PARADIS MALGRÉ LA TUNISIE
A 75 ans, elle devrait mener une vie paisible, mais Jenaina s'est vu refuser ce luxe et continue à travailler dur pour survivre.
Elle était presque un bébé quand elle s'est mariée à l'âge de 15 ans, puis devenue veuve à 23 ans, pour se trouver seule à élever ses trois petits enfants.
Après la mort de son mari, pour subvenir aux besoins de ses deux filles et de son fils, elle a dû travailler dur pendant de nombreuses années comme agent de nettoyage intérimaire dans plusieurs sociétés de transport public.
En Tunisie les agences d'intérim sont connues comme des 'hors-la-loi' dans le marché du travail. Ces acteurs du secteur du travail temporaire ne respectent pas la législation. Ainsi, les demandeurs d'emploi sont surexploités, non déclarés, ils ne sont même pas affiliés au système de sécurité sociale et parfois menacés.
Jenaina a été l'une des 'proies' de ces 'hors-la-loi' qui ne lui ont pas versé l'intégralité de son droit aux cotisations de sécurité sociale. Aujourd'hui elle se retrouve sans protection sociale ni pension de retraite.
Elle souffre d'une maladie respiratoire et de douleurs aux genoux. Cependant, cela ne l'a pas empêchée de parcourir plusieurs kilomètres, pendant de longues heures, chaque jour ou presque pour ramasser les bouteilles en plastique qu'elle vend aux intermédiaires des centres de recyclage contre des miettes.
La collecte du plastique est sa principale source de revenu, mais elle survit aussi grâce aux petites aides qu'elle reçoit occasionnellement avec noblesse de la part des bienfaiteurs. Elle préfère continuer à travailler dur, tout en préservant sa dignité, plutôt que de mendier dans la rue.
Jenaina vit avec sa fille Radhia dans un logement social au quartier sensible de Hay Nassim (en arabe : quartier de la brise) situé à 10 km de la capitale Tunis. Le quartier est connu par ses habitants qui collectent aussi les déchets plastiques.
Radhia, 50 ans, est au chômage, handicapée d'une jambe et souffre de douleurs cardiaques après avoir fait un infarctus. Son handicap lui permet de recevoir mensuellement 180 dinars tunisiens (un peu moins de 60 Dollars) comme aide sociale de l'état tunisien, mais qui ne suffisent même pas à acheter ses médicaments.
En tant que 'barbacha' en arabe, la personne qui fouille les ordures à la recherche de vieilles choses, Jenaina n'est pas tellement consciente de son importance dans le processus de recyclage des déchets plastiques pour la protection de l'environnement.
Elle n'est pas non plus consciente des dangers qu'elle court en ramassant les déchets plastiques dans les poubelles et dans les décharges ouvertes éparpillées dans les rues. L'asthme dont elle souffre serait probablement causé par le travail qu'elle fait.
Pour atteindre les rues et les ruelles à la recherche de bouteilles en poussant son vieux chariot qu'elle appelle avec humour " ma Mercedes " (la marque de voiture), Jenaina prend un raccourci dangereux au bord d'une autoroute, au risque de se faire renverser par une voiture.
" Les politiciens ont apporté la drogue aux jeunes, ils ont détruit le peuple. Les jeunes sont dévorés par la mer, l'Etat n'existe plus. Si nous pouvions fuir, nous le ferions car nous sommes devenus des réfugiés comme en Ethiopie ", a dit Jenaina, décrivant avec rage et lucidité la situation difficile de la Tunisie post-révolution.
Jenaina conseille aux politiciens de laisser en paix la Tunisie, qui selon elle, a beaucoup souffert à cause d'eux pendant 8 ans depuis la chute du régime dictatorial de l'ancien président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali.
Comme beaucoup de Tunisiens dont la situation économique s'est détériorée après la révolution de 2011, elle regrette encore l'ère du dictateur Ben Ali, qui selon elle, faisait des visites inopinées aux marchés de légumes et ordonnait aux vendeurs de baisser les prix pour permettre aux gens de manger.
Exprimé en colère, son conseil au peuple tunisien c'est de ne plus voter pour les hommes politiques, car selon elle, ils n'ont rien apporté de mieux au bien-être du citoyen. Quant aux jeunes, elle leur conseille de s'éloigner de la drogue, de l'alcool et d'essayer de travailler dignement au lieu de passer de longues heures au café du quartier.
Malgré tout ce qu'elle endure à son âge, elle est un exemple d'espoir, de courage et aussi un exemple à suivre pour les jeunes, qui selon elle, ils ne respectent plus la valeur du travail.
Jenaina rêve de faire la Oumra (une forme de pèlerinage islamique à la ville sainte de la Mecque en Arabie Saoudite) pour la deuxième fois. Sa première Oumra lui a été offerte il y a des années par une association caritative.
Elle rêve même de vivre dans la ville sainte pour nettoyer la Kaaba (un lieu sacré au centre de la plus importante mosquée de l'Islam, la Grande Mosquée de la Mecque) pour le restant de sa vie.
Pour elle, la ville sainte serait un paradis, ce qui lui permet peut-être d'échapper à l'épuisement.
Un paradis qu'elle cherche depuis de nombreuses années et qu'elle n'a pas encore trouvé dans sa Tunisie.
Jenaina était le paradis, car selon elle, son nom en arabe signifie aussi paradis. Tunisie, le 23/01/2019
PARADISE DESPITE TUNISIA
At 75, she should lead a peaceful life, yet Jenaina was denied the luxury and continues to work to survive.
She was almost a baby when she was married at the age of 15, widowed at 23, to be alone in raising her three little children.
After the death of her husband, and to provide for her two daughters and her son, she worked hard for many years as an interim cleaning agent in several public transport companies.
In Tunisia, the temporary employment agencies are known as 'outlaws' in the labor market. These actors of the temporary work sector do not respect the legislation. Therefore, jobseekers are overexploited, not declared, they are not even affiliated to the social security system and sometimes threatened.
Jenaina was one of the 'prey' of these ?outlaws? who did not pay her full amount of the social security contributions, today she finds herself without welfare nor retirement pension.
She suffers from a respiratory illness and knee pain. However, that did not prevent her from traveling several kilometers, for long hours, every day to pick up plastic bottles that she sells to the intermediaries of the recycling centers for crumbs.
The collection of the plastic is her main source of income but she also survives thanks to the small helps she receives occasionally with nobility from benefactors. She prefers to continue working hard, while preserving her dignity, instead of begging on the street.
Jenaina lives with her daughter Radhia in a social housing in the sensitive neighborhood of Hay Nassim (Arabic: breeze neighborhood) located 10 km from the capital Tunis. The neighborhood is known by its inhabitants who collect plastic bottles.
Radhia, 50-year-old is unemployed, has a leg disability and suffers from heart pain after having a heart attack. Her handicap allows her to receives monthly 180 Tunisian dinars (60 Dollars) as welfare from the Tunisian state which are not enough even to buy the drugs.
As a 'barbacha' (the person who searches the rubbish for old things), Jenaina is not so much aware of her importance in the process of recycling plastic waste for the environment protection.
She is also unaware of the dangers she faces by collecting plastic waste in garbage cans and in open dumps scattered all over the streets. The asthma she suffers from would probably be caused by the work she does.
In order to reach the streets and alleys looking for bottles while pushing her old cart that she humorously calls 'my Mercedes' (the car brand), Jenaina makes a dangerous shortcut on the edge of a highway, running the risk to be hit by a car.
"Politicians have brought drugs to young people, they have destroyed the people. Young people have been eaten by the sea, the state no longer exists. If we could flee we will, because we have become refugees like in Ethiopia ", Jenaina said while describing with awareness the difficult situation of Tunisia post-revolution.
Jenaina advises politicians to leave Tunisia in peace, which she said has suffered because of them for 8 years since the fall of the dictatorial regime of the former Tunisian President Zine el-Abidine Ben Ali.
Like many Tunisians whose economic situation has deteriorated after the revolution of 2011, she still regrets the era of dictator Ben Ali, who she said used to make unannounced visits to vegetable markets and ordered sellers to lower prices to allow people to eat.
Expressed with anger, her advice to the Tunisian people is to no longer vote for the politicians, because according to her, they did not bring anything better to the well-being of the citizen. As for young people, she advises them to move away from drugs, alcohol and try to work with dignity instead of spending long hours in the neighborhood cafe.
Despite all that she endures at her age, she is an example of hope, courage and also an example to follow for young people who today no longer respect the value of work.
Jenaina dreams of doing Umrah (a form of Islamic pilgrimage to the holy city of Mecca in Saudi Arabia) for the second time. Her first Umrah was offered to her years ago by a charitable association.
She even dreams of living in the holy city to clean up the Kaaba (a holy building at the center of Islam's most important mosque, the Great Mosque of Mecca) for the rest of her life.
For her, the holy city may be a paradise, which perhaps allows her to escape exhaustion. A paradise which she has been looking for many years and has not yet found in her Tunisia.
Jenaina was the paradise, because according to her, her name in Arabic also means paradise. Tunisia, 23/01/2019