Quand Je Serai Jeune
Tous comprendront à quel point ce constat est loin de la réalité. « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait » dit l'adage. Décortiquons-le. En suivant ces dires, la vieillesse possèderait le savoir acquis par l'expérience et la jeunesse se verrait offrir le cadeau de l'action. Cette relation de cause à effet est un crédo à elle seule : plus on grandit, plus on expérimente, plus on expérimente moins on agit. Ce passage à l'âge adulte pourrait être vu alors comme un point de bascule d'un paradis de l'insouciance en train de se perdre, vers un monde d'obligations et de responsabilités qui endigue notre capacité à nous mouvoir. Il serait un zénith, un midi.
La jeunesse, c'est la possibilité de se penser héros romanesque. La vieillesse c'est la contemplation de l'histoire et son jugement a posteriori : ai-je vécu tragédie, comédie ou drame ? Dois-je ranger ma vie dans l'étagère des essais souffreteux ou dans celle des chefs-d'oeuvre ? La vieillesse n'est donc pas une date, encore moins une date de péremption mais le moment du jugement, celui où l'on cesse d'agir, pour comprendre. Rien n'est donc linéaire. Nous pouvons être vieux avant l'âge, être nés posthumes avant le renouveau, avoir une soif de découvrir alors que le crépuscule approche. La vie est une chute, le temps la force motrice de la gravité ; la conscience, la main capable d'interférer dans ce vertige pour dire : « encore une fois ».
Ce récit, c'est l'expérience de ce balancier entre action et savoir vécu par ce groupe d'amis et leur observateur-acteur à l'heure où l'insouciance prend le dessus par la fête, l'alcool, la musique, et ce, pour quelques années. Une parenthèse où on donnerait tout pour être entre « potes » et pour fuir les responsabilités d'une conscience qui nous rendrait inerte. Des moments inoubliables seront dictés par cette folie qui nous pousse au-devant de nos erreurs, de nos récidives qui nous feront vieillir et parfois rajeunir. Ces acteurs romanesques, immortalisés sur argentique ne sont pourtant que des symboles, déjà cités. Il faudra se résoudre à les gommer, à brouiller les pistes, afin qu'ils restent ce qu'ils doivent être : exemplaires mais subjectifs. Ce récit, c'est la caricature de la génération qui est déjà d'hier, et le portrait de celle de demain, portrait qu'un Monsieur Gray peinerait à contempler.
Une langue, c'est une sagesse primale. Un mot, c'est la cristallisation d'une pensée. Un mot c'est aussi une matière vivante dans chaque bouche à même de dépasser ses frontières originelles qui lui incombaient. Le terme « génération », n'échappe pas à cette règle. Sa racine latine « generatio » pourrait signifier aussi bien « reproduction », qu'« engendrement ». S'y trouverait alors ancrés : la reproduction de quelque chose de semblable, mais aussi l'engendrement de quelque chose de nouveau. Il est intéressant d?apercevoir dans cette simple étymologie, l'entièreté du débat actuel autour duquel les sociologues s'écharpent. Pour eux, une génération « est une sous-population d'un âge similaire et ayant vécu la même époque historique et qui partage des représentations et des pratiques ». Elle s'exprime ainsi à la fois dans une filiation avec les générations précédentes ; aussi bien que par opposition à celles-ci. Dans une époque comme la nôtre les différences entre les générations semblent plus opérantes que les différences culturelles et géographiques. Pire, nos fondations semblent plus meubles que jamais. Auparavant, nos aïeux s'en tenaient aux enseignements qu'ils avaient reçu dans leur jeunesse. Aujourd'hui, il faut apprendre tous les jours sous peine d'être démodé. Auparavant, l'accélération qui mettaient des générations à se concrétiser, passe aujourd'hui en un battement de cils. La jeunesse est à la fois semblable et multiple car tous n'ont pas intégré la vitesse du monde au même rythme.
En cela, ces amis sont une caricature d'une génération. Ils s'amusent, font la fête, écoutent les mêmes musiques, sont ouverts sur le monde, ils viennent de plusieurs mondes même ; ils sont la caricature colportée par les médiums de l'information, mais leurs différences et leurs aspirations sont nombreuses, au risque de ne plus se mélanger : entre ceux qui veulent être indépendants et travailler vite, ceux qui veulent de l'argent, ceux qui font le choix de l'art, ou de l'amour... Ne voyez pas en eux des symboles, des idéaux-types, mais des exemples. Ils ne sont pas des océans, mais des gouttes d'eau. Et c'est déjà immense.
« Si c'est trop fort, c'est que vous êtes trop vieux ». Non, cette citation ne s'applique pas à une cadence de coups de bassins, ou au titrage de l'alcool, mais relève du constat de Ted Nugent, « guitar hero » immortalisé parmi d'autres légendes au pinacle de sa discipline. Les goûts musicaux de ce groupe d'amis ont néanmoins désintéressés du sacrosaint Rock-and-Rolls pour se tourner vers la musique électronique ou encore le rap. Autre tempo, mais même philosophie : « consumons la vie par les deux bouts ». Douce musique à nos oreilles que les rires tonitruants d'une soirée à son aube, alors que l'alcool transmute ses degrés en température. Plus moribonde, lorsque ces rires deviennent improvisations musicales jouant des « vomis sur soi » des « sommeils incongrus sur un parking jusqu'au matin » ou autre coup de sang « faisant migrer un barbecue du sol à une rivière ».
« Bitch Drinking », appellation d'origine contrôlée et insulte masquée à une adolescence qui prend au pied de la lettre le supplice de Tantale en changeant l'une de ses variables : l'impossibilité d'étancher sa soif, par la possibilité de dégobiller son saoul. « Pourquoi ? » semble être une question judicieuse. Pourquoi s'empoisonner le sang jusqu'aux extrêmes limites ? Parce que face au défi de devenir humain, préférons devenir bête.
L'alcool n'est qu'une loupe braquée sur l'âme, soulignant l'état mental, intensifiant les joies, les mal-être, la violence enfouie, une métaphore de la vie jusqu'à la mort, moins l'aspect définitif. L'alcool n'est pas le déclencheur, de la même manière que l'arme dans la main du tueur ne peut être tenue pour responsable. Ces excès prouvent simplement que nos poupons sont tiraillés : « J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. Tout menace de ruine un jeune homme : l'amour, les idées, la perte de sa famille, l'entrée parmi les grandes personnes. » Ce que Paul Nizan perçoit dans Aden Arabie, c'est qu'à cet âge, les diktats de la société sont des chaînes, les injonctions des écartèlements.
La science a fait la causalité un zénith indépassable sans en tirer, ou presque, l?entièreté des effets. Le « je », une simplification arbitraire, le chef d'orchestre d'une multitude de voix(es), qu'il faut éduquer pour discipliner le brouhaha. Comment sais-je que je veux ? Que je pense ? Que ce désir m'est propre ? Mes actions sont-elles mes actions ? Suis-je libre ?
Si l'on se saisit au vol de ce mot sublime, la réponse pourrait ne pas nous plaire si nous manquons de rigueur et de patience. Être libre, c'est agir selon les nécessités de sa nature seule, être servile, se laisser contraindre par des causes extérieures. Mais quel surhumain pourrait s'extraire des autres par la simple existence d'une époque qui se nomme enfance ? Qui serait assez grandiose pour n'avoir besoin de personne ? Il faudrait être un Dieu ! Alors la messe est dite ? Adieu liberté, tu ne peux exister pour nous pauvres mortels ! Patience jeunes âmes, quelques espoirs subsistent à l'ombre d'un chêne centenaire.
S'il est vrai qu'une feuille puise son énergie des racines plantées dans le sol, elle le fait également du ciel et de sa lumière pour irradier le reste de l'écorce. Comprendre la généalogie de nos actions, quel professeur parle à travers notre bouche, quel enfant émerveillé ou maussade s'exprime, nous laisserait une fenêtre pour leur retirer pouvoir si nécessaire. Tu seras riche, célèbre, beau, respecté, répètent des dragons aux formes diverses - professeurs, parents, amis... - insufflées par d'autres bêtes encore - travail, famille, patrie...
Dans la maladie du monde, au règne des « tu dois » qui disloquent, substituons-lui le « je veux » ou le « nous voulons » si la musique de l'âme vous sied davantage.
Je suis jeune parce que j'agis et que je souhaite agir. Je suis vieux parce que je souhaite comprendre. Je suis de ma génération car je suis l'arc-en-ciel de mes possibilités. Je me saoule parce que j'ai peur, parce que je doute, parce que je veux retrouver cette candeur primale que j'avais avec mes frères en chantant « on verra bien ». Je travaille à être libre parce que dans ce monde qui m'ordonne, je recule et m'esclaffe. Dans le meilleur des mondes possibles, j'aurai compris ce qui est en moi, j'aurai découvert la fleur d'or que mon âme abrite.
Mais j'ai le temps, nous avons le temps. Alors : encore une fois !
Ensemble, nous avons fait les 300 coups, il nous en reste bien encore 100.
When I Will Be Young
Everyone will understand how far this observation is from reality. "If the young only knew & the old only could ..." says the adage. Let's take it apart. By following these statements, old age would possess the knowledge acquired through experience and the youth would be offered the gift of action. This cause and effect relationship is a credo in itself: the more we grow, the more we experience, the more we experience the less we have the force to act. This transition to adulthood could then be seen as a tipping point from a paradise of recklessness in the process of being lost, towards a world of obligations and responsibilities which limits our ability to move. It would be a zenith, a midday.
Youth is the possibility of thinking of yourself as a romantic hero. Old age is the contemplation of history and it's a posteriori judgment: have I experienced tragedy, comedy or drama? Should I put my life on the shelf of painful essays or that of masterpieces? Old age is therefore not a date, much less an expiry date, but the moment of judgment, the moment when one stops acting, in order to understand. Nothing is therefore linear. We may be old before age, born posthumously before renewal, have a thirst for discovery as dusk approaches. Life is a fall, time the driving force of gravity; consciousness, the hand capable of interfering in this dizziness to say: "once again".
This story is the experience of this balance between action and knowledge lived by this group of friends and their observer-actor at a time when carelessness takes over through parties, alcohol, music, and this for a few years. A parenthesis where we would give everything to be between "friends" and to escape the responsibilities of a conscience that would make us inert. Unforgettable moments will be dictated by this madness that pushes us to face our mistakes, our recurrences that will make us age and sometimes rejuvenate. These romantic actors, immortalized on film, are however only symbols, already mentioned. We will have to resolve to erase them, to muddy the waters, so that they remain what they should be: exemplary but subjective. This story is a caricature of the generation that is already yesterday, and the portrait of that of tomorrow, a portrait that a Mr. Gray would struggle to contemplate.
A language is primal wisdom. A word is the crystallization of a thought. A word is also a living matter in each mouth capable of going beyond its original borders? incumbent on it. The term "generation" is no exception to this rule. Its Latin root "generation" could mean both "reproduction" and "begetting". There would then be anchored in it: the reproduction of something similar, but also the begetting of something new. It is interesting to see in this simple etymology, the entire current debate around which sociologists are wrestling. For them, a generation "is a subpopulation of a similar age and having lived through the same historical period and which shares representations and practices". It is thus expressed both in a filiation with previous generations; as well as opposed to these. In times like ours, the differences between generations seem to be more effective than cultural and geographic differences. Worse, our foundations seem looser than ever. Previously, our forefathers stuck to the teachings they had received in their youth. Today, you have to learn every day or else you will be out of fashion, outdated. Before, the acceleration that took generations to materialize is now a blink of an eye. Youth is both similar and multiple because not all have integrated the speed of the world at the same pace.
In this, these friends are a caricature of a generation. They have fun, party, listen to the same music, are open to the world. They come from different worlds, they are caricatures peddled by the media of information, but their differences and their aspirations are numerous, at the risk of no longer mixing: between those who want to be independent and to work quickly, those who want money, those who choose art, or love ... Do not see in them symbols, ideal types, but examples. They are not oceans, but drops of water. And it's already huge.
"If it's too strong, you're too old." No, this quote does not apply to the rhythmical motion of pelvises, or to the titration of alcohol, but falls under the observation of Ted Nugent, "guitar hero" immortalized among other legends at the pinnacle of his discipline. The musical tastes of this group of friends have nevertheless disinterested the sacrosanct Rock-and-Rolls to turn to electronic music or even rap. Another tempo, but the same philosophy: "let's consume life at both ends". Music to our ears as the thunderous laughter of a dawn evening, as alcohol transmutes its degrees into temperature. More moribund, when these laughs become musical improvisations playing "vomit on oneself", "incongruous sleeps in a parking lot until the morning" or another stroke "making a barbecue migrate from the ground to a river".
"Bitch drinking", controlled designation of origin and masked insult to an adolescence who takes the torture of Tantalus literally by changing one of its variables: the impossibility of quenching its thirst, by the possibility of getting drunk. " Why? Seems like a wise question. Why poison the blood to the extreme? Because faced with the challenge of becoming human, let's prefer to escape reality.
Alcohol is just a magnifying glass focused on the soul, highlighting the mental state, intensifying the joys, the discomfort, the buried violence, a metaphor of life until death, minus the final aspect. Alcohol is not the trigger, just as the gun in the killer's hand cannot be held responsible. These excesses simply prove that our babies are torn: "I was twenty years old. I won't let anyone say this is the best age of life. Everything threatens to ruin a young man: love, ideas, the loss of his family, entry among grown-ups. What Paul Nizan perceives in Aden Arabia is that at this age, the diktats of society are chains, injunctions are being pulled apart.
Science has made causality an unsurpassable zenith without drawing from it, or almost, all the effects. The "I", an arbitrary simplification, the conductor of a multitude of voices, which must be educated to discipline the hubbub. How do I know what I want? What I think? That this desire is unique to me? Are my actions my actions? Am I free?
If we catch hold of this sublime word on the fly, we might not like the answer ... if we lack rigor and patience. To be free is to act according to the necessities of one's nature alone, to be servile, to allow oneself to be constrained by external causes. But what superhuman could extricate himself from the others by the mere existence of an era called childhood? Who would be grand enough not to need anyone? One would have to be a God! So Mass is said? Goodbye freedom, you cannot exist for us poor mortals! Patience young souls, some hopes remain in the shade of a century-old oak tree.
While it is true that a leaf draws its energy from roots planted in the ground, it also does so from the sky and its light to radiate the rest of the bark. Understanding the genealogy of our actions, which teacher is speaking through our mouths, which amazed or brooding child is speaking, would leave us a window to take away power from them if necessary. You will be rich, famous, beautiful, respected?, repeat dragons of various shapes - teachers, parents, friends ... ? those shapes breathed into us by yet other animals - work, family, country...
In the sickness of the world, in the reign of the dislocating "you must", let us substitute for it the "I want" or the "we want" if the music of the soul suits you more.
I am young because I act and want to act. I am old because I want to understand. I am of my generation because I am the rainbow of my possibilities. I get drunk because I'm scared, because I doubt, because I want to rediscover that primal candor that I had with my brothers by singing "we'll see". I work on being free because in this world that orders me, I step back and laugh. In the best of all possible worlds, I will have understood what is in me, I will have discovered the golden flower that my soul shelters. But I have the time, we have the time. So: once again!
We have sowed some wild oats, however, there is still time to paint the town red!