with life. Beer is drunk in a one-litre bottle and is shared between the group. As it's illegal to drink or use drugs in public, you must be wary of the police, who can be violent towards this "vermin" who hang out in the streets, and often use their power to extort money. Drugs take many lives across the country and this huge, global, completely underground economy has a massive impact on the lives in the neighborhoods.
In San Luis Potosí, as elsewhere in the country, the number of homicides has exploded over the past ten years, with each one being worse than the last. People live in constant fear. Every day, the number of deaths from the previous day is printed in the press, along with extremely explicit pictures. Crystal meth, which is both a social and public health disaster, is also targeted by some organized crime groups. Whether you are a seller or a consumer, you are now a target. 2020 was the bloodiest year in Mexico so far, with more than 36,000 homicides recorded, or about 100 violent deaths per day nationally. Femicides are also sadly becoming more and more common.
Moreover, young people are an easy target on the front line. A cartel can offer a well-paid job, but if a young person accepts or has to accept, the end, in most cases, quickly becomes tragic. They are considered as mere cannon fodder, just for money, for power. Often barely visible, yet sometimes right in front of you, organized crime is very present, with most of the drugs destined for the United States going through Mexico. Many organized crime groups are incredibly violent and cruel. For example, San Luis Potosí, capital of a small state of the same name, has several cartels, such as the Cartel del Noreste (ex-Zetas), the Gulf Cartel, and the Cartel de Jalisco Nueva Generación (CJNG), resulting in significant collateral damage to civil society. Bodies are found on vacant lots, abandoned on the street or at the crime scene itself. Sometimes a bullet to the head is not enough; bodies are found piled up, dismembered, and skinned, often with messages explaining why they have been "punished" in this way.
In the neighborhood, many scores are settled to defend or conquer a territory, as well as to keep and set up drug-dealing spots in the name of underground capitalism. The street gangs used to be independent and free. Now, they are under the authority of organized crime groups. Within a gang, the members like to provoke each other and argue amongst themselves to show who is the strongest and who has the power and control of the area. This all starts from an early age due to inherited conflicts and disputes, which are passed down from previous generations. Sometimes fights get out of hand and lives are lost because of machetes, firecrackers, guns, a misplaced blow, and stray bullets.
Despite an unpredictable daily life, people stay strong. Our Lady of Guadalupe is revered as their protective mother, as well as Our Lady of San Juan de los Lagos, famous for many miracles. Thousands of people visit the statue in the state of Jalisco every year, either by walking or by other means of transport. San Judas Tadeo, the patron saint of difficult or impossible causes, can be found in all the neighborhoods. There is also the Santa Muerte, a jealous deity who offers protection and who decides when your time is up. The year is filled with many religious feasts, which are fundamentally important for everyone. Some may also draw close to ancestral beliefs. More and more gangs leave town for the desert to consume peyote during ceremonies, a sacred cactus with psychotropic effects. Once there, they invoke the spirit Kauyumari, also known as Blue Deer, who according to the Huichol, a pre-Hispanic, indigenous people living central Mexico, allowed the sun to rise again and save humanity from the darkness by sacrificing himself.
The gang enjoys sports, both to socialize and to keep their minds off things. Football is the most popular sport, as well as boxing which is often practiced. Hip hop culture is very popular too, and the gang likes to dance, especially to cumbia, a rhythmic music featuring instruments such as the accordion and drums. On weekends, the gangs meet at bailes, festive and dancing evenings hosted by a DJ, who announces through a microphone with an echo effect the names of the different gangs and their members to cumbia music. The result of this composition is called a Wepa. Each year, the gang invite a sonidero to the neighborhood to celebrate their anniversary, blocking off the streets and setting up the sound. Other gangs are also invited, and they all meet there to dance, drink and smoke.
Gang life is a moment in one's life. It starts young, sometimes in childhood and continues through to adolescence and up until adulthood. Whereas the older gang members tend to distance themselves from the gang as the need to work to support a family and lead a cleaner life become higher priorities, the younger members usually survive thanks to small, informal jobs on the street, in small shops or by offering small services. In fact, Mexico's informal economy accounts for more than 50% of its employment and more than 20% of its total GDP. Whilst it is difficult to escape gang life and find legal work when you have tattoos and come from a working-class background, it is never impossible. Yes, there are many obstacles, and you must be careful to never let your guard down. But you can do it.