Syrie - Le calvaire
Je fus invite en Syrie par des membres de l'Armée Syrienne Libre (ASL). Ils voulaient que quelqu'un documente le calvaire que la population locale vivait sous les attaques des forces syriennes et leurs conditions de vie devenues désastreuses suite aux ruptures d'approvisionnement et à la disparition des services de base. Deux années ont passé depuis que l'ASL m'a guidé autour d'Alep et d'Idlib pour témoigner des horreurs que les civils endurent et des efforts que l'ASL fournissaient afin de garder un peu de cohésion sociale malgré les affres de la guerre. Depuis lors, les choses n'ont fait qu'empirer et les efforts courageux de créer une force nationale d'unité contre la brutalité et l'oppression se sont vite dissouts face à l'avènement de l'Etat Islamique et les attaques constantes des forces militaires d'Assad. Ces photos ont été prises fin 2012, début 2013.
Avec cet essai photographique, je veux montrer les conditions de vie catastrophiques de la population civile syrienne dans les campagnes autour d'Idlib et dans la ville d'Alep. En Syrie, la guerre civile entre maintenant dans sa cinquième année et le scénario qui m'a sauté aux yeux il y a deux ans n'a fait que se dégrader. La population est toujours sous la menace constante des bombardements que les avions de l'armée syrienne mènent sans discrimination. Les Syriens luttent toujours pour mettre la main sur des provisions basiques. Les soins de santé sont peu disponibles et tous les services sont toujours à l'arrêt. La seule différence, c'est que le pays est dans un état d'isolement plus grand encore avec l'arrivée de l'Etat Islamique.
C'est pour répondre à l'appel désespéré de ceux qui se sentaient laissés pour compte que je suis entré en Syrie la première fois. Je tairai les noms et les lieux exacts afin de préserver ceux qui m'ont invité dans leur calvaire.
Ces gens-là se sentaient abandonnés par les médias internationaux qui semblaient être attirés uniquement par le sensationnalisme de l'immédiat et la mort violente de combattants et de civils, le tout au milieu d'un conflit sanglant et inégal qui a déjà pris plus de 200.000 vies. Là, il n'y avait ni corps éparpillés, ni civil abattu par les snipers alors qu'il tentait de retrouver les corps de ses parents blessés. Non, là, il n'y avait que la lente agonie de millions de civils pris au piège dans leur vie, leurs besoins les plus essentiels n'étant plus assouvis parce que la chaîne d'approvisionnement avait été rompue par les forces d'Assad. Les gens à Alep étaient fatigués des journalistes assoiffés de sang qui valsaient sur les lignes de front cherchant des images de guerre prêtes à exciter la sensibilité anesthésiée des téléspectateurs et ignorant complètement la tragédie que vivaient les civils au quotidien. Lors d'un passage éclair sur les lignes de front de la vieille ville d'Alep, j'ai trouvé deux journalistes coiffés de casques militaires et habillés de gilets pare-balles alors que quand je me suis promené en voiture ou à pied dans les rues d'Alep je n'avais pas trouvé d'âme journaliste qui vive. C'était comme si cet état d'urgence échappait à l'attention du monde. Si l'on en croit les dernières statistiques produites par les rares organisations humanitaires encore sur place, ce scénario tragique n'a fait que s'aggraver avec l'arrivée de l'Etat Islamique.
Les conditions de vie des habitants d'Alep étaient encore pires que celles que j'avais imaginées avant mon arrivée. Dans la campagne, les tensions causées par les conditions précaires sont en quelque sorte atténuées par la nature et tout ce qu'elle a à offrir en termes de ressources mais aussi de spiritualité. En ville, la densité de population grandissante aggravait la situation : c'est 5 à 10 fois plus de personnes mais aussi 5 à 10 fois plus de pauvreté et de misère agglutinées dans certains quartiers. Les denrées et les vivres les plus simples étaient devenus un luxe.
Vision d'apocalypse... Ce jour-là il faisait froid et pluvieux, les images n'en paraissaient que plus catastrophiques. Une ironie complète puisque des jours comme ceux-là étaient des jours où les habitants d'Alep pouvaient se reposer un peu des bombardements puisque les avions ne volaient pas quand le ciel était trop couvert. Les missiles et les tirs au mortier pouvaient toujours être utilisés par contre, et ils le furent... Et puis, encore et encore les mêmes scènes : montagnes de déchets, bois coupé, barils de carburant, boue, marché noir et destructions. Au milieu de tout cela, des gens exténués erraient comme perdus dans un cauchemar.
Nous passions les nuits dans un centre de presse où les journalistes travaillaient jour et nuit pour rassembler et transmettre les informations sur les atrocités commises par les forces gouvernementales et les conditions de vie pitoyables. Mais tout ceci semblait tomber dans l'oreille d'un sourd, au milieu d'une presse discréditant plus volontiers une révolution populaire au moyen de clichés et de stéréotypes contre les Arabes. Nous sommes encore enclins à dépeindre tous les Arabes de la même façon qu'Hollywood le fait déjà depuis presqu'une centaine d'années : des extrémistes religieux brutaux capables de toutes sortes d'atrocités pour Allah. Les amalgames et les stéréotypes comme ceux-ci nous empêchent de voir le rôle que des principes importants de la religion musulmane ont joué dans la révolution : la bonté, l'hospitalité et la compassion. Quelques communautés syriennes se rassemblaient pour payer les frais de cette guerre et donner à leurs enfants une éducation, à leurs rues une gestion des déchets et à leurs malades des soins de santé primaire. Pourquoi rien de cela n'était jamais montré ?
Cet essai photographique veut mettre l'accent sur les épreuves et la terreur que vivent toujours les Syriens au quotidien.
The Plight of Syria
The purpose of this photo essay is to show the calamitous living conditions of Syrian civilians in Aleppo and the Idlib countryside. The Syrian civil war has now completed its fourth year and the same scenario I encountered two years ago has only gotten worst. The population still suffers the threat of indiscriminate bombings carried out by Syrian army planes, they still struggle to find the most basic provisions, health care is scarce if available at all, and all services are still cut, the only difference is that the country is even more isolated with the suspicious advent of the Islamic State.
The first time I went into Syria I was heeding a desperate call for help from a people that felt neglected by the world, I will not mention exact location names to preserve the people I was called in by.
These people felt abandoned by an international media that seemed to be interested only in sensationalistic news that covered the immediate and violent deaths of fighters and civilians in a bloody and uneven armed conflict that has claimed the lives of more than two hundred thousand thus far. There, there were no bodies strewn across the street, no civilians shot by snipers as they tried to retrieve the bodies of their injured relatives, there was only the slow agonizing death of millions of civilians that suffer the hardship of a life deprived of the most basic needs and comforts due to supply cuts brought on by Al Assad's forces. People in Syria had grown weary of blood thirsty journalists that waltzed in and out of front lines looking for war action stories that would excite TV viewers' numbed sensitivity, ignoring completely the tragedy of civilians' living conditions. During a brief visit to the front lines in old Aleppo I found two journalists with their military helmets and their bulletproof vests, while during the whole time I spent driving and walking around Aleppo I did not come across one single foreign journalist documenting the reality of the population. This state of emergency seemed to escape everyone's attention, according to resent statistics retrieved by humanitarian organizations inside the country, this sad scenario has only become more dire with the advent of the Islamic State.
The living conditions of civilians in Aleppo far exceeded what I had imagined I would find there. In the country side the tensions caused by precarious living conditions are buffered to some extent by nature and all it has to offer in terms of resources and spiritual refuge. In a city the situation is aggravated by high population density, the agglomeration of misery increases from five to tenfold depending on the neighborhood, making the most basic resources and provisions a luxury.
It was an apocalyptic sight. It was a cold and rainy day that only made a catastrophic situation seem even worse, it's ironic because days like those gave Aleppeans some relief from the bombings, airplanes didn't fly when it was overcast, they could still use mortars and missiles none the less and did. The same scenes were repeated over and over again; piles of garbage, cut down trees, fuel barrels, black market, mud and destruction and ragged people roaming in the midst of it all as if lost inside a nightmare.
We spent the nights at a media center where journalists worked around the clock to collect and divulge information about the atrocities committed by government forces and the calamitous living conditions of civilians, this information however, seemed to fall on the deaf ears of a media set on discrediting a popular revolution with archaic discriminatory clichés against Arabs. We're still intent on portraying all Arabs like Hollywood has done for nearly one hundred years; like extremist religious brutes that will perform any kind of atrocity for Allah. Generalizations and stereotypes such as these keep us from seeing what an important role Islamic principle has played in this revolution, notions such as beneficence, hospitality and compassion. Some Syrian communities came together to endure the brunt of this war and to provide their children with education, waste management for their streets in order to reduce the risk of diseases, basic health care for the population and the charity networks I've mentioned prior. Why isn't any of this being shown? This photo essay is an attempt at shedding a light on the hardship and the terror endured by Syrian civilians.