In Memoriam Mehdi
Marseille, 14ème arrondissement, cité Maison Blanche.
Dans cette copropriété délabrée, les murs parlent.
La colonne de fumée qui s'était imprimée sur une rangée de balcons allant du 4ème au 12ème étage suite à un incendie en août dernier a été repeinte. Pas les balcons d'à côté. Ineptie des bailleurs ou cynisme des assureurs? Visiblement, la mairie s'en lave les mains.
Les derniers locataires sinistrés viennent juste d'être relogés cette semaine.
Mais ici, on n'est pas à un malheur près: au rez-de-chaussée, sur les murs gris, des tags ont fleuri et essaimé jusqu'aux boulevards environnants: «RIP Mehdi», ou encore «Repose en paix».
Mehdi, 18 ans, a été abattu sans sommation par un équipage de la BAC ce 14 février aux Maronniers, cité située à moins de 3km du quartier.
L'adolescent avait grandi à Maison Blanche; un collectif d'habitants a appelé à une marche ce 22 février en direction des lieux du drame.
Vers 11 heures, une banderole apparaît avec inscrits ces trois mots: «Justice pour Mehdi».
Les ami.e.s, voisin.e.s et soutiens constituent le gros d'un cortège de 250 personnes qui s'élance en silence.
Aucune vélléité anti-policière, personne pour clamer «pas de justice, pas de paix», ni «la police assassine, la justice acquitte». Au terme de la marche, il n'y aura pas de prise de parole nomplus.
Personne ne s'exprimera en lieu et place de la famille partie la veille enterrer le corps de la victime au pays.
L'heure est au deuil et au recueillement.
Au pied d'un bâtiment cité des Maronniers, une dame rentre des courses chargée. Un homme lui tient la porte d'entrée. En apparté, les deux personnes échangent brièvement:
- « Que se passe-t-il? Pourquoi tant de monde?
- C'est une marche pour le jeune tué la semaine dernière.»
-
Nos enfants on les élève jusqu'à 18 ans, après, ils nous les abattent! »
Les mots d'une mère.
Une prière.
Inna lillahi wa inna ilayhi raji3oun.
Et des roses blanches pour accompagner le défunt.
Malgré le silence observé durant la marche, les regards sont éloquents, partagés entre tristesse, désarroi et colère sourde. La confusion demeure quant aux raisons de la mort du jeune Mehdi. Un braquage, une course-poursuite, une arme à feu...
Les agents de la BAC étaient-ils en situation de légitime défense au moment où ils ont fait feu?
Les propos relayés par la préfecture de police et ceux des témoins résidant aux Maronniers divergent.
La presse quotidienne régionale, soucieuse de ne pas se brouiller avec sa principale source d'information, a relayé la parole de la préfecture sans discernement.
Comme dans chaque affaire de violences policières, dans une méthodologie éculée depuis 50 ans, la victime a été criminalisée sans autre forme de procès: «un braqueur a été abattu». L'affaire est traîtée sous l'angle des faits divers. Ou comment désolidariser l'opinion publique des familles de victimes. Au poids du deuil s'ajoute celui de l'outrage et de la diffamation. Une fois cette forme de verdict initial énoncé dans la presse, peu de familles trouvent la ressource pour se porter partie civile.
Les policiers impliqués dans ces décès, quant à eux, semblent évoluer dans un climat d'impunité; ils sont peu inquiétés par la justice et ne sont pas suspendus de leur fonction durant leur instruction, si elle a lieu.
Pour rappel, en 2019, 26 personnes sont mortes suite à intervention policière, 28 en 2018 et 36 en 2017. 2017 marquant un tournant avec le passage de la loi du 28 février élargissant le spectre de la légitime défense à la police nationale. Les syndicats de police nient avoir un recours accru aux armes à feu depuis ce vote.
Dans 77% de ces interventions, les personnes tuées n'étaient pas armées (ni arme à feu ni objet tranchant). Lorsque les forces de l'ordre ouvrent le feu, c'est en majorité contre des personnes désarmées (dans 57% des cas).*
Outre les chiffres subsiste un malaise lancinant: la place d'un minot de 18 ans grandi dans les quartiers Nord de la ville est-elle au cimetière?
Les habitants de Maison Blanche gardent toutefois confiance. Ils espèrent que la vérité émergera au terme d'un procès et que justice sera rendue dans un tribunal.
Pas dans la rubrique faits divers des journaux ni au pied de l'escalier où Mehdi a rendu son dernier souffle.
*
source: Bastamag «Légitime défense ou homicides injustifiés: 676 personnes tuées à la suite d'une intervention policière en 43 ans». Article en date du 19 décembre 2019.
In Memoriam Mehdi
Marseilles, 14th district, cité Maison Blanche.
In this dilapidated building, the walls speak for themselves.
The column of smoke that had imprinted itself on a line of balconies from the 4th to the 12th floor following a fire last August has been repainted. Not the balconies beside it. Lessor naivety or insurance cynicism? Obviously, the town hall is washing-up its hands of it.
The last of the affected residents were just relocated this week.
But here, we are not one step away from disaster: on the ground floor, on the grey walls, tags have bloomed and spread to the surrounding boulevards: "RIP Mehdi", or "Rest in Peace".
Mehdi, 18 years old, was shot without summons by a crew of the Brigade Anti Criminality on February 14 at Les Maronniers, a district located less than 3 km from the neighborhood.
The teenager had grown up in Maison Blanche; a group of residents called for a white march on February 22 towards the scene of the tragedy.
Around 11 a.m., a banner appeared with the three words: "Justice for Mehdi".
Friends, neighbours and supports form the main part of a procession of 250 people who set off in silence. No anti-police message, no one to proclaim "no justice, no peace", nor "the police kill, the justice acquits". At the end of the march, there will be no more speeches.
No one will speak in stead of the family that left the day before to bury the body of the victim in the country.
This is a time for mourning and remembrance.
At the bottom of a building cited by the Maronniers, a lady is returning from shopping, loaded with groceries. A man holds the front door for her. On the side, the two people exchange in a concise way:
- "What's going on? Why so many people?
- It's a march for the young man killed last week."
-
Our children we raise them until they're 18, then they shoot them! »
A mother's words. A prayer. Inna lillahi wa inna ilayhi raji3oun. And white roses to accompany the one who died.
Despite the silence observed during the walk, the eyes are eloquent, divided between sadness, disarray and deaf anger. Confusion remains as to the reasons for the young Mehdi's death. A robbery, a chase, a gun...
Were the BAC agents in self-defence when they fired?The statements relayed by the police prefecture and those of witnesses residing at the Maronniers differ.
The regional daily press, a careful not to blur with its main source of information, relayed the prefecture's words blindly.
As in every case of police violence, in a methodology that has been out of date for 50 years, the victim was criminalized without any other form of trial: "a robber was shot". The case is dealt with from the point of view of miscellaneous facts. Or how to dissociate public opinion from the families of victims. In addition to the weight of mourning, there is also the weight of insult and defamation. Once this form of initial verdict has been reported in the press, few families find the strength to bring civil action.
As for the police officers involved in these deaths, they seem to operate in a climate of impunity; they have little to worry about justice and are not suspended from duty during their investigation, if it takes place at all.
As a reminder, in 2019, 26 people died as a result of police intervention, 28 in 2018 and 36 in 2017. 2017 marked a turning point with the passage of the law of 28 February extending the spectrum of self-defence to the national police. Police unions deny that there has been an increase in the use of firearms since this vote.
In 77% of these interventions, those killed were unarmed (neither firearms nor knives). When the police opens fire, it is mostly against unarmed people (in 57% of the cases).*
In addition to the figures, there is a nagging unease: is the place of an 18-year-old boy grown up in the northern districts of the city in the cemetery?
The Maison Blanche residents remain confident. They hope that the truth will emerge after a trial and that justice will be done in a court of law.
Not in the miscellaneous section of the newspapers or at the foot of the stairs where Mehdi drew his last breath.
*
Source: Bastamag "Self-defence or homicides: 676 people killed as a result of police action in 43 years". Article dated 19 December 2019.